Paradis. Ce mot est sur mes lèvres alors que je suis venu arranger ma cabane secrète, construite de mes mains et de celles de Gauthier à notre arrivée sur Boston. Cette dernière se trouve près d'un lac au calme fabuleux, et armée d'un ponton où observer la faune et la flore. Dès potron-minet, j'arrange, je nettoie, je mets en place. Sur la petite table, de jolies assiettes en porcelaine française et des verres en cristal, non sans un soliflore décoré d'une rose blanche. Scylla est évidemment à mes côtés, assise sagement à me regarder œuvrer en tâtonnant de façon presque naturelle. A croire que plus ma vue dépérit, plus je suis débrouillard. Au point d'avoir osé repasser moi-même mon costume, qui se trouve accroché à un cintre en fer. Mes doigts sur ma montre m'indiquent que j'ai pléthore de temps avant que Mina n'arrive, et c'est la raison pour laquelle j'en profite pour piquer une tête dans le lac. L'eau est définitivement mon élément, salvatrice, confidente, apaisante. Je teste à plusieurs reprises mes capacités d'apnée, toujours aussi excellentes. Se faisant, je perds d'ailleurs toute notion du temps, et n'entend pas l'aboiement simple de ma chienne, qui souhaite une sorte de bienvenue en faisant la fête à la jolie brune. A la place, je ne sors la tête de l'eau que bien plus tard, nageant en crawl habile jusqu'au ponton, où je m'assied quelques instants afin de me sécher. Une serviette sur la tête, une délicate fragrance sucrée vient me titiller le nez alors que je me relève, cheveux en bataille, habillé seulement d'un bermuda de bain. Miminana ? Okay, celle-là elle est sortie toute seule de mon cerveau que je maudirais presque, avec le recul.

L

ongtemps, elle n’a su comment se vêtir. Nerveuse, elle a passé de nombreuses robes pour cette soirée prévue avec l’homme qu’elle aime et qui le sait ; enfin. Tous deux ressentent la même chose, seulement, ils n’ont encore eu de premier rendez-vous, du moins avant ce soir même. Alors, tremblotante, mordillant sa lèvre inférieure, elle se maudit de n’avoir pas la moindre once d’assurance afin de se préparer comme toutes les femmes qui en possèdent. Elle adorerait s’aimer, la brune. Néanmoins, elle ne se perçoit que comme le vilain petit canard de sa fratrie et cette malheureuse souffrance lui colle à la peau, envers et contre tout. Cependant, elle choisit de n’appeler aucune de ses amies. Elle doit se vêtir seule, sans l’aide de qui que ce soit. Sans doute parce qu’elle se mettrait à fondre en larmes, en soufflant qu’elle ne sait comment se faire belle pour celui dont elle s’est éprise depuis le premier jour. Alors, après un long moment assise sur le rebord de son lit, avant de s’être laissé glisser sur le sol, Mina se saisit de la robe en satin, bordeaux, qu’elle a acheté pour l’occasion. Ce sera elle, un point c’est tout. Cheveux lâchés, elle va les laisser tomber en cascade sur ses épaules et son dos, une fois séchés, pour enfiler une jolie paire d’escarpins noirs, signé par monsieur Louboutin. Une fois prête, c’est une veste ample, noire, oversize, qu’elle passe afin de ne pas attraper du mal. Aucun bijou n’est présent à ses oreilles ou sur sa peau. Elle s’est appréciée ainsi, en se jaugeant dans le miroir sur pieds avant de se saisir des clés de sa voiture pour se rendre au lieu-dit. Une fois sur place, elle la verrouille et s’approche pour apercevoir Scylla. Un immense sourire naît alors sur son visage quand elle s’abaisse afin de la caresser et ainsi la saluer. « Bonsoir toi. Où est donc ton papa ? » Hélios, elle le cherche du regard quand elle l’aperçoit au bord du ponton, en train de s’essuyer. Vêtu uniquement d’un bermuda qui se veut tremper, tout comme lui, elle peine à avaler sa salive. Son cœur s’affole, par ailleurs, et elle sent la chaleur monter à ses joues. « C’est moi. » Elle prononce pour toute réponse, bien qu’elle retienne l’horrible surnom qu’il lui a donné. Il est le seul à pouvoir l’en affubler, mais il semble aimer en abuser. « C’est dans cette tenue que tu vas dîner ? » Elle fait référence à sa tenue et esquisse un sourire, autant le taquiner, elle aussi.

