La journée approche doucement de la fin. J'ai décidé de retourner rapidement à mon bureau, récupérer deux trois affaires pour bosser ce soir. Quand j'ouvre la porte, je vois ce que je vois d'habitude : un bureau en bordel. Des bouquins à ne plus savoir quoi en faire : rien de moins qu'une demi-douzaine de pavés sur la seule et unique chaise, en dehors de ma propre chaise de bureau. Dans les recoins, de hautes piles de livres qu'un coup de vent violent pourrait renverser. Il faudrait que je pense à prendre un moment dans la semaine pour ranger. Au même moment où je me dis cela, je me dis également que je n'en trouverai ni l'envie ni le courage et que le bazar continuera à empirer avant que les tours de pages s'effondrent et me poussent, trop tard, à procéder au rangement de la pièce.
C'est toutefois surprenant de voir à quel point les agents d'entretiens ne dérangent rien, pas même le désordre. Le sol est propre, les parties découvertes de mon bureau sont immaculées. Je suppose qu'ils ont l'habitude de composer avec le bordel des autres, et les universitaires, de manière générale, sont les rois du bordel. Je pose mon cartable là où je trouve de la place et décide de prendre un dossier plein de feuilles diverses : quelques copies d'étudiants, deux ou trois papiers persos, peut-être même une revue. Je range également dans le cartable quelques stylos. Il me faut Le Festin Nu, j'ai prévu de le prêter à un des étudiants.
A peine ai-je commencé à chercher que je me souviens de l'avoir déjà prêté. Ma mémoire facétieuse se garde cependant de me dire à qui j'ai bien pu l'emprunter. Je m'en souviendrais si c'était l'un de mes propres étudiants. Etait-ce Azarias ? Il ne me semble pas lui avoir prêté quoi que ce soit. C'est le problème quand on a une cargaison de bouquins telle qu'on ne sait plus vraiment quoi en faire à part les semer à droite et à gauche. Peut-être est-ce pour le meilleur, cela dit : si je ne perdais pas autant de bouquins, mon bureau ne pourrait plus en contenir et l'administration serait obligée de se mêler de la manière dont je tiens mon lieu de travail. Peut-être même à coups de menaces. A peine voilées.

Journée fini pour Gyeon alors que pour certain non. Enfilant sa veste aux couleurs de la caserne, cette veste qui tient chaud, qu'il aborde fièrement pour dire "regardez je suis sapeur pompier volontaire". Il regarde l'heure et  sort en courant pour prendre le bus non loin de l'université. Pour ensuite prendre le taxi, plusieurs fois il se dit qu'il n'aurait pas dû faire cette bêtise de protéger son ami. Mais aujourd'hui il est trop tard et il doit attendre pour avoir le droit de conduire. Mais il en serait capable, après s'être entraîner avec son tuteur.
Arrivant à la caserne il salut l'officier à l'entrer et cours rapidement pour aller récupérer le livre.

Puis vient faire le chemin inverse, regardant sa montre. Il rentre de nouveau dans l'université, présentant son sac, sa carte universitaire. Puis avance tranquillement sur le campus atteignant le secteur littéraire. Un secteur qu'il aime, aime, mais pas au point d'étudier. Il aime lire, lire à la caserne, dans le bus, lors des pauses lorsque ses devoirs sont fini.
Longeant les couloirs il fini par trouver le bureau du professeur Mobius, toujours préférant appeler les professeur par leurs nom de famille. Il voit la porte entre ouverte et toc trois fois, mais n'entends rien et pousse doucement pour voir des livres à droit et à gauche.
Avançant doucement il vient se présenter.

Professeur,je viens vous rendre le livre que vous m'avez donner la semaine dernière. Je l'ai fini...Il y a beaucoup de livres, vous voulez de l'aide pour les ranger?

J'entends une voix derrière moi. Je le reconnais rapidement. C'est l'invité surprise de certains de mes cours. Il n'est pas dans mes listes, mais il vient quand même. A vrai dire, certains autres étudiants partagent cette particularité. Je me dis que c'est toujours flatteur d'avoir des gens qui viennent vous entendre alors qu'ils n'y sont pas obligés. Ça booste l'orgueil, en quelque sorte. Peut-être que c'est ce que je devrais éviter, parfois. L'excès d'orgueil, c'est ce qui précède souvent la phase où l'on devient un connard.
En baissant les yeux, je remarque qu'il tient l'objet de ma recherche effrénée à travers mes affaires dérangées. J'écarquille les yeux et lui prends le bouquin des mains. "Ah, c'était toi le coupable !", lui réponds-je. "Au fait, Lawrence suffit".
Je n'aime pas réellement mon titre de professeur. Pas tant parce que je ne pense pas le mériter. Je pense avoir passé assez d'heures à m'esquinter les yeux sur mes relectures et les retours de comités de lecture pour le mériter. Je pense que ça vient plutôt de mon côté adolescent que je n'ai jamais vraiment perdu, à mon corps défendant. Peut-être que ça vient aussi d'une vérité toute universelle : il n'existe pas de professeur six pieds sous terre.
Machinalement, je vérifie l'état du bouquin. Pour quelqu'un qui a tendance à les laisser n'importe où, je suis drôlement soucieux de m'assurer de leur bon état. Rien à signaler. Je lève les yeux vers le jeune homme et, sans prendre la peine de répondre à sa proposition de m'aider à ranger, lui dit : "Bon, alors, qu'est-ce que tu en penses ?"

