Vacances, okay. Mais tatillon comme je suis, impossible pour moi de rester le cul sur un transat à siroter des cocktails sans double, triple checker ce qu'il se passe au cabinet. A peine rentré de cette épreuve de stop qui m'a donné plus d'une fois envie de hurler contre la connerie humaine, je me pose effectivement sur un transat, effectivement avec un cocktail - caïpirinha bonjour - mais accompagné de mon ordinateur portable et de trois dossiers dont la taille pourrait faire tourner de l’œil n'importe quel avocat débutant. L'affaire sur laquelle je planche actuellement impliquant un nouveau-né maltraité, il y a urgence, et ma concentration est donc telle que je ne vois ni n'entends la personne s'installer à côté de moi. Je fronce les sourcils, je tapote sur le clavier, je prends des notes sur un carnet semblant avoir vécu plusieurs guerres... jusqu'au moment précis où une voix tout sauf agréable à mes esgourdes fend l'atmosphère sonore. Je ne sursaute mais pas descend mes lunettes sur mon nez afin de prendre pleinement conscience de l'identité du presque parfait inconnu à mes côtés. Tiens, un revenant... que je lâche d'un ton amusé, non sans remettre le nez dans mon dossier aussi sec. S'il cherche une joute verbale ou quelqu'un à martyriser, je ne suis ni d'humeur ni dans un timing impeccable. Toujours du genre à juger et à détester sans connaître ? J'énonce cette vérité comme celle de l'année : après tout, il ne me connaît pas, je ne le connaît pas, mais il dégage une animosité à mon égard qui me surprends pour un futur avocat. Ne pas juger sur simple apparence est le b.a. ba du métier mais sans doute le fait d'avoir accompagné Lex au bal reste au cœur du problème. Ceci étant, je n'ai pas non plus de temps pour faire le tri dans les amourettes des uns et des autres. Au pire, ils peuvent toujours se proposer en tant que scénariste des Feux de l'Amour, ça aurait sûrement du succès dans le genre ! L'idée m'amuse, et m'arrache un petit sourire en coin au passage avant qu'une donnée de mon dossier, tout juste reçue par mail, ne me fasse perdre toute euphorie. Putain de merde...

Quelque chose dans cette situation me dérange. D'ordinaire, si on est capable de me haïr autant que de m'apprécier, c'est pour une raison objective, implacable, que nul ne pourrait nier. Là, je suis dans le camp des mauvais pour avoir accompagné une demoiselle à un bal. Mon culot est soigneusement en train de me pousser à crever l'abcès, et le texto que je viens de recevoir, bien loin de m'offrir des nouvelles réjouissantes, m'encourage plus encore à oser ce que j'aurais soigneusement maîtrisé en temps normal. Elle t'aime, tu sais. Clair, précis, sans bavure. J'avoue ne pas connaître le fin fond de l'histoire et leur relationnel ne me regarde en rien, mais j'opte pour la carte du gars culotté qui n'aime pas laisser entériner une situation merdique. Tu peux avoir toute la haine du monde à mon égard, je n'ai ni désir de me mettre entre vous ni même franchement le temps de m'en mêler. J'aime juste que les choses soient claires, carrées. Si tu veux me détester pour une raison fumeuse ou bien éviter ma présence, très bien. Mais ne le fais pas pour des raisons de merde n'ayant strictement rien à voir avec la choucroute. Mon culot ne me donnait pas le droit d'offrir des détails sur ledit relationnel entre l'hidalgo et la blonde, je ne fis donc aucun autre commentaire. A la place, un petit sourire amusé s'installe sur mon visage et je propose, quitte à éviter une porte dans la gueule : je te paie un verre avant d'aller enlever un gosse à son père qui le tabasse ? Raison de mon appel, ainsi que du langage peu fleuri employé. Mais au moins, j'essaie. Si l'homme en face de moi décline... alors je ne pourrais pas m'en vouloir d'avoir tenté.

Je crois que si je ne m'offrais pas l'Oscar du type le plus antipathique de l'année lorsque je m'y mets, l'espagnol serait très certainement lauréat. Rien en lui n'attire la sympathie, et pourtant j'ai presque envie de lui laisser le bénéfice du doute. Il ne répond rien en dehors de quelques soupirs çà et là qui en disent clairement long sur sa façon de me considérer, et je m'attendais à ce qu'il m'envoie sur les roses face à ma proposition, mais non. A croire que mon interlocuteur peut me surprendre, moi qui n'est plus étonné par grand-chose. Je préfère Iron Man. Le slip et la cape, c'est quand même du déjà vu... que j'ironise en l'incitant à me suivre à une table, craignant de devoir le regarder dans le blanc des yeux pendant des plombes avant qu'il ne daigne desserrer les dents. D'ordinaire, le silence ne me met pas sur les nerfs, mais j'ignore ce que l'amoureux de Lex pense. A mon sujet, je ne pense pas me tromper en disant qu'il a envie de me vaudouter avec des pics jusqu'à ce que mort s'en suive, mais de façon plus générale, ce type est un mystère. Puisqu'il n'a pas répondu à mon allusion à la blonde, ou à tous les autres sujets de conversation que j'ai bien pu mettre sur le tapis jusqu'à lors, j'opte pour quelque chose de plus simple. Qu'est-ce que tu prends ? J'en viens même à lui tendre la carte qui se trouvait de mon côté de la table. Désormais, libre à lui d'opter pour le blanc des yeux, en silence... ou pour rouvrir la conversation que, personnellement, je n'ai plus envie d'entretenir si c'est pour me prendre des soupirs en guise de réponse. Qui sait ? Peut-être parviendra-t-il au miracle de m'étonner pour la seconde fois en l'espace de cinq minutes.