Le réveil a été douloureux. Je me rappelle d'avoir été à cette soirée d'Halloween dans un entrepôt en dehors de la ville et ça a commencé à devenir très bizarre. Les gens se comportaient étrangement et alors que je demandais à Andy ce qu'il se passait car elle n'avait pas l'air d'aller bien, boum. Le noir le plus total. Je me réveille avec un mal e crâne qui me rappelle beaucoup trop celui qui m'a donné des insomnies pendant des semaines après le TD Garden et mon corps entier qui me fait mal. Rapidement, je me rends compte que j'ai une minerve autour du cou et on me dit que je me suis blessée à nouveau à cette zone déjà fragilisée par l'accident d'avril. Quelques bleus sur le corps, des égratignures sur le visage et j'ai envie de me cacher quand je vois Billie franchir la porte de ma chambre. A mon arrivée à l'hôpital, on m'a demandé qui contacter et dans un état un second, c'est elle que j'ai réclamé. Je ne sais pas si je suis contente de la voir ou si j'ai honte de l'avoir fait venir ici.

Je sais pas vraiment l’heure qu’il est, je sais juste qu’hier c’était Halloween, que j’étais une Cruella parfaitement crédible, et qu’au début de la soirée au moins, j’avais Wade à mon bras. Je sais aussi que t’as été Voldemort puis Ginny, et que le pseudo Harry Potter de la fête m’a agacé par sa seule existence. Quand c’est comme ça, j’sais que c’est pas encore réglé. Pourtant j’essaye de faire comme toi. Aller de l’avant, comprendre que c’est mort et me dépêcher de tourner les pages. J’aurai pas parié dans ce sens, tu sais. J’aurai inversé les rôles. C’est la vie qui m’donne une leçon qui griffe le cœur et l’ego. Surtout le cœur, en vérité. Puis ça le compresse à nouveau, d’un appel, quand je commence à respirer un peu mieux. Réveillée par un numéro inconnu, un appel que j’ai laissé passer, jusqu’à avoir cette notification de message sur mon répondeur. L’écoute du message, puis l’appel, puis ma moto qui se gare sur le parking de l’hôpital. J’me suis renseignée sur la route sur les évènements de la nuit, puis j’ai pressé le pas jusqu’à toi. J’étais beaucoup plus belle hier. Jogging et élastique qui tient miraculeusement dans ma blondeur ; Cendrillon après la soirée. Je m’arrête dans ma course, tapant un stop dans l’encadrement de la porte de ta chambre, les orbes détaillant rapidement ton état apparent. Ca m’ôte un poids, en croisant ton regard. Je vois la minerve. Je vois surtout que t’es consciente ; on me l’avait dit au téléphone, mais j’aime le voir en vrai. “Elle te manquait à ce point, cette minerve ?” C’est doux, les lèvres se soulignant d’un fin sourire. Je m’approche, lentement. “Comment tu vas ?” Me dit pas nickel. “Les médecins disent quoi ?” Ceux qui savent, ceux qui ont la connaissance. Quant à moi, j’ai les doigts sur le drap, pas loin des tiens.

