Les mots, dans sa tête, ont, de prime abord, sonné faux. Elle a eu du mal à les réaliser, même si elle n’est pas assez stupide pour se demander comment cela a pu arriver. Même en ayant été bridée durant des années, tenue éloignée des plaisirs charnels, vierge effarouchée, la Haiwee sait très bien comment on fait les bébés. Elle pensait simplement avoir un peu plus de temps pour s’y préparer. Ce qui est étrange, à la vérité, parce que si elle était restée à Wind River lors de cet hiver où elle avait pensé tout abandonner… C’est sûrement le second qu’elle serait en train de porter. Cela dit, ce ne sont pas ce genre de réflexions qui vont réussir à la rassurer.

Alors quelque part, elle blâme le summer express, la victoire qu’ils ont fêtée, sa pilule qu’elle n’a pas prise à intervalles assez réguliers faute d’être bourlinguer d’une ville à l’autre sans arrêt, son cycle qu’elle a mal calculé… Seulement d’un autre côté, elle ne peut réprimer ses instincts naturels, on ne peut plus maternels, et l’affectionner déjà, ce fruit-là. Si elle ne craignait pas la réaction de l’homme avec lequel elle l’a créé, c’est assurément de joie qu’elle aurait pleuré.  

Néanmoins, à défaut de pleurs d’allégresse, elle n’a pas su correctement réagir, elle tremble encore d’ailleurs, à regarder le cliché noir et blanc confirmant la présence d’un enfant. C’est comme s’il lui brûlait les doigts et le cœur, mais aussi entièrement son intérieur. Une photographie qu’elle range dans la poche arrière de son jean une fois devant son bâtiment, et lorsqu’elle hésite à y pénétrer, elle s’interroge, ne sait plus à quel moment remonte la dernière fois qu’elle a eu peur d’entrer dans cet endroit.

Mais elle ne peut pas reculer, et c’est trop bien qu’elle le sait, elle ne se voit pas attendre une journée ou plusieurs, elle a besoin de connaître son avis, savoir s’il pense que c’est une erreur. Alors après avoir échangé des banalités avec Manfred, c’est face à la porte de son penthouse qu’elle se retrouve, ouverte par le majordome, elle inspire longuement avant de se décider à en franchir l’embrasure de cette dernière. L’esprit embrouillé, elle avance dans le couloir, jusqu’à ce qu’elle arrive à l’apercevoir. Il est assis sur le canapé, à observer des papiers sur la table basse éparpillés, sans se douter une seule seconde de la bombe qui va bientôt exploser, « Hey, » en la matière, ce n’est pas sa meilleure entrée, « je rêve ou tu es en train de réviser ? » Trouillarde à ce point, elle ne l’a jamais été.

Quand il prend conscience de sa présence, il sort directement de ses pensées, rabat les feuilles les unes sur les autres avec rapidité avant de lui lancer un de ces regards qui ont toujours eu le don de la faire flancher. Elle s’essaie à un sourire, quelque chose de plus vrai qu’il y a une fraction de seconde, mais le compte à rebours est lancé et son monde risque bientôt de s’effondrer. Elle n’est pas sans ignorer qu’il va perdre la délectation qui pare actuellement les traits de son expression. « On ne devait pas se voir ce soir… » Elle accuse sa phrase d’un hochement de tête approximatif, afin d’approuver mais aussi faire patte blanche par rapport à son intrusion. Il est vrai qu’il y a de ça plusieurs mois, elle n’aurait jamais eu l’audace de se pointer chez lui sans s’annoncer.

Cependant elle aime constater l’évolution de leur relation, traduite par cette main qu’il tend vers elle avec envie, douceur, dans l’attente de la voir approcher. « Ou ils t'ont libérée tôt du Globe. » D’un mouvement habile, elle retire ses chaussures, regrette de ne pas les avoir laissées dans la véritable entrée, comme si ça pouvait jouer sur l’humeur du propriétaire des lieux et l’aider par rapport à ce qu’elle va lui annoncer. Puis elle avance dans sa direction, paumée dans ses réflexions.

D’abord, ses doigts viennent trouver les siens, elle se connecte à lui comme elle le peut, en éprouvant le besoin, « Je-J’ai… » elle se sent idiote à bégayer, alors elle attrape son autre main pour la guider sur la chute de ses reins. Elle est plus adroite en actes qu’en paroles, elle recule le moment, en quête de tendresse avant que ça ne dégringole. Elle se meut avec lenteur afin de se positionner sur lui, assise sur ses cuisses, en un soupir elle va embrasser ses lèvres, un baiser qui lui donne un tantinet la fièvre.
Dans un scénario parfait, elle parviendrait à articuler les mots qui la brûlent d’avance, il serait heureux de les entendre, la rassurerait. Lui dirait qu’il sera là, quelque soit son choix, mais qu’il l’aime lui aussi déjà, et qu’il désire être avec elle autant que ce qu’il veut être papa. Dans ce scénario, elle serait encore plus amoureuse de lui, à la fin de la discussion, elle ne se sentirait pas aussi vulnérable d’être dans cette position. Et les paumes féminines venant épouser la nuque de son amant, lorsqu’elle reprend, essayant de ne pas passer par quatre chemins ; « J’avais rendez-vous chez le médecin. » et aussi avec leurs destins.

Le problème dans cette histoire, c’est son espoir. Plus elle attend et plus elle le sait grandissant. En combat avec son angoisse, permanent. Elle est incapable de déterminer lequel des deux sera le gagnant. Puis il y a aussi ses désirs, son souhait, qu’il accepte et comprenne qu’elle le veut, cet enfant. Ce n’est pas une seule seconde qu’elle l’a effleuré, l’idée d’un avortement. Certes, elle est consciente qu’il n’est pas très bon le moment, mais elle se perd à croire que l’amour, ça peut être suffisant. « Ce n’est visiblement pas quelque chose de contagieux. » Elle craque une réponse en un sourire, comprenant qu’il fait référence à ce baiser qu’elle vient de lui donner. Jamais elle ne se serait risquée à lui transmettre une pathologie pouvant l’abîmer.

Mais si elle se laisse tenter par la poésie, peut-être que ça l’est un peu, contagieux. Parce que c’est un résultat que l’on obtient à deux lorsqu’on joue trop avec le feu, aux partages amoureux. « Rien de grave ? » C’est à l’entente de sa voix qu’elle revient à lui, qu’elle réalise de l’endroit où se sont glissés ses doigts, un contrôle à l’aide de ses empreintes afin de vérifier celle de la cicatrice qui marque son derme. D’après elle, grave, ça ne l’est pas, cependant malgré tous les possibles auxquels elle veut avoir foi, elle sait que pour lui, ça le sera. « Peut-être un peu. » Parce qu’elle est effrayée par l’idée que ça le soit, elle tente de minimiser, de lui démontrer d’avance qu’ils pourraient y arriver, c’est surmontable d’avoir un bébé.

D’une œillade fuyante elle regarde les alentours, comme pour s’assurer qu’ils ne soient que tous les deux, même si elle ne peut pas nier que Manfred a déjà prouvé qu’il sait être le gardien de leur secret. Elle a du mal à respirer, elle se sent haletante, avec une compression au niveau du cœur. Le courage en berne, le vague à l’âme se pointant, elle essaie de se dire qu’il faut qu’elle s’aventure à la technique du pansement. L’arracher ici et maintenant. Rien ne sert d’essayer de reculer le temps. « Sheng… » ses yeux aux siens se raccrochant, « Je suis enceinte. » Elle s’exprime en un murmure, mais l’impact n’en sera pas moins grand. La chute des sentiments.