Le regard rivé au plafond, l'insomnie me gagnait de plus en plus. Quand tu étais là, l'alcool se faisait moins présent, forcément. Donc le manque était présent, les sueurs froides aussi. Les tremblements et l'irritabilité. Autant dire, beaucoup trop de choses pour un homme. Mais je n'avais pas le choix que de le gérer, et de le cacher. Haze ne le savait pas, toi non plus. Personne dans le fond, puisque je faisais ça en catimini, quand j'étais seul avec ma solitude et mes démons. C'est eux qui m'ont repoussé vers la bouteille, c'est eux qui m'entrainent vers le bas. Donc oui, j'avais les yeux ouverts quand j'entendais un cri provenant de ma chambre. Là où tu dormais quelques soirs par semaine quand tu n'étais pas avec ton copain. Je me levais pour aller te rendre visite, m'assurer que tu ailles bien. Calé contre l'embrasure de la porte, le regard rivé vers toi, je te découvrais réveillée. « encore un cauchemar ? » que je demandais, comme si c'était une habitude maintenant.

Si je devais retenir une chose de positif dans la merde dans laquelle nous nous trouvions encore, c’était ce rapprochement. J’avais l’impression que depuis ma discussion avec Haze, je vous retrouvais enfin. Pourtant chaque seconde de ma vie, je vivais avec angoisse lancinante. La peur d’être une potentielle cible ou pire encore, que vous fassiez encore les frais de cette personne ou ce réseau. Je multipliais les insomnies avec des ‘et si’ incessant. C’était la seule manière que mon cerveau avait trouvée pour tenir, se faire une multitude de scénarios pour palier à toutes les probabilités. Nous étions en danger, c’était un fait. Et chaque nuit, j’imaginais les scènes décrites par notre frère, vous imaginant dans l’une des pires situations. Et toujours quand j’imaginais un corps inerte et vos mains pleine de sang, je me réveillais en sursaut. J’essayais de réaliser, quand tu apparaissais. Je tapotais ton lit pour que t’y viennes. — Oui et toi t’arrives pas à dormir ? Comment réussir de toute façon ? On avait trop subi pour une seule vie.

Rien n'était simple dernièrement, vraiment rien. Si c'était pas suffisant, une explosion avait mis à mal une partie de la population lors de la soirée d'Halloween. Donc clairement, les choses étaient pas prêtes de s'arranger, que ce soit personnellement ou professionnellement. J'étais cependant bien content que l'enquête ne soit pas de notre ressort, ça semblait être le genre d'affaire tordue des premiers éléments que j'avais. Allongé sur le canapé, regard rivé sur le plafond, j'étais tiré de mes pensées par tes cris effrayants. Effrayants parce que je savais qu'ils provenaient d'un cauchemar, ça ne pouvait pas être autre chose de toute façon. M'approchant, restant contre l'embrasure de la porte, je m'assurais en quelque sorte que tu allais bien. « c'est compliqué ouais... ça cogite trop là-dedans » que j'disais en désignant ma tête. Ce qui n'était pas un mensonge pour le coup, c'était vrai. Toutes les histoires avec Haze, sa disparition jusqu'aux Pays-Bas et le reste de la ville qui se retrouve à feu et à sang... je cogitais. Je venais te rejoindre dans le lit, prenant place à côté de toi, assis contre le mur. « tu veux un câlin ? » Le câlin d'un de tes grands frères, c'était certainement ce qu'il te fallait en cet instant.

Le cri s’échappait des entrailles. Niché depuis des jours au creux de mon estomac, il venait de franchir mes lèvres pour se confronter à la dur réalité. Je venais en effet de faire un cauchemar. Un parmi tant d’autres, à une différence près : lui sortait de l’imaginaire. Les pupilles s’entrouvraient, s’habituant peu à peu à l’obscurité de la pièce pour discerner qu’ici au moins j’étais en sécurité. Mieux encore, tu apparaissait à l’embrasure de ta propre chambre, prêtée pour l’occasion. Je souriais doucement à tes mots, de manière compatissante, sans avoir la moindre idée de tout ce qui pouvait traverser réellement ton esprit. •—  Heureusement que t’es là pour garder cette famille hors de l’eau. Murmurais-je doucement. Tu avais soutenu Haze, que ce soit lors de son réveil ensanglanté ou son émergence dans un autre continent… La encore, tu prenais sur toi, pour prendre soin de moi. Tu t’installais, me proposant certainement l’unique action qui panserait au moins un temps mes maux. Secouant doucement la tête, je me redressais pour venir jusqu’à toi. •—  J’arrive pas à croire que vous avez vécu tout ça… Pire encore je m’en veux de pas avoir chercher à m’imposer alors que j’aurais aimé être là pour vous. J’avais beaucoup de regret, mais celui d’avoir choisi la facilité, me peinait réellement.

Je savais pas trop si j'étais vraiment celui qui gardait la famille hors de l'eau dernièrement. Au contraire, j'avais plutôt l'impression de me noyer. Et mon réflexe premier, c'était de t'épargner de tout ça. Trop d'obscurité pour la lumière que tu étais Maze. C'est bien pour ça que tu n'avais été mise au courant que sur le tard de tout ce qui s'est passé. Une fois la vague passée, on savait que tu serais épargnée. « j'ai pas l'impression de réussir pourtant... » La preuve, tu étais là, sûrement bien trop anxieuse pour me l'admettre. Avoir un œil sur un de tes frères devait aussi t'aider à relativiser sur tout ce qui s'était passé, même si c'était Haze qui devrait le plus t'inquiéter justement. Installé dans le lit à tes côtés, tu venais te lover dans mes bras et je resserrais mon étreinte pour t'offrir le câlin que tu méritais. « on t'aurait pas laissé faire maze. on voulait t'épargner tout ça... profite de la légèreté de ta vie, t'as le droit à un peu de bonheur » Je chuchotais presque, comme si le dire tout fort pouvait nous ramener le mauvais œil.

