la réunion avec la directrice des beaux art s'est super bien passé. je suis content de pouvoir donner des cours dès la rentrée de septembre. un peu stressé, forcément. c'est la première fois que je vais avoir ce statut de prof. même si c'est qu'une fois par semaine, à des adultes désireux d'apprendre à gribouiller sur une feuille. ça me rend euphorique. content de pouvoir partager ma passion avec les autres. leur montrer quelques techniques que j'ai acquise avec le temps. leur faire découvrir ce qui m'anime au quotidien. et c'est la raison de ma présence ici. je me dis que venir un dimanche sera plus cool qu'en semaine. j'ai pas envie de m'emmerder avec le monde. je viens de passer un temps fou dans ce magasin, à choisir minutieusement tout mon matériel. j'ai pas envie de faire les choses à moitié. je crois que mon côté perfectionniste s'exprime encore une fois ici. toujours dans le domaine de l'art. pourquoi suis-je incapable d'être aussi pointilleux sur ma vie personnel ? je prends une grande inspiration et m'avance jusqu'à la caisse. articles déposés sur le tapis. je relève les yeux et te vois me dévisager. un fin sourire orne mes lèvres. je te laisse mijoter. moi je t'ai reconnu mais j'ai pas l'impression que ça soit le cas de ton côté. ta voix me confirme ton identité. et quand tu me demandes si on se connait, je lâche un petit rire. « c'est pas qu'une impression » je pose le dernier article sur le tapis puis reporte mon attention sur toi. « si j'te dis arlan ? » ça devrait faire tilt dans ta tête. ou pas. si ça se trouve c'est pas toi du tout et je me plante en beauté. l'impression est partagée, je ne suis pas fou.

tes doutes sont contagieux. et si tu n'es pas venus ? bah c'est tout, je passerai pour un con. j'ai l'habitude de ça. regard de défi que je te lance. je te laisse chercher, puiser dans ta mémoire. finalement, je ne te donnerais pas plus d'indice que tu n'en as déjà. mon prénom et mon visage. tu réfléchis à voix haute mais ça a l'air difficile. je me tais. te laissant te dépatouiller avec ta mémoire. « mon age » je finis ta phrase d'un air amusé. ton raisonnement est bon venus. j'ai bien grandis. je ne suis plus le arlan que tu as connu. ce pré-ado en pleine mutation. t'as les yeux qui s'écarquillent quand enfin les fils se touchent dans ton cerveau. « ouais c'est moi » éclat de rire. et j'ai pas le temps de dire quoi que ce soit de plus que déjà tu fais le tour du comptoir pour te jeter dans mes bras. « oh heu... » je ne m'attendais pas à ça, merde. je fais quoi là ? t'es euphorique et moi je suis juste gêné. les bras levés tel un innocent prit en flagrant délit. je finis par les enrouler autour de toi. pas trop. je sais pas. c'est gênant. « moi aussi je suis content de te voir, c'est ... surprenant ! » je pensais que tu avais quitté le pays. foutu le camp définitivement. ça fait vraiment bizarre de pouvoir te voir et te parler. t'es tactile. j'ai pas l'habitude de ça. c'est déroutant. « je ... heu ... merci » et en plus tu me fais un compliment. j'ai certainement viré au rose sur les joues. « je vis ici maintenant. j'ai suivi mes frères et soeurs, j'suis à havard, j'étudie l'art, tu t'en doutes bien » tu m'as toujours trouvé doué en dessin. je crois que t'as été ma première fan. ou alors je me suis fais cette idée là dans ma tête. « je vends quelques tableaux et à la rentrée je vais donner des cours, d'où mes achats » je pointe du doigt le tapis. « et toi alors, qu'est ce que tu fais là ? » des deux, c'est ta présence qui est la plus surprenante.

j'ignore encore comment c'est possible de tomber sur toi. quelles étaient les probabilités pour que tu sois toi la caissière ? j'en sais rien mais gagner au loto me semblait beaucoup plus accessible que de t'avoir en face de moi. c'est incroyable. je n'en crois pas mes yeux. et ce petit sourire qui semble avoir élu domicile sur mes lèvres. je ne le quitte pas. c'est dingue que tu sois ici. de toutes les villes d'amérique, du monde, il a fallut que tu viennes à boston. j'ai tant de questions à te poser, notamment sur ton départ. je me suis toujours demandé pourquoi tu as pris la poudre d'escampette sans prévenir personne. sans me prévenir. ton absence a laissé un vide si immense dans ma vie. je ne côtoyais pas grand monde, j'avais pas d'amis. t'étais ma babysitter merde, tu m'as vu grandir et tu t'es occupé de moi tellement mieux que mes propres soeurs. que ma propre mère. « t'es la première à avoir cru en moi, j'pouvais que continuer dans cette voie » j'ai d'ailleurs quelques dessins de toi mais ça,  c'est un détail que je garde bien précieusement pour moi. « bah écoute, j'te montrerai à l'occasion » si l'occasion se présente. j'espère qu'elle se présentera. comme un gosse qui veut montrer ce qu'il sait faire à un proche. j'ai hâte de te montrer de quoi je suis capable. à quel point j'ai évolué depuis tout ce temps. mais en attendant, j'ai des questions pour toi. en espérant que tu auras des réponses pour moi. tu hésites. tu me réponds qu'à moitié. mon regard se tourne vers le client suivant. « comme tu veux, j'veux pas te mettre en retard » ou t'attirer des ennuis ici. je reporte mon attention sur toi. t'as l'air un peu contrariée. « heu carrément ouais, avec plaisir ! » étincelle dans ma voix. je range les articles dans le sac et procède au règlement. « je vais déposer ça chez moi et je t'attends dans une heure devant le magasin, c'est bon pour toi ? » attrape mon sac et t'affiche mon plus sourire. « à tout à l'heure alors » et je quitte l'enseigne pour faire un aller retour chez moi. le temps de poser mes achats. je n'habite pas tout près. cambridge. et comme je fais tout à pieds, j'ai juste le temps de revenir à ton magasin. je me poste sur le trottoir d'en face. je ne veux vraiment pas que ma présence crée le moindre souci avec tes collègues ou avec ta supérieure. je me déclare un petit joint en t'attendant. mine de rien, tu remues le passé là. après une bonne dizaine de minutes à guetter le magasin, tu sors enfin. je lève mon cul du rebord de la fenêtre et me dirige vers toi. « pas trop dur de bosser un dimanche ? » que je te demande en rigolant légèrement, le joint quasiment terminé entre mes doigts.

