Alors que je pousse la porte de l'une des salles de dessin, vidée à cette heure tardive de fin d'après-midi, je maudis le fait de ne pas avoir un jour acheté ne serait-ce que du fond de teint. Pas franchement porté makeup et autre girly girl stuff, l'hématome dans mon cou me fait bien comprendre qu'un peu de prairie en boîte n'aurait pas été de trop. Par chance, la salle est encore vide, pas âme qui vive à l'horizon, ce qui me laisse le temps de déposer mon sac ainsi que ma veste à col haut - où une petite tache de sang a échappé à mon contrôle - pour mieux filer me rafraîchir direction les commodités attenantes.  J'humidifie mon visage pâle et fiévreux à grandes eaux, n'ayant cure, dans la seconde, des importantes gouttes qui tombent sur le sol. A croire que mon esprit embrumé n'est capable que de se concentrer sur cette paisible fraîcheur, ô combien salvatrice après avoir souffert toute la journée durant d'une chaleur étouffante en amphi. Probablement aurais-je littéralement plongé ma tête entière sous le robinet si le bruit d'une porte qui s'ouvre ne m'avait pas fait sursauter. Un coup d’œil dans le miroir, j'ai une trogne à faire frémir un zombie de The Walking Dead. En prévision pour Halloween, on est bon... que je murmure pour moi-même, non sans moquerie, en me passant finalement un peu de papier sur le visage afin d'éponger le surplus d'eau. En trois minutes, je pénètre à nouveau dans la salle, après une grande inspiration. Maxin commence à me connaître, mais j'espère faire illusion au moins un moment... Il paraît que tu recherches un modèle top qualité ? que j'annonce d'une voix franche et agréable, bien que mon visage, lui, soit en mode porte de chiottes désagréable fermée à triple tour.

Mon visage reste aussi stoïque que mes prunelles sombres se font douces. Parfaitement incapable de me lâcher vraiment, d'ouvrir cette dangereuse porte à la sentimentalité, que j'exècre de tout mon être depuis tant d'années. Les propos de Maxin me flatte néanmoins : pas d'un point de vue d'égo, mais parce que sa gentillesse et son cœur énorme pourraient faire fondre l'épaisse armure glacée de n'importe qui. Oh le meilleur, vraiment ? Il faudra que je rencontre cette personne, elle doit être absolument éblouissante... que je cabotine doucement en me rapprochant de cette amie chère à mon cœur iceberg. L'étudiante est désormais proche de moi, à m'indiquer comment me placer pour la séance du jour, mais si ses doigts provoquent de délicats frissons sur ma peau, ces derniers deviennent aussitôt désagréable. Quand je vous dit qu'acheter du fond de teint est une nécessité dans mon cas ! Un bref soupir s'échappe de mes lèvres, et je tente, aussi adroitement que possible, de détourner la conversation. Comment, tu ne m'avais pas dit qu'on faisait une séance de nu aujourd'hui ! Hélas, le cabotinage atteint ses limites et le regard de Maxin porte tellement d'inquiétude que mon humour s'efface, autant de la profondeur de mes yeux que de l'expression de mon visage. Précédemment assis, je me relève avec toute la souplesse et la grâce d'un épéiste de haut niveau, plantant sciemment mes prunelles d'ébène dans les siennes. Que veux-tu m'entendre dire ? Que je suis maladroit ? Qu'une femme m'a fait un suçon du feu de dieu ? Que je suis tombé dans une rixe qui m'a coûté ? Fais ton choix, j'ai pléthore d'excuses toutes trouvées pour expliquer la présence de cette horreur violette sur mon corps. La vérité est bien trop odieuse pour que j'ose l'exprimer de quelque manière que ce soit. Mais ce que je réfute plus profondément encore, c'est la pitié qui naîtra irrémédiablement dans l'expression de Maxin le jour où elle découvrira réellement la vérité. Je t'avais prévenue de ne pas t'attacher à moi, Max.