Tu étais notre bouée de sauvetage, quoi que t’en dises. Mais avais-je conscience des répercussions que cela engendrait ? Pas du tout. Parce que dans le fond, j’étais égoïste depuis que la peur m’habitait. Celle de voir l’ennemie frapper à nouveau. Celle de devoir vivre ma vie l’un de vous deux. Ne pas avoir de père, n’avait jamais été difficile parce que je vous avais vous. Et quelqu’un en voulait à Haze au point de le laisser pour mort dans un putain de cargo. — Sans toi Haze serait soit derrière des barreaux soit en cavale le tout pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Alors à mon humble avis, si, tu réussis. Puis sans toi, j’enchaînerais les insomnies. Nous trois, unis, c’était ça l’équilibre parfait et c’était ensemble qu’on s’en sortirait. Je me sentais en sécurité, protéger dans tes bras musclés, mais aussi grâce à ton esprit aiguisé. — Parce que tu crois que j’étais heureuse en sachant que vous me cachiez quelque chose ? J’ai juste fait preuve de patience, mais il n’empêche que s’il y a une prochaine fois, je veux être mise dans la boucle. J’étais plus une gamine effrontée, alors vous n’aviez plus à me préserver. C’était notre vie et notre chemin serait constamment jonché d’embûche. Il l’avait toujours été.

J'acceptais difficilement le moindre compliment. Peut-être parce que je savais ce qui se tramait réellement, que j'arrivais à cacher à toi, à Haze. Il m'était difficile de ne pas vous dire la vérité, mais j'avais peur de vous décevoir, de ne pas être le frère que vous sembliez idolâtrer. N'étant à présent plus que l'ombre de moi-même, il fallait se rendre à l'évidence : je n'étais pas l'homme que tu décrivais. « je fais avec les moyens du bord... mais j'ai surtout l'impression qu'on se tient tous à flot parce qu'on peut pas se permettre de couler » Mensonge. J'ai coulé, je suffoque à chaque instant. Mais comment te le dire ? J'ai honte, je peux pas. J'me laisserai pas gâcher cette vision que tu as de moi. Toi, Haze et maman, vous êtes ma seule raison de vivre. « d'accord. à condition que tu respectes ce qu'on te dit. si une situation est trop dangereuse, tu ne fais rien, ok ? » Hors de question de te perdre toi aussi. Je pouvais être blessé, traumatisé ou tout ce que tu veux, tant que toi tu vas bien, c'est le principal. « promets moi de ne pas en faire qu'à ta tête maze et de nous écouter, quoi qu'il arrive »

J’avais un regard extérieur à toute cette situation. Mise au courant sur le tard, je savais que vous repoussiez au maximum l’annonce de vos cachotteries. Et pour cause, maintenant, j’étais un poids pour vous. Tu te retrouvais à gérer mes craintes, comme si tu n’avais pas déjà la tienne à gérer. Aucun de nous n’avait de réponse sur les raisons des agressions de Haze, ne nous laissant que la peur au ventre comme compagnie. — Notre force, c’est de se soutenir, quoi qu’il se passe et j’ai beau… Disais-je, avant de me stopper, cherchant les meilleurs mots pour ne pas t’inquiéter. — Avoir un peu peur, je n’en reste pas moins assez solide pour vous soutenir aussi. À la différence de vous, je n’avais pas grand-chose à gérer, sauf peut-être canaliser mes craintes. Je me redressais un peu, plissant les yeux pour mieux te regarder. — Bien sûr que je vous écouterais quoi qu’il arrive, c’est promis. Me reposant sur toi, j’ajoutais : — Mais ne me mettez plus sur le carreau. Je ne voulais pas me sentir à part. Ma priorité, c’était nous.

La situation était loin d'être simple et on avait fait ce qu'on pouvait, Haze et moi. Te protéger, c'était la promesse qu'on avait fait à notre mère dès l'instant où tu es née. Alors oui, difficile de vouloir te mettre dans les histoires tordues de notre frère. Surtout quand on voit à quel point ça pouvait être fucked up. « je sais... » Oui, non. Pour moi, tu restais ma petite sœur, fragile, venant à peine de naître. Peut-être que c'était une vision un peu trop vieux jeu, mais tu pouvais pas me l'enlever de la tête. Et forcément, je ne voulais pas que tu fasses n'importe quoi, donc je me sécurisais avec une promesse que tu tenais sans rechigner. « plus jamais, promis » J'aurais très bien pu croiser les doigts en cet instant, le mensonge est déjà présent. Mais j'étais ancré dans ce mensonge qui me concernait et pouvait potentiellement vous impacter à un moment donné.

Ma crainte la plus grande était qu’à nouveau, j'étais mise de côté. Je voulais faire bloc, avec vous, me sentant suffisamment forte pour être une alliée de choix. Mais en étant la plus jeune et l’unique fille de notre fratrie, je restais celle à protéger. Selon vous en tout cas. — Alors faites moi plus confiance. Vous étiez les seuls pour qui j’étais capable du meilleur, comme du pire. Relâchée d’un poids, après cette petite discussion, je m’enfonçais davantage dans ton lit, l’esprit et le cœur plus léger. — Ton lit est assez grand pour deux, si dormir avec ta sœur ne te dérange pas, ça sera plus réparateur que ton canapé. Je me callais sur l’extrémité, te laissant le libre-arbitre pour choisir ou tu finirais ta nuit. Et après quelques bâillements, je retrouvais les bras de Morphée.