Monsieur doit hélas se plier au Protocole en vigueur avant la montée dans le jet privé mis à sa disposition... Gauthier me sermonne presque – non sans cette bienveillance le caractérisant – afin de me faire accepter deux choses : la première, de mettre une sorte de costume sortit tout droit d'une cérémonie de l'armée, et la seconde, que j'accepte de monter dans un jet dont la pollution correspond à l'empreinte carbone de dix êtres humains sur un an. Dans un cas comme dans l'autre, je ne cesse de grimacer et de soupirer, me sentant dans la peau d'un enfant à qui on refuse une douceur parce qu'il s'est mal conduit. Rappelle-moi pourquoi je suis obligé de dire amen à ce voyage complètement superflu ? Je sens Gauthier se détendre. Je viens d'enfiler ma chemise, ainsi que la veste hautement protocolaire dans laquelle, je suis certain, j'ai l'air d'un parfait pingouin que l'on emmène dans une région trop chaude. Mon majordome et ami achève de placer mes cheveux comme il faut avant d'envoyer un message écrit à Kazuo. Oui, parce que mon départ est presque précipité et que je n'ai, hélas, même pas eu le temps d'en parler avec lui. Je vais le chercher voir si le damoiseau est prêt. Cette expression m'arrache un petit rire alors que je suis désormais seul avec Scylla, qui s'agite, sentant sûrement le côté exceptionnel et tendu des événements. N'aie crainte ma jolie, il n'est pas question une seconde que je parte sans toi !Tu seras probablement la seule chose qui me rattache à une vie normale au milieu de cette peinturlure protocolaire. Ne mords juste pas tous ceux qui me traitent avec dédain parce que tu vas avoir un peu trop de boulot... J'esquisse un petit rire alors que ma princesse aboie comme pour me donner son accord. Décidément, on s'est bien trouvés. Reste à savoir maintenant comme Kazuo va le gérer, car il n'est pas question qu'il loupe des cours comme moi. Déjà que ça m'agace pour mon propre parcours universitaire...

Un large sourire a pris place sur mes lèvres alors que je me confie à Scylla, persuadé que mon ange gardien à quatre pattes comprend absolument tout ce que je lui dit. J'en sursaute presque lorsque la voix de Kazuo m'atteint, et autant dire que je suis à nouveau debout en l'espace d'un dixième de seconde à peine. A croire que j'aurais voulu le lui annoncer autrement, et non lui faire découvrir la vérité habillé de mon attirail de prince. Cette fonction même me dérange. Après sept ans passés à Boston, j'estime être davantage cet étudiant d'Harvard qui tente tant bien que mal d'appréhender la perte de sa vue qu'un prince que l'on siffle afin de lui rappeler d'où il vient. Je crains que ce programme ne soit... reporté. A peine ai-je prononcé ces mots que déjà, le japonais s'éloigne en direction de sa chambre, me laissant dans l'expectative. Sourcils légèrement froncés sous l'effet de la surprise, j'esquisse de petites caresses contre la tête de Scylla, qui n'a pas bougé du moindre millimètre. Au contraire, fidèle à son rôle d'ange gardien de mes moindres faits gestes, elle reste sagement à mes pieds en léchant de temps à autre mes doigts. Faut-il que mon ouïe soit en ébullition permanente pour rattraper Kazuo au vol, qui vient de manquer de tomber. Rien de cassé ? que je m'inquiète aussitôt en prenant ses mains dans les miennes, liant nos doigts au passage. Pour être honnête je n'ai pas envie de retourner à Monaco. Pour... pléthore de raisons. D'une, cet attirail princier m'agace, mais ce n'est rien en comparaison de la pollution que ma présence va générer pour la planète. Je préférerais mille fois regarder les étoiles en ta compagnie et me délecter de ta cuisine... Subitement, je lâche ses mains. Un mal être profond secoue mes repères. Il faut croire que je suis toujours cet ado de dix-sept ans découvrant qu'on lui a menti toute sa vie. Cette émotion efface tout le reste, et mes iris turquoises s'humidifient face à toutes ces larmes que je retiens fermement de laisser couler.