La réponse presque timide de Mina me prouve que le surnom était peut-être de trop. Je réplique d'un fin sourire, jouant de ma serviette afin d'éponger mes boucles blondes sans pour autant m'approcher de trop près. A dire vrai, je nage dans des eaux inconnues et ce manque de connaissance m'effraie. La lueur brille dans le fond de mes yeux azurés, mais intérieurement, un terrible orage gronde. Je n'ai aucune idée de ce que je suis censé faire, ou même dire, et les conseils de Gauthier ne me sont d'aucune utilité. A croire que mon majordome et mentor se trouve définitivement dans un autre temps, un temps où l'on offrait une fleur pour accueillir sa dame, ou cette dernière était chaperonnée et où l'étalage de sentiments n'avait décidément pas sa place. Non le classique bermuda, c'est quand même démodé ! que je lance dans un petit rire amusé. Je poursuis mon séchage avec vigueur et empressement, alors que Scylla vient à mon pied, prête à me faire signe lorsque je déciderais de bouger. Si tu m'accordes quelques minutes, je vais me faire plus présentable que je murmure presque en quittant son regard, non sans me diriger à tâtons vers la cabane, guidée par la patte de mon ange gardien à quatre pattes. Je n'ai guère le luxe de jouer les ultra coquets, aussi le smoking m'est apparu comme [i]too much[/b]. A la place, j'ai opté pour une chemise blanche, ainsi qu'une veste et un pantalon de costume, les deux d'une couleur noire faisant parfaitement ressortir le bleu de mes iris. J'achève le séchage de mes cheveux avant de les coiffer avec mes doigts, ne pouvant hélas m'aider d'aucun miroir afin d'être certain d'apparaître présentable. Bon... advienne que pourra ! que je me console en sortant à nouveau, cette fois magistral et armé d'une rose blanche. J'esquisse tout d'abord une révérence avant de m'approcher et de me pencher à nouveau, présentant cette fois la fleur dont le parfum délicat titille mes narines. Histoire que tu pardonnes l'emploi de ce surnom peut-être un poil trop... familier d'entrée de jeu ? Ma voix est grave, assurée, à des années lumières de la lutte intérieure se jouant dans l'intégralité de mon corps. Je suis certain que tu es aussi sublime que dans mon souvenir... si ce n'est davantage.

A peine sorti du cabanon que déjà, les fragrances sucrées du parfum de Mina conduit mon esprit vers des cieux extrêmement élevés. L'imagination est à son comble alors que la magnifique brune détaille sa tenue, les détails de ses cheveux, le fait d'avoir ôté ses escarpins... je n'ai pas eu besoin de prononcer la moindre syllabe, ni à demander. Mon interlocutrice semble s'être déjà mise à ma place, celle d'un futur aveugle qui ne peut désormais plus compter sur sur son ouïe et son toucher, ou presque. Sublime ? Non, je ne crois pas. Ce qui l'est en revanche, c'est ta prévenance. Mes doigts tremblent sous le coup de l'émotion alors que j'effleure la peau satinée de Mina, épousant doucement sa joue. D'un geste empreint de délicatesse, je laisse jouer ces derniers contre sa mâchoire, puis son cou, n'ayant qu'une destination : frôler sa longue chevelure et titiller une boucle afin de m'imprégner de leur douceur. Je ferme délicatement les yeux alors que l'émotion est à son comble. Je pourrais presque entendre mon propre cœur battre à chaque respiration tant ce dernier s'affole. Ferme un instant les yeux... que je murmure doucement à son oreille avant de déposer un baiser aussi frêle qu'une brise printanière contre sa joue. Je n'ose pas m'avancer, risquer le mauvais pas... alors mon comportement rejoint le sien : la laisser imaginer, offrir à son esprit une autre façon de percevoir l'autre. Je m'empare de ses mains et les place dans un premier temps contre ma nuque. Mes cheveux ont été coupés, bien que toujours aussi blonds. Je guide ses mains une nouvelle fois, contre mes pectoraux. Je porte une cicatrice de balle, ainsi que plusieurs cicatrices sur mes flans que je poursuis en plaçant délicatement ses mains, offrant à ces derniers la possibilité d'effleurer ce qui constitue d'anciennes blessures. Et j'ai moi aussi acheté ce costume pour l'occasion... Cette fois, c'est un petit rire qui s'échappe de mes lèvres, alors que je porte les doigts frêles de Mina à mes lèvres.

