Les crises étaient de plus en plus fréquentes ces derniers jours. J'avais la sensation que je pouvais perdre la tête à tout moment. Dépassé par les évènements, L'image de mon vieux me revenait en pleine gueule... La solitude était la pire compagne que je pouvais avoir... J'avais besoin de quelqu'un... N'importe qui qui pouvait m'aider à reprendre pieds dans la réalité.

L'invitation d'Ambroise semblait du pain béni. Je n'avais pas réfléchi avant de prendre ma veste pour le rejoindre au bar. M'installant dans un coin reculé de la salle, je m'affalais sur la banquette en attendant mon ami. Le regard presque angoissé sur l'ensemble de la salle et je n'avais rien pris... Pas encore. Ambroise, bouge toi mec... A voix basse.

@Ambroise Alcott

J’avais proposé à @Tybalt Pazelius d’aller boire un verre lorsqu’il m’avait informé de ses récents malheurs et péripéties. Lorsque j’entrais dans le bar, je balayais du regard les différentes tables pour apercevoir Paz. Je devais m’avancer un peu pour croiser son regard, dans un coin reculé du bar, à peine visible - emplacement qui m’étonnait guère. Je m’approchais de lui « Tu as peur que quelqu’un te voit ? » dis-je en rigolant à moitié. Paz n’avait pas que des amis sur Boston, bien au contraire. Je faisais signe au serveur de nous rejoindre pour commander une bière.

L'homme était livide. Même si en temps normal, il avait le teint plutôt pale, ce dernier était exacerbé aujourd'hui. La lueur des lampes ne lui donnaient qu'un air encore plus maladif. Le temps que son ami arrive, il avait mis sa capuche sur la tête, continuant de scruter.

Je sentis un certain soulagement lorsque mon regard croisa le sien, me redressant sur mes jambes pour le saluer. Une étreinte qui se voulait rapide mais un geste assez crispé sur son épaule. Accroche à sa présence, ne perds pas pieds. Je me détachais de lui avant de me rasseoir. Je suis en train de perdre pied, mec... Posant le coude sur la table pour enfouir mon visage dans ma main, je laissai commander pour moi.

De toute évidence, Paz n’avait pas une personnalité très joviale, mais je sentais qu’il y avait quelque chose qui clochait. Comme à mon habitude, j’essayais de détendre légèrement l’atmosphère lors de mon arrivée mais je savais aussi être sérieux lorsqu’il le fallait. Le serveur s’approchait de nous au moment où Paz me disait qu’il était en train de perdre pied. Je prenais les choses en main et je commandais deux bières avant de lui répondre. « C’est par rapport à l’histoire avec ta fille ou tout autre chose ? ». J’essayais de suivre ses histoires mais à côté de sa vie, la mienne était un long fleuve tranquille. J’espérais qu’il n’était pas dans une situation trop délicate, car même s’il arrivait à s’en sortir, il y avait toujours le risque d’y laisser trop de plumes.

J'avais vécu tellement de trucs au cours de ma vie qu'il m'arrivait de perdre foi en l'humanité. Néanmoins ça ne m’empêchait d'apprécier la vie, même si c'était peut être d'une manière différente des autres.  Mais aujourd'hui, je n'avais gout à rien du tout... Si ce n'est la destruction et je savais que c'était le début de nouveaux emmerdes si ma maladie s'en mêlait. C'est le contexte de merde... Le fait que ça ne s'arrête jamais. Je n'avais pas envie d'impliquer Ambroise plus que nécessaire dans cet univers dont il ignorais tout. Les codes comme les conséquences. Faisant glisser mon téléphone sur la table , je relevais finalement les yeux vers lui. Et toi sinon ?

Paz était assez vague dans ses explications et je me demandais bien ce à quoi il pouvait faire référence. Je savais qu’il y avait un côté de sa vie que je ne connaissais que de loin, à travers certaines discussions inopinées mais j’avais toujours préféré rester éloigné de ses affaires. Une partie de moi craignait de tout savoir et une autre souhaitait mieux que le comprendre. « Tu aimerais pas mener une autre vie si tu avais le choix ? Je sais que c’est sûrement illusoire et très compliqué, mais des fois j’me demande si tu sais encore qu’il est possible de faire d’autres choix » dis-je en toute honnêteté. Je ne connaissais pas les détails mais il y avait sûrement une petite porte de sortie, bien cachée, encore faudrait-il qu’il souhaite l’ouvrir. « De mon côté rien de spécial, je bosse pas mal en enchainant les autopsies, pas le job le plus joyeux du monde non plus mais tu sais bien que c'est mon truc ! ».  