Mon regard planté dans le sien, je l'observe dans un silence presque gênant alors qu'elle franchit le pas de la porte de ma chambre d'hôpital. Seul le bruit des machines autour de moi raisonne dans la pièce, jusqu'à ce qu'elle se décide à balancer une petite phrase qui se veut légère, puisqu'elle sent probablement la lourdeur des énergies par ici. Tu vois, comme j'arrive à tourner la page, Billie ? J'ai beau dire que je vais de l'avant, que j'essaie de tourner la page, regarde où ça nous mène. Moi, ici, qui te réclame toi et personne d'autre. Même pas mes parents qui auraient pris la voiture et conduit toute la nuit pour arriver ici ce matin. Toi. Je ne saurais pas encore dire si c'est une bonne chose ou pas, mais je me sens honteuse quand je me vois à travers ton regard. Honteuse des mes conneries qui nous ont brisé, honteuse d'essayer de tourner la page, honteuse de pas me battre pour nous, honteuse d'être toujours dans cette situation de victime depuis ces six derniers mois. Le TG Garden et maintenant ça. C'est trop, beaucoup trop. Alors quand tu essaies d'amener un peu de ta légèreté, je me contente de sourire, très légèrement. Elle me demande comment je vais, ce que les médecins disent et je sens mon cœur qui bat un peu plus fort, le rythme de sa danse qui s'accélère. La gorge se serre et je n'arrive pas à le contenir. Je m’effondre, les larmes coulent à flot sur mes joues que je cache entre mes mains alors que je pleure de manière totalement incontrôlée. C'est un mélange de tout ce qu'il s'est passé cette année. Toi, nous, le TG Garden, le bal, le solitude que je me suis imposée cet été et maintenant, ça. Je sens encore le souffle de l'explosion, ma tête qui se claque contre le sol, la douleur au cou qui se réveille et qui se veut encore plus vive là, maintenant, alors que je suis en train de pleurer dans mon lit. Je me redresse en position assise, la respiration est lourde, difficile entre deux les sanglots toujours plus importants et mon visage que je continue de cacher entre mes mains. Je n'arrive à rien dire, je n'arrive pas à m'arrêter et je me sens encore plus honteuse d'avoir cette réaction.  

Tu te rappelles, ce qu’on était avant que ça nous bouscule ? Est-ce que tu te rappelles combien on était légères ? On s’amusait de frissons d’adrénaline dans des maisons branlantes, on accrochait nos peaux presque sans le vouloir. J’adorerais ça, tu sais ? Découvrir à nouveau, torches à la main, une bâtisse. N’importe laquelle, même une sans entité, même une décevante, quitte à inventer des souffles sur ta nuque pour te faire sursauter. Je veux qu’on se retrouve, dans cette version d’avant qu’on se gâche. Mais, quand on m’a demandé, au détour d’une bière avec Loyd, si ça valait le coup de briser une amitié pour une histoire, j’ai même pas hésité une seconde. Alors ouais, j’regarde en arrière, fantasmant d’un passé plus serein, mais j’ai aimé nos chapitres les plus doux, aussi. J’ai juste encore pas réussi à comprendre comment l’une des périodes où j’ai été la plus heureuse de mon existence, a pu cohabiter d’aussi près avec l’une des pires. Les souvenirs se chevauchent. Ils pèsent. Mais semblent pourtant si peu importants, quand le téléphone sonne. Quelques mots sur un répondeur, ça peut vous alléger des kilos de peine. J’me suis ruée, et j’ai essayé, ici, face à toi, de te faire sourire. Parce qu’O’Malley, elle n’a pas toujours conscience qu’on ne peut pas tout soulager d’un trait de légèreté. Parce qu’O’Malley, quand elle flippe, recouvre le tout d’un drap. Sauf que le tissu se trempe des larmes d’une rousse qui se déchire. Et, je ne m’étais pas préparée à ça. Interdite, les lèvres entrouvertes et le corps inutile. Ai-je au moins encore le droit de m’approcher ? Il aura fallu que les perles de sel coulent le long de tes doigts pour que j’me réveille, dans un sursaut qui me fait t’entourer de mes bras, soufflant :  “J’suis désolée.” De pas dire ce qu’il faut, de pas avoir été là, de ce monde qui déconne. Désolée de tout, j’prends tout sur le dos, j’m’en fous. J’te serres contre moi, et j’espère avoir ce pouvoir débile de prendre la douleur. J’l’échange contre les fantômes. “J’suis tellement désolée.” Montée à moitié sur ton lit, d’un genou pour me hisser, mes doigts attrapant les tissus que je peux, ma blondeur mélangée à ton roux, je m’incruste dans tout ton espace, je le fais notre. Les murmures s'immiscent dans tes sanglots. “Eo, j’te promets que ça va aller.” Et je sais, qu’on ne promets jamais ça. Mais je promettrais n’importe quoi pour que tes joues sèchent. Ensuite, j’me mettrai au boulot pour tout résoudre.