Désorienté et perdu. De multiples sensations semblables à autant de poignards aiguisés lancés contre mon corps m'ont poussé à me recroqueviller contre moi-même, dans un endroit si exigu que je me revois sept ans plus tôt, lors de ce braquage ayant manqué de nous coûter la vie, à Gauthier et à moi. Les deux grandes mains dissimulant mon crâne, genoux ramenés contre mon torse qui peine à se soulever pour respirer convenablement... la solitude, pourtant mon fardeau quotidien désormais, ne m'est jamais apparue aussi inextricable et insupportable. Bientôt, c'est l'ensemble de mon corps qui joue un rythme de balancier afin de laisser la crise de panique s'estomper. Hélas, depuis trente minutes que je suis enfermé maintenant, rien ne se calme. Rien ne s'apaise. Ni ma respiration erratique, ni les battements irréguliers de mon cœur, et encore moins la peur panique de rester dans cette cage sombre pour le restant de mes jours. Cette peur, la raison en est simple : Kazuo n'était pas présent dans la chambre à mon réveil. Rien d'autre ne m'ayant répondu qu'un gigantesque silence, l'assurance de mon tempérament s'est aussitôt effritée. Je l'ai cherché pourtant. Du moins ai-je essayé, mais dans cet hôtel immense, blindé de personnel m'ayant bousculé à de nombreuses reprises, je me suis perdu dans tous les sens du terme. Dans la précipitation, j'ai même trouvé mon t-shirt et provoqué une égratignure qui saigne encore, mais dont la douleur n'est même pas une indication à l'heure actuelle. Pas avec l'adrénaline coulant dans mes veines à la seconde. Un... deux... trois... que je murmure en tâchant de me souvenir des conseils de Gauthier en cas de crise de panique dans un lieu inconnu. Mais si cela ne fonctionne pas le moins du monde, je serre mon foulard porte-bonheur dans ma main, alors que mes poings se retrouvent désormais serrés contre mes genoux, ma tête fixant un point dans le vide.

Le sang s'écoule en filets de ma plaie mais la douleur n'est toujours pas une information que mon esprit est capable de gérer ou de capter. Tout ce que mes neurones comprennent, c'est l'endroit exigu dans lequel je me trouve, dont je ne suis plus en mesure de bouger ou de m'échapper. on ne pourrait pas passer un fil entre mes poings tellement ces derniers sont serrés au maximum, au même titre que mes mâchoires, qui commencent à être douloureuses. Tout en mon corps n'est que tension, rien d'autre. Pour un peu, mon ouïe pourtant bien plus aiguisée que la normale n'entend ni porte qui s'ouvre, ni voix douce, ni l'être qui se rapproche pourtant de moi. Mes propres cordes vocales continuent à compter inlassablement, espérant que cette méthode réussira à calmer la panique qui poursuit son avancée dans l'intégralité de mon être. La seule chose qui me coupe dans cet élan, c'est une caresse. Des lèvres pressées contre les miennes. Un geste semblable à un souffle, une brise, si fugace que je crains d'avoir totalement imaginé la chose, tout à ma peur. Ka... Ma voix est brisée. La douleur est davantage dans mon esprit que dans mon corps, ce dernier ne parvenant toujours pas à s'apaiser et à se défendre. Kazuo... Si je ne fais pas un rêve, que je n'ai pas de fièvre et que je n'hallucine pas non plus, le jeune japonais se trouve à mes côtés et caresse doucement mes mains. Si mes poings ne se desserrent pas encore, les battements de mon cœur s'apaisent très progressivement. Ça sent... le fer... Je fronce un brin les sourcils, choqué, dans une conscience tout à fait relative. Le sang... Ma plaie saigne toujours. Elle saigne d'ailleurs relativement abondement, et l'odeur qui me vient subitement aux narines balaye, pour une seconde, le baiser que mon cerveau est en train d'analyser.