Moins il en savait, moins il avait besoin de tenir sa langue et moins ça le mettait en danger. J'appréciais Ambroise mais sa fichue langue pendue était un problème. Surtout dans mon univers. Fermant les yeux l'espace d'un instant, je me mis à réfléchir à sa question. Cette dernière m'arracha même un souffle de nez. Est-ce que j'aimerai mener une autre vie ? A quel niveau ? Mes choix ? Mes affaires ? Même si je choisissais de tourner le dos à tout ça - ce qui n'était pas chose aisé - ma maladie serait là pour me pourrir la vie. Et passer mon temps sous cachetons ? Très peu pour moi. Je savais quel effet ils pouvaient avoir. Sans même parler de mon boulot... Je perdrais le droit d'exercer et je donnerais raison aux connards qui me prenaient pour un moins que rien. Je n'ai pas de solution B, Ambroise. Une fois que tu es dans cette voie, il n'est plus possible de faire marche arrière. Ouvrant les yeux et relevant finalement la tête, j'attrapais la bière avant d'en boire une très longue gorgée, laissant la bouteille à moitié vide. Désolé pour le taf en plus. Je dois avouer que ces derniers jours, j'étais peut être en partie responsable de ses heures supps. L'avantage des morts, c'est qu'ils sont pas chiants au moins...

Paz était incapable de voir une solution B et d’un côté, je pouvais le comprendre. Il y a un biais naturel, celui de l’escalade d’engagement qui pousse chaque être humain à persister dans une mauvaise direction car cela est bien plus facile que d’admettre qu’on est sur le mauvais chemin. Pour en revenir à Paz, je ne savais pas s’il était sur le « mauvais » chemin, car il appréciait d’une certaine façon cette vie. Mais ne pourrait-il pas apprécier un autre genre de vie ? « Tu regrettes parfois ? » demandais-je alors simplement. Une partie de moi essayait de comprendre sa vie, tout en préférant rester dans l’ignorance. « Détrompe-toi, un mort peut dire beaucoup de choses… tu devrais faire attention à ne pas faire une erreur un jour et laisser un indice, comme ton ADN » dis-je pour le mettre en garde même s’il devait déjà le savoir. Je me demandais bien ce qui arriverait si une telle situation venait à se présenter.

Au début, j'avais choisi ma situation... Du moins je le pensais. Avant de me rendre compte que mes choix étaient biaisé par ces putains idées parasites qui se développaient dans mon cerveau. Trouble de la personnalité antisociale. C'était les mots qu'avait employé mon ancien confrère avant de disparaitre sans laisser de traces. Si c'était pas une putain ironie quand même. Enfoncé dans mon erreur, autant aller jusqu'au bout du chemin, ce n'était pas comme si j'avais une autre solution de toutes manières. Je regrette d'être encore en vie, ouais... S'il n'y avait pas mes filles, ça ferait un moment que j'aurai écouté l'appel des sirènes.

Ce n'était pas vraiment la réponse à sa question mais c'était la seule qu'il était capable de donner dans son état.

J'ai pas dit qu'ils n'étaient pas bavards, j'ai juste dit qu'ils étaient pas chiants, eux au moins. Faire en sorte de ne pas laisser la moindre trace qui permettrait de remonter jusqu'à l'auteur. Ca semblait tomber sous le sens pourtant certaines personnes faisaient encore cette erreur de débutant qui pouvait foutre les autres dans la merde. Qu'est-ce qu'il te plait dans ce boulot ?

Je savais que Paz n’avait pas une vie facile, entre ses choix de vie, sa maladie et tout le reste, dont sa personnalité, c’était sûr qu’il n’était pas destiné à une vie tranquille. Alors, lorsqu’il me disait qu’il regrettait d’être encore en vie, je savais qu’il y avait malheureusement une forme de vérité. « Ah non ne dit pas ça ! Flemme de passer 3h à m’occuper de toi à poil sur ma table d’autopsie, j’ai déjà vu assez d’horreurs comme ça » dis-je afin de donner une note plus légère à la discussion. Il avait une vie assez sérieuse comme ça et moi aussi. En parlant de corps, ils étaient l’objet du reste de la conversation. « Ça dépend pour qui », car les corps pouvaient être chiants pour de nombreuses personnes, notamment ceux qui auraient préféré qu’on ne les retrouve jamais. « Je ne peux pas vraiment l’expliquer, depuis l’enfance je rêvais de faire ça, il y a quelque chose de fascinant dans le fait de faire parler un corps, une forme de challenge ». C’était certes un peu glauque dit moi comme ça, mais dans les faits j’étais véritablement fasciné par mon métier que je ne changerais pour rien au monde. « Je te montrerais un jour si tu veux ». Bon, ce n’était pas vraiment autorisé mais personne n’allait venir vérifier.