Malgré mon dégoût certain pour l'avion et toute la pollution que ce dernier était capable de produire, le retour se déroula sans accroc et autant dire que je n'étais pas fâché de retrouver cette chaleureuse maison que Gauthier avait entièrement décoré lui-même. Tout y était adapté pour me faciliter la vie, et, comble du confort à mes yeux, la bâtisse était auto suffisante en eau grâce à un puits, en électricité grâce aux panneaux solaires mais contenait un jardin et une serre pouvant produire chaque fruit et légume parfaitement adaptés à une alimentation équilibrée. Je n'avais pas honte d'appeler cet endroit mon chez moi bien que le côté tendu de mon majordome et ami ne m'a évidemment pas échappé. Si j'avais attendu que Kazuo soit dans ses appartements pour parler à cœur ouvert en sa compagnie, ce qu'il m'indiquait me fit froncer les sourcils. Depuis quand tu prends ce genre de décision sans m'en parler ?! que j'explosais de rage en ouvrant la porte du salon dans un geste vif, retrouvant le japonais en larmes. Tout mon élan venait d'être réduit à néant alors que mon esprit décortiquait les mots qu'il venait d'entendre. La voilà la raison du renvoi... Gauthier pensait sans doute que les sentiments de Kazuo seraient incompatible avec la fonction première étant la sienne. Au départ, ma seule réaction fut de me racler la gorge. Planté tel un piquet de gare, je ne parvenais même pas à discerner son ombre à cause de la luminosité de la fenêtre. Le japonais pouvait être n'importe où, seule mon ouïe m'en informerait. Je sais que Gauthier peut-être psychorigide mais il a pris cette décision sans m'en informer. Il n'est pas question que tu t'en ailles, tu es ici chez toi. Mon comportement connotait sérieusement avec la fragilité évidente de Kazuo. Mon problème, c'est cette perpétuelle envie de ne pas être un boulet. Tu n'es pas obligé de... me perdre. Je ne compte pas disparaître. Enfin pas tout de suite en tout cas.

Mon attention est rivée sur Kazuo, sur les mots qu'il vient de prononcer et qui me plongent encore dans une profonde réflexion. Personne ne l'a jamais su en dehors de Gauthier, mais jamais je ne me suis mis en couple. Eu des aventures oui, avec des femmes, des hommes, des frissons et des émotions fortes, mais jamais aussi puissantes que l'amour avec un grand A. J'estime mon nom trop lourd à porter, et le protocole allant avec bien trop envahissant pour l'imposer à quiconque. Voilà l'unique raison de mon silence actuel, sur le côté sentimental du moins. Je demeure un grand ours un poil bourru mais possédant un cœur en guimauve, pour quiconque me connaît suffisamment et a préalablement gratté la surface du polissage princier. A ceci près que Gauthier aurait dû m'en parler avant de te renvoyer comme un malpropre que je reprends presque trop sérieux, tâchant de conserver un rien de contenance. Sans oublier que je suis responsable de ma blessure et que je sais prendre mes responsabilités. Après... libre à toi de ne pas vouloir rester comme employé - tu sais à quel point j'exècre ce mot, en prime - mais comme invité. Je tends la main au japonais, mon regard exprimant mon sentiment profond à la place de mon visage. Mais Kazuo se trouve bientôt dans mes bras, s'étant à moitié cassé la figure de là où il se trouvait au préalable. Faut pas grimper quand on est maladroit... que j'éclate de rire en secouant négativement la tête. Le taxi est déjà annulé, Gauthier s'en charge et a payé la partie de la course effectuée. Inutile de te faire du mauvais sang pour ça. Ceci étant... tu ne m'as pas dit en quelle qualité tu voulais rester. Employé... ou autre.

Un sourire amusé et touché soulève bientôt mes lèvres aux propos de Kazuo. Le renvoyer ? J'ai déjà pris deux balles pour le protéger. Il est davantage un père pour moi qu'un vulgaire employé. Gauthier pourrait changer de patron et être embauché chez n'importe qui... mais il a choisit de rester à mes côtés, que j'ai besoin ou pas de son assistance. Il est le père que je n'ai jamais eu... et je suis le fils qu'il n'a jamais eu. Si d'ordinaire je garde pour moi ces considérations secrètes ainsi que la raison de mon coma ou de la perte de ma vue, le jeune japonais ne sait que trop bien ce qui nous unit, et la complicité se jouant entre nous. Même ma propre mère n'est jamais allée contre, malgré ses réticences et la familiarité née entre Gauthier et moi. De toute évidence, j'aurais coupé les ponts avec ma PDG de mère plutôt qu'avec mon mentor, celui-là même qui a pu conserver les fondations de mon être. Je ne dis pas que tout est de ma faute, non. Juste cette fois-là j'ai paniqué. Chose que je ne fais jamais, ou en tout cas pas depuis fort longtemps... Alors que Kazuo s'ouvre peu à peu à moi et met entre mes mains un papier spécial, mon sourire se fait plus ému encore. Peu habitué à ce genre d'effusion à mon égard, ou en tout cas de façon aussi sincère, je laisse mes doigts découvrir la matière ainsi que le message à l'intérieur. Mais il est possible que dans un futur proche, je sois nommé à un titre plus important. Je sais que je t'en parle de façon un peu abrupte et inattendue, mais... si tu apprécies l'étudiant, le sportif, l'aveugle... supporteras-tu un prince ?

La remarque du japonais me fait légèrement grimacer. Non pas que cela me mette en colère – il n'en faudrait mille fois plus pour me fait sortir de mes gongs – mais je me retrouve pourtant à subir la perte de ma vue de plein fouet. A mes yeux turquoises, les photos ne sont plus vraiment d'actualité, ou même importantes. Peut-être qu'il n'y a pas de photo pour une raison tout à fait objective... que je soupire doucement, m'éloignant physiquement de Kazuo afin d'encaisser. Tout ce qui touche de près ou de loin à cette foutue balle dans mon cerveau me hérisse. Bien que je sache ô combien mon interlocuteur ne pense pas à mal, du mal, cela m'en fait irrémédiablement. Je me laisse toucher, emporté par la tendresse du moment qui tranche de façon aiguisée avec le mal être que je ressens à l'instant présent. Je voudrais ne jamais avoir mis les pieds à Boston, et ne pas avoir eu à protéger Gauthier. Je crois que si je ne voulais pas de toi, tu ne serais pas là, n'est-ce pas ? Mon ton demeure doux, compréhensif, accessible.Je touche et apprivoise le message caché dans le papier par nul autre que Kazuo, avant que mes bras protecteurs ne s'enroulent autour de son corps. Ma main caresse son dos, comme si je m'excusais d'avoir pu être blessé par ses propos. A croire que, définitivement, je demeure douceur et compréhension même face aux cicatrices les plus profondes. Reste près de moi... sont mes derniers propos avant que je n'embrasse son front. Ma maladresse demeure, elle aussi.