Je me contente dans un premier temps de hocher positivement la tête à l'évocation de Gauthier. Le père que je n'ai jamais eu, mon plus fidèle conseiller et confident, cet homme en présence duquel je peux être moi-même, sans artifice, sans faux semblant. Disons également que Gauthier n'aurait jamais risqué que des mains trop inexpérimentées touchent à ma chevelure que j'énonce dans un petit rire amusé. Amusement qui s'efface quelques secondes alors que Mina s'émeut de mes cicatrices, les responsables de mon état actuel à bien des égards. J'entoure ses frêles doigts à l'aide des miens, et les porte une nouvelle fois à mes lippes afin de lui offrir toute la chaleur dont mon être est capable. C'est du passé, ma princesse. Ce qui importe... c'est ici et maintenant. En tout cas à mes yeux... Mes iris turquoises se perdent un instant dans le vague alors que je n'ai aucunement lâché ses mains, les caressant à l'aide de mes pouces. Sa demande me bouleverse. L'embrasser... frôler cette partie de son corps plus sensible que toutes les autres réunies, et ainsi communier avec son âme et nos sentiments mutuels. Pardonne-moi. Je n'ai pas vraiment les codes. Alors... je risque d'être souvent maladroit... Jamais auparavant n'ai-je eu un contact aussi profond avec autrui. Aussi, comme pour l'apprivoiser et ainsi faire appel à toute la douceur qui me caractérise, je pense mon visage afin d'embrasser d'abord sa joue, dans un baiser semblable à une délicate brise marine. Les battements de mon cœur font de grandes embardées alors que je poursuis par un florilège de petits baisers contre sa mâchoire, tout en m'approchant progressivement du trésor que Mina m'offre. Si je fais mal les choses... a... arrête-moi d'accord ? J'ai prononcé ces mots dans un véritable murmure, comme pour faire comprendre à la magnifique brune qu'elle seule entendra ces choses de ma part. Timidement, je frôle ses lèvres des miennes, appuyant à peine ma présence contre la sienne alors que mon palpitant fait plusieurs ratés. L'ambroisie de l'instant semble suspendu alors que j'ose approfondir cette caresse, avec l'impression d'être un drogué en manque de son élixir. Si je détache ses doigts des miens, ce n'est que pour la serrer davantage contre moi, en créant des sortes d'arabesques de caresses dans son dos. Tout en elle m'appelle : le grain de sa peau, sa chaleur... et, au-dessus de tout cela, les deux monts palpitants auxquels je goûte tel un assoiffé. Tout dans mon baiser n'est que caresse, délicatesse, désir d'apprivoiser l'autre. Ce n'est que progressivement que j'ose entrouvrir davantage mes lèvres afin d'approfondir cette danse langoureuse. Je ne m'écarte au bout d'un long moment, déposant mon front contre le sien, légèrement essoufflé à cause de l'émotion. Ce n'était pas... trop horrible ? que j'articule non sans sentir ma voix émettre de légers tremblements d'appréhension.

Un petit sourire continue d'étirer mes lèvres alors que je profite de cet instant sans penser à l'après, sans réfléchir, me laissant simplement guider par mes émotions. Une grande première pour moi, cérébral jusqu'au bout de la matière grise. Mina fait fondre une à une chacune des barrières créé depuis mon accident afin de me protéger du monde extérieur... faut-il que je sois fou pour me lancer dans l'aventure sans protection ni baudrier de secours, mais je crois que là, tout de suite, je m'en fous. Gauthier lui-même m'aurait interdit de donner mes cheveux en pâture à n'importe qui... que je reprends d'une voix tendre, déposant mes lèvres contre sa belle chevelure au passage. La sentir se tendre à l'évocation du braquage de banque responsable de ma cécité galopante me fendille le cœur, au bout que je vienne à m'emparer de son visage en coupe à l'aide de mes mains. C'est du passé, désormais. S'il y a une chose que cette expérience m'a apprise... c'est de regarder l'horizon, quitte à l'imaginer plus qu'autre chose. Et mon horizon, c'est toi, car nous regardons ensemble dans la même direction. Mes prunelles azurées tentent de se fixer sur celles de Mina, en vain. Je devine les traits délicats de son visage plus que je ne peux les contempler, mais si l'émotion est hautement visible dans le fond de mes yeux, ce n'est pas une émotion négative, bien au contraire. Sois mes yeux, Mina. Si tu serres ma main et embrasse mes lèvres, alors je jure ce jour de ne plus jamais te quitter. L'étincelle du baiser qu'elle m'a donné fait battre mon cœur avec tant de force que je m'en sens fébrile. Il me faut toute ma contenance pour ne pas m'effondrer séant, et probablement est-ce pour cela que j'entoure son corps fin de mes bras puissants, non sans douceur, afin qu'elle puisse avoir le loisir d'écouter mon palpitant s'agiter et battre à toute berzingue. Il ne bat désormais plus que pour toi. Les trois mots ne dépassent pas encore la barrière de mes lippes, mais cela viendra. J'ai confiance.