La plage, les vagues qui vont et viennent en une ritournelle ne connaissant jamais de fin, voilà le spectacle qu'admirent mes prunelles sombres en ce début de soirée. Je suis vêtu d'un pantalon de jean blanc et d'une chemise noire ouverte, mains dans les poches, je profite de la brise marine avant de me saisir de mon fidèle cellulaire. Hello mon stagiaire préféré ! Petite mission pour toi... rendez-vous au bar de l'hôtel dans 5 min si t'es dispo ? En arrivant au Summer Camp, j'ai glissé l'idée à l'oreille de Hyun : devenir davantage qu'un simple stagiaire mal payé et vivre une expérience différente en ma compagnie. Le pousser, voir jusqu'où ses tripes sont en mesure de le porter et, s'il est prêt à se lancer malgré le fait qu'il lui reste une année à Harvard, commencer à prendre des dossiers concrets. Mon cabinet marche du feu de dieu, ma réputation me précédant, il ne me manque donc qu'un bras droit pour parfaire l'équation. Mon professionnalisme chevillé au corps implique ne pas laisser les émotions me submerger et enfoncer trop le clou pour un premier essai, j'ai plusieurs dossiers qui mériteraient un second avis ainsi que pléthore de possibilités pour le tester autour de moi, dans la seconde. Un petit défi n'a jamais tué personne, et je sais d'ors et déjà que le jeune homme en a dans le bide. Mon instinct ne m'a jamais fait défaut jusque là, et je ne pense pas que cela changera aujourd'hui.

Il ne me faut pas dix secondes pour comprendre que mon stagiaire s'est mis la race de sa vie la veille. On pourrait presque dire qu'il empeste l'alcool à dix kilomètres, mais plutôt que de donner dans l'insulte d'entrée de jeu, j'ôte ses lunettes de soleil avant de grogner. Et tu penses devenir avocat avec un comportement aussi puéril ? Merde, j'étais prêt à lui offrir une place plus importante, une place que beaucoup d'étudiants de Harvard rêverait de posséder avant même d'être diplômé mais là, tout de suite, il ne mérite aucun égard. Je dépose donc les lunettes sur le comptoir avant de quitter mon siège, non seulement déçu, mais agacé. Tu ne mérites même pas le titre de stagiaire de mon cabinet. J'étais prêt à passer à la vitesse supérieure mais puisque tu sembles plus occupé à faire la fête et à te pointer devant moi en mode zombie, je vais te laisser décuver et chercher quelqu'un d'autre sur qui je puisse compter. N'oublie pas ce que je t'ai dit quand j'ai accepté ta présence : être dispo à n'importe quel moment. Toujours joignable. Mais si c'est pour avoir les vapeurs d'alcool sous le nez, ce n'était même pas la peine de te déplacer que je reprends d'un ton aussi professionnel que froid, avant de répliquer pour finir : aucun cabinet digne de ce nom ne t'engagera, ou alors si... les plus pourris où tu feras juste de la commission d'office. Une belle carrière t'attend ! Un petit rire moqueur s'échappe de mes lèvres alors que je m'éloigne, ruminant ma déception.

La présence de la main de Hyun contre la mienne fait l'effet d'une brûlure tant la colère résonne sourdement en moi. En un dixième de seconde, je me suis retourné et lui fait désormais face, pour mieux m'apercevoir que ce n'est plus l'élève de Droit en pleine gueule de bois, mais un enfant perdu. Blessé. Abandonné à son triste sort alors que son bourreau court toujours. La contemplation de cet état de fait me glace le sang sans crier gare. Et tu m'expliques pourquoi tu as préféré te blinder le sang d'alcool plutôt que de m'en parler? Mes mots paraissent aussi aiguisés que le fil d'un sabre de samouraï et pourtant, bien que sourcils fortement froncés, mes prunelles sombres ne laissent échapper aucune colère. Douceur et compréhension sont mes mots d'ordre. Un sourire échappe toutefois à la vigilance de mon esprit brillant alors que je pose une main rassurante contre l'épaule de celui qui m'assiste depuis quelques mois maintenant. Maintenant deux choix. Soit tu te lamentes au fond de ta bouteille et tu te déglingues la santé... soit tu cherches un moyen de le faire payer à mes côtés. Aucune situation n'est perdue ou désespérée tant qu'il reste une solution qui n'a pas été approfondie. Curieusement, je me demande si mes propos parviendront jusqu'à lui et donneront à mon comparse et futur collègue envie de se battre. Je n'ai hélas nullement le temps de réagir que déjà, Hyun manque de s'écrouler. Mes sens à vif me permettent de lui attraper le bras et de l'aider à s'asseoir. Tout douuux...tu as mangé ? La tête qui tourne? L'inquiétude parle. Mais le diabétique de type trois également.

Je crois que si l'on ne s'était pas rendu compte de mon air agacé, le fait que je vienne de lever les yeux au ciel achève cet état de fait. Et c'est reparti... être un homme, ce n'est pas se cacher dans le fond d'une bouteille. C'est savoir quand demander un coup de main ! que je lâche sans ménagement, non pas pour blesser mon protégé, mais afin qu'il réagisse. S'il avait évoqué ce problème avant, j'aurais pu prendre des mesures bien plus tôt. A la place, je me retrouvais en train de courir pour rattraper le wagon et l'avocat ultra organisé que je suis avait bien du mal à l'avaler. Tu ne sais pas vers qui te tourner, sérieusement ? Je pensais l'avoir mieux formé que ça. Il faut croire que je me suis bien planté, et que le rapport de confiance est réduit à peau de chagrin. Je ne sais pas si je dois te secouer jusqu'à ce que tu te rappelles que tu as bossé pour un avocat doué, ou si je dois te laisser le comprendre tout seul. Je soupire de plus belle en demandant un café serré au barman, dépité. En fait tu n'as strictement rien retenu de tout ce que je t'ai appris ?! que je m'étrangle à moitié en pensant à toute l'instruction que je lui avais offerte sur un plateau en lui montrant qu'une ligne peut être cryptée. Et encore, il ne s'agissait là que d'une possibilité parmi tant d'autres. A croire qu'il ait envie de se retrouver seul dans la merde, mais plutôt que de l'accabler, je préférais vider la tasse du café ristretto tout juste servi.