Il vient regarder le professeur, riant à sa réaction, mais il le regarde étonner. Il pensait lui donné tranquillement le livre, mais le voilà que ce dernier se voit être pris presque violemment le livre. Gyeon est une personne qui fait très attention aux affaires qu'il emprunte. Il déteste surtout corner les livres, cela l'agace les coins corner! Il sourit toujours comme à son habitude, cachant son état de souffrance par ses cauchemars de la nuit, dont le livre l'a aider à l'endormir de nombreuse fois.

Oh toujours super, j'ai déjà lu la version Sud Coréenne, mon père l'avait, mais je ne retrouve pas. Alors le fait que vous m'avez laisser emprunter et quelque chose de super, Je l'ai dévorer en plusieurs jours et trois nuits. Est-ce que vous avez un autre livre?
Vous n'aimez pas que l'on vous appel par votre nom de famille? Je suis désoler Lawrence...J'ai appris à respecter mes aînées comme ça

Il regarde les autres livres, mais ne veut pas toucher. Puis imagine en regardant les murs, des bibliothèques, dont les livres sont ranger par thèmes et auteurs ordre alphabétique. Il vient poser son regard une nouvelle fois sur Lawrence et lui dit doucement. Tout en étant un peu épuisé par ses nuits.

Dites, vous ne voulez pas ranger les livres par genre et les auteurs par ordres alphabétique? Ça serait sympa, comme ça vous chercher seulement l'auteur.Vous savez déjà quel genre c'est et vous prenez et hop. D'ailleurs, vous savez, j'aime beaucoup l'odeur des livres. Et d'ailleurs votre dernier cours était super. Mais je ne pourrais pas être à votre prochain.

Il a bien aimé. Cela m'aurait embêté que ce ne soit pas le cas, Le Festin Nu est certainement mon livre de Burroughs préféré. J'apprécie qu'il ait pris la peine de relire le livre, dans sa version originale. La manière dont Burroughs définit les objets mérite qu'on s'intéresse à l’œuvre originale, non-traduite. Il ne semble toutefois pas s'attarder à me raconter son expérience de l’œuvre et semble davantage, presque à mon grand dam, obsédé par la manière dont mon bureau est agencé. Je comprends son désarroi. En tant qu'indécrottable bordélique, je n'ai pas l'habitude de voir dans ce qui est communément considéré comme du désordre autre chose qu'un ordre alternatif, une manière de ranger "non-linéaire". Je me force, parfois, à ranger, mais jamais en profondeur ; je ne suis même pas sûr d'en avoir la capacité.
Il revient sur ma requête d'être appelé Lawrence plutôt que par mon titre universitaire. La réflexion me fait sourire, même si le terme de respect me fait légèrement tiquer. "On ne t'a pas appris à être respectueux, on t'a appris à être poli", décoché-je avec un soupçon de sarcasme dans la voix. Tout en ne décrochant pas le regard des mes piles de bouquins, je me permets d'ajouter : "Si mon expérience de l'université m'a appris quelque chose, c'est qu'on peut mettre toutes les formes du monde et toutes les formules de politesse du monde et toujours dire, en substance, à quelqu'un d'aller se faire foutre." Avec cette phrase quelque peu alambiquée, je l'encourage à aller au-delà des simples ronds-de-jambe. S'il veut une relation fondée sur le respect, ce qui est une requête tout à fait valable, alors soyons honnêtes, y compris quand cela implique d'outrepasser les euphémismes et les litotes. A peine ma phrase terminée, je prends un bouquin sur l'une des piles de livre et le tends automatiquement vers lui.
"Tiens, Reality Sandwiches d'Allen Ginsberg. C'est un recueil de poèmes, tu me diras ce que tu en penses." C'est un petit bouquin, à peine une centaine de pages. "Dommage que tu puisses pas venir au prochain cours, j'avais prévu une introduction au journalisme gonzo. Si ça te dit, je te prêterai un recueil d'articles de Lester Bangs." Encore une fois, comme le sale gamin que je suis, je ne reviens pas sur sa proposition de rangement.