La douleur n'est même pas une donnée à l'heure actuelle. Non pas que je sois quelqu'un de douillet - un sportif de ma carrure s'est outrepasser la douleur et non s'y résigner pour la laisser l'emporter - mais c'est le côté mouillé de mon t-shirt qui m'indique que quelque chose cloche, avant que l'odeur de ferraille ne vienne chatouiller mes narines. Le sang est une fragrance désagréable pour quiconque possède un odorat un poil plus développé que la moyenne. Si je me suis souvent blessé par le passé, et vu plus de sang que je ne pourrais le décrire, cette odeur me déplaît et ajoute du stress à mon palier de stress déjà dépassé depuis une bonne heure. Je ne serre même pas les dents alors que Kazuo applique une sorte de soins de première intention, c'est un mot qui me fait réagir. Ho... hôpital ?! Cette fois, ma panique est telle que je saute du dos du jeune japonais tel un cabri. Lui qui avait déjà mal au dos, et qui venait d'ailleurs juste de me soulever du sol, je me dégage de son étreinte sans ménagement. Il n'est pas question une seconde que je me retrouve dans un environnement javellisé au possible, qui fera très certainement remonter des souvenirs dont je n'ai pas besoin pour l'instant. Pas d'hôpital ! Je reste ici ! Je suis bien ici ! Mon poing serre toujours le foulard, tandis que ma plaie, elle, s'est agrandie à cause de mes conneries. Je fais les cents pas dans cette pièce minuscule, donnant la fâcheuse impression d'être un lion en cage, prêt à mordre. Du moins je pense être toujours dans la pièce où mon ombre m'a trouvé, alors que nous sommes sorti d'un ascenseur. Je perds toute notion du temps... et de l'espace là, de suite, dans ce couloir désert qui borde l'entrée. Je suis où... JE SUIS OU !!

J'ai passé tellement de temps à l'hôpital que j'ai l'impression, même maintenant, que ce dernier rythme ma vie. L'environnement qui empeste la javel, le blanc des murs, les bips incessants... plutôt mourir que de revivre ne serait-ce qu'une heure dans un lieu pareil, à plus forte raison que nous ne sommes pas aux USA et que je n'ai aucune idée de ce que peut bien valoir les hôpitaux de la région. Mon corps demeure tendu, et je suis incapable de me détendre, bien que Kazuo s'applique à faire en sorte de me faire penser à autre chose. C'est... pas ta faute... La solitude me réussissait, avant que mon monde ne sombre peu à peu dans les ténèbres. Le simple fait de me savoir si dépendant de quelqu'un m'arrache le cœur, et pourtant je sais combien le jeune japonais fait des efforts pour me rendre la vie plus facile. Tu as le droit... tu as le droit de sortir, je ne devrais pas avoir autant besoin de quelqu'un, je suis un grand garçon... je devrais pouvoir me réveiller seul, m'occuper seul, ne pas paniquer parce que le silence m'entoure... je ne devrais pas... Mon interlocuteur embrasse bientôt mes paupières et ce geste apaise un brin les battements erratiques de mon cœur. Je ramène mes genoux contre mon torse, effectuant toujours ce petit balancier afin de me concentrer sur un geste, un rythme bien précis. Une seule personne a déjà fait ça pour moi... embrasser mes yeux... Les souvenirs ne me reviennent pas, mais la sensation est là quoi qu'il en soit. Une sensation... agréable. Je ferme à nouveau les yeux lorsqu'il place le casque contre mes oreilles, cherchant très certainement à m'offrir un peu de calme au milieu de la tempête. Pas d'hôpital... pas d'hôpital et tant pis si j'ai une infection... Une larme s'échappe de mon œil droit, mais je ne bouge pas d'un pouce. A dire vrai, je crois ne pas être en mesure de me calmer.

Mon esprit est brumeux, marqué par cette panique dont je ne parviens décemment pas à me débarrasser. Je voudrais pouvoir faire des checkups à l'hôpital sans craindre d'y rester des mois, ou d'y rester tout court... mais une partie de mon âme reste accrochée à l'idée que rien ne s'est déroulé comme prévu lorsque j'ai été pris en charge aux urgences après le braquage. L'éclat de balle dans ma tête n'a pu être extrait, pas comme celui de l'épaule. Et aujourd'hui, dans cette pièce semblant se rétrécir au fil des secondes, et alors que le silence offert par le casque de Kazuo me calme juste un tantinet, je réponds, sans réfléchir au préalable : Pourquoi tu dis encore ? La peur du jeune japonais me paraît trop réelle pour qu'elle ne m'explose pas d'évidence au visage. Délicatement, j'attrape son poignet afin d'en sentir son pouls, et ce que je découvre me fait froncer les sourcils. Son inquiétude est vraie. Réelle. Belle et bien là. J'en oublie un instant ma blessure physique pour ôter le casque prêté et me relever de toute ma hauteur. Tu sais apparemment des choses que j'ignore... mais ça s'arrête ici et maintenant si tu veux que la confiance demeure entre toi et moi. Les secrets sont la seule chose au monde que je ne peux décemment pas supporter. J'ai vécu toute mon enfance dans le mensonge... alors c'est une donnée que je refuse de cautionner davantage, d'où qu'elle vienne. Alors ? Je veux savoir si je me suis planté. Je veux savoir si j'ai fait confiance à la bonne ou à la mauvaise personne, et pire, si Gauthier est au courant... mais concernant mon majordome, la question attendra, au même titre que ma blessure, bien que cette dernière saigne toujours.