le joint parfaitement posé entre mes doigts, je fixe le magasin, en attendant la fin de ton service. je t'aperçois de temps en temps à travers la vitre. et je te regarde, les yeux légèrement plissés. je m'interroge. qu'est ce qui t'amène ici venus ? de toutes les villes du monde, il a fallut qu'on se croise ici. que tu travailles dans un magasin tel que celui là. pourquoi ? qu'est ce qui a fait que tu en es là aujourd'hui ? j'ai tellement de questions sans réponses. j'ai besoin de savoir la vérité. de retracer ton parcours. savoir ce qui t'amène et quel genre de vie tu peux bien mener ici, à boston. tu n'es pas à harvard, tu me l'aurais dit quand je te l'ai annoncé. alors quoi ? t'as échoué ici juste pour être vendeuse ? je ne peux pas le croire. tu aspires à beaucoup mieux que ça. ou alors je fais fausse route et tu carrément épanouie dans ta vie. t'as toujours ce sourire rayonnant. ça signifie que tu es surement heureuse. je l'espère pour toi en tout cas. « tu m'étonnes, ce n'est plus de ton age les soirées beuveries d'étudiants » je te taquine sur ton age. je ne sais plus combien on a d'écart exactement. cinq ou six ans de mémoire. tu prends mon joint et fais semblant de le jeter à la poubelle. mes yeux s'écarquillent. nan, fais pas le con jeannette. « évidemment c'est thérapeutique. j'vais chez le médecin tous les mois pour renouveler mon ordonnance » et le pire c'est que c'est vrai. ça m'aide énormément à canaliser mes pensées. à éviter que je ne parte dans l'excès de mon côté hypersensible. ça calme aussi les angoisses que je peux avoir au quotidien. « allez rends-moi ça ou prends une taffe mais le jette pas » c'est tout ce que je te demande. ne gâche surtout pas. haussement d'épaules à ta proposition. n'importe. je ne suis pas difficile pour la nourriture, je suis juste fauché. « on va s'chercher un mcdo et on le mange sur la plage ? » y'en a un pas loin. on est en été, il fait beau, il fait chaud alors autant en profiter. on prend la route, direction la grande enseigne de fastfood. je me tourne vers toi, l'air intrigué. j'ai tellement de questions à te poser mais je n'ai pas envie de passer pour le lourd de service. alors que je vais me contenter de celle ci. « bon dis moi en toute franchise comment tu vas ? »

tu ne vas quand même pas faire ça ? sais tu seulement le prix que ça coûte ? même si c'est à but thérapeutique et délivré sur ordonnance, ça n'a pas toujours été le cas. ça coûte une blinde et je n'ai absolument pas envie que tu gâches ce qu'il reste. c'est précieux. c'est sans doute ce que j'ai de plus précieux dans ma vie d'ailleurs. mon seul moyen pour canaliser mes émotions. m'éviter de péter un câble, fondre en larmes ou m'angoisser à la moindre occasion. dès qu'un surplus d'émotions vient contrarier mon équilibre déjà très instable. « merci » me voilà soulagé lorsque tu le reposes contre mes lèvres. il ne reste pas grand chose mais c'est pour le principe. je le rallume et tire dessus. maintenant que le pire a été évité, je te demande comment tu vas réellement et tu me réponds que tu es juste fatiguée. haussement d'épaules. de nos jours, tout le monde est crevé pour rien. nous n'avons pas la force des anciens. « okay, je vais donc me contenter de cette réponse » haussement d'épaules. je me doute bien qu'il y a autre chose derrière mais mon apprentissage des codes sociaux m'a fait comprendre de ne pas trop insister. si quelqu'un n'a pas envie de parler, ça ne sert à rien du tout d'insister. ça fait pire que mieux. on va chercher mcdo. on se pose ensuite sur le sable. tu ne touches pas à la nourriture. pourquoi ? putain, c'est de la torture, j'ai trop la dalle. ça sent bon et ça va être froid. je te regarde quand tu commences à parler. fais chier. j'aime pas parler de moi. « bah si j'vais bien. regarde moi, je suis devenu un grand gaillard. je suis à harvard pour réaliser mon rêve, je commence à vendre quelques tableaux. je me fais tout doucement une place dans le milieu de l'art. c'est dur mais je m'accroche » je détourne un peu la conversation. j'ai pas envie de parler de mes parents et encore moins de ma soeur que tu connais bien. si ça se trouve, vous parlez toutes les deux, j'en sais rien moi. « tu ne m'as pas abandonnée t'en fais pas. j'ai eu une autre babysitter ça s'est bien passé. j'ai juste pas compris pourquoi t'es partie sans même me dire aurevoir. personne n'a compris d'ailleurs. » tu as fuis comme une voleuse. j'avoue que j'aimerais bien savoir pourquoi mais libre à toi de me le dire ou non.