Journée de fou. Depuis la veille au soir je suis en garde aux urgences de l'hôpital – en renfort, comme les autres internes de mon groupe – et la foule ne semble pas s'atténuer une seconde. Je voudrais faire davantage, accorder plus de temps à chaque patient mais c'est mission impossible. A croire que le domaine médical soit devenu ni plus ni moins qu'un travail à la chaîne. J'entasse les dossiers terminés avec ceux encore en cours, tout en sachant que les comptes-rendus à inscrire me boufferont la majeure partie de ma journée, après n'avoir pu fermer l’œil ne serait qu'une dizaine de minutes. Pour être honnête, je ne sais même pas comment je suis encore debout, alors que ma toux m'emmerde depuis un bon moment déjà. Prête à appeler une nouvelle personne, le surnom que l'on me donne retentit dans l'atmosphère et, même à l'autre bout de la pièce, presque inaudible à cause du brouhaha ambiant, je reconnaîtrais sa voix entre mille. Mes prunelles émeraudes cherchent mon ex et ami proche du regard, jusqu'à ce que ces dernières se posent sur Thanom. Un fin sourire étire mes lèvres alors que je prends son dossier sur la pile. Lucy tu veux bien prendre ce dossier ? Je m'occupe du jeune homme là-bas que j'indique à une camarade interne, bien que celle-ci ne soit pas de mon groupe. Après tout, quand on est dans le bas de la chaîne alimentaire, on se serre les coudes autant que possible. Qu'est-ce que tu fous là, Than ?! que je reprends en lui indiquant de me suivre jusqu'à une salle d'examens. En théorie seuls les cas les plus critiques ont droit à ce genre de faveur, plutôt que d'être traité sur les nombreux lits de la salle des urgences. Rien de grave au moins ? Là, ce n'est pas seulement la future chirurgienne qui s'exprime, mais aussi l'amie très proche. Je connais le fils de la mairesse par cœur, et quelque chose me dit que je ne vais pas du tout aimer ce qui va suivre.

Je crois que si nous étions restés dans la salle gigantesque des urgences de l'hôpital, probablement aurais-je maîtrisé ma réaction afin de ne pas être cataloguée comme meuf violente qui ne sait pas tenir ses nerfs. Mais puisque Thanom se confiait dans une salle d'examen à part, dont j'avais fermé la porte afin de lui permettre plus d'intimité, il n'y eu pas de retenue qui tienne : à peine avait-il fini de s'exprimer que déjà, ma main s'écrasait sans ménagement contre sa joue. Et tu t'étonnes d'avoir fait un malaise ? Putain Than, tu chies dans la colle ! Okay pour le côté frêle, mesuré et délicat on repassera. Mais l'étudiant me connaît suffisamment pour savoir qu'une fois énervée, je ne fais pas dans la dentelle. Et négliger sa santé, cela ne peut pas être bien accueilli par la future chirurgienne que je suis. Par chance, Thanom n'est pas au courant pour ma mucoviscidose. Il ne le pourrait pas car j'ai caché cette information à tous, et demandé à mes parents de se taire. Dans le cas contraire, jamais je n'aurais pu espérer faire médecine. Je réponds à ta question si tu me promets d'arrêter de faire de la merde avec ta santé. J'ai déjà perdu Remus sans rien pouvoir faire, c'est pas pour te regarder te déglinguer sans rien faire ! Jusqu'ici, j'avais plutôt pas mal géré ma maladie. Je cachais mes épisodes de toux avec aisance, j'évitais de me faire remarquer, mais aujourd'hui la pâleur de mon visage – que je n'avais pas eu le temps de maquiller – donnait l'impression que je prenais de l'avance sur Halloween, ou bien que je sois la cible des hormones de grossesse. Au secours ! Tu promets ? Fais gaffe à ne pas faire de promesse en l'air, parce que je vais te coller au train !