mes pas titubent. j’ai bien bu, c’est indéniable. l’alcool a été une solution refuge pour moi. ma sœur s’obstine à faire de ma vie un enfer. mon mood n’est pas celui que j’espérais. je ne profite pas des vacances. de cette pause bien méritée dans les études. la douloureuse impression que rien ne fonctionne comme il le devrait. goût amer d’emprisonnement. j’ai besoin de légèreté. de liberté. enfermé dans mes pensées, je quitte le nightclub et prends la direction de mon appartement. flemme de dépenser du fric dans un uber. je vais marcher. prendre l’air ne me fera pas de mal. la musique dans les oreilles pour me donner un semblant de contenance, j’avance. trace ma route, perdu dans mes pensées. la solitude m’accompagne ce soir. besoin d’une petite introspection. je calme mes pensées. mes maux. brise légère qui vient caresser mon visage, je finis par apprécier ce tête à tête avec moi-même. sensibilité accrue. plongé dans mon monde. ma bulle. je n’entends pas la voiture rouler alors que je traverse sans regarder. choc brutal. mon corps est expulsé plus loin. la voiture se barre sans même ralentir. un douloureux « putain »  s’échappe de mes lèvres. au sol. j’ai encore connaissance, je ressens la douleur. je ne comprends pas ce qu’il m’arrive ou peut-être que si. quelques secondes de latence. bourdonnement intense dans ma tête. je tente de me redresser mais mes côtes me font souffrir. « tu peux m’aider à me relever ? » j’ignore qui c’est, si même cette silhouette est réelle ou pas. mais si elle l’est, elle a le pouvoir de m’achever en un coup. c’est la première fois de ma vie que je me sens aussi désorienté, vulnérable et désemparé. je suis à terre.

le bourdonnement dans la tête m’empêche de réfléchir. d’analyser la situation. le choc a été violent. c’est comme ça que je l’ai ressenti. l’avant de la voiture m’a percuté, mon corps en a été propulsé en arrière. la douleur se concentre dans les cotes. j’ai assez mal pour ne pas être capable de me relever. on est que dalle, j’ai pas envie de crever là. je lutte contre un état que je ne comprends pas. et cette voix qui se fraye un chemin dans le bruit assourdissant de ma tête. elle me dit de ne pas bouger. mes yeux se posent difficilement sur elle. « nan pas l’hôpital s’il te plaît, pas l’hôpital » je la supplie. l’alcool et le choc me font divaguer. j’ai besoin de soins. sûrement un traumatisme crânien dans le meilleur des cas. « j’vais bien … ça va mieux » mensonge qui sort de ma bouche en essayant de la dissuader d’appeler les secours. personne ne peut me croire mais mon idée semble fixe, je ne veux pas aller à l’hôpital. « j’ai juste un peu … mal au ventre » je me tords sous la douleur. je dois me rendre à l’évidence, il faut appeler les secours.

tu as cette voix que je ne connais pas. je t'entends parler mais je ne comprends pas tout ce qu'il se passe autour de moi. tu parles. je vois tes lèvres bouger mais je ne comprends rien à ce que tu dis. ce n'est pas à moi que tu t'adresses. t'es au téléphone. « nan ... pas l'hôpital, s'il te plait ... » je n'ai pas envie d'y aller même s'il le faut. ça pourrait être grave. je ne suis pas conscience de la gravité de la situation. l'impact m'a propulsé un peu plus loin. mon corps a heurté le sol mais heureusement que la voiture ne roulait pas très vite. « arlan » tu me demandes mon prénom pour quoi faire ? « et toi ? » j'essaie de lever mon bras mais mon torse me fait affreusement mal. j'annule bien vite la tentative de trouver mon téléphone. « ouais je... j'ai bien bu » un peu trop surement. je pensais que rentrer à pieds allait me faire du bien. grossière erreur. je te regarde. je ne te quitte plus des yeux. t'es ce qui a le plus de sens en cet instant hors du temps. « reste avec moi, ne me laisse pas tout seul » je suis perdu. désorienté. t'es la seule chose à laquelle je me raccroche. j'ai peur. je ne le montre pas mais cela doit se voir. se ressentir. « s'il te plait » je te supplie, toi cette fille que je ne connais pas. je te prie de ne pas m'abandonner là. 

même si tout est confus, je me raccroche à toi. à ton regard sur moi. j'essaie de chercher la douceur, la bienveillance mais j'y vois aussi beaucoup de détresse. d'inquiétude. saloperie d'hypersensibilité qui ne me met quasiment aucun voile devant les émotions des autres. j'ai très peur. je me sens vulnérable. j'attrape ta main, j'ai pas envie que tu me laisses là, sur le bord de la route. comme une vulgaire épave. tu t'appelles evie. « tu me le rediras plus tard okay ? je risque de ne pas m'en souvenir » déjà que j'ai du mal à retenir les prénoms en temps normal, là c'est presque mission impossible. je te demande de ne pas t'éloigner. et mieux que ça, de venir avec moi à l'hôpital. tu m'assures que tu seras là jusqu'au bout. je ne sais pas si c'est la fin. la douleur me fait divaguer. les secondes me semblent être interminables. « merci » je ne sais pas quoi dire pour te remercier d'être là. je n'ose imaginer ce qu'il se serait passé si j'avais été tout seul. je déglutis en voyant les lumières des secours. c'est mon heure. je suis nerveux. mon corps tremble malgré moi. je ne lâche pas ta main. je vous entends parler les pompiers et toi. je ne vois rien, juste le ciel. on va s'occuper de moi ? je suis perdu. j'essaie de tourner la tête mais le bourdonnement est insupportable. enfin quelqu'un devant moi, dans mon champ de vision. on me pose des questions, je réponds à moitié. je te cherche des yeux. t'es où evie ? t'avais dit que tu resterais avec moi.  

c'est bête à dire mais l'arrivée des pompiers me fait beaucoup de bien. me détend. c'est presque instinctif. je suis pris en charge. ils vont s'occuper de moi. l'impression d'être entre de bonnes mains et la peur de ne plus sentir la tienne. je te cherche des yeux mais je ne te vois. toi, mon seul repère presque connu. j'ai reporté sur toi. t'étais ce qui me raccrochais au sensé. au réel. maintenant je suis dans le flou le plus complet. je ne reconnais plus rien ni personne. et c'est avec une sirène stridente qu'on me conduit à l'hôpital. [...] une batterie de tests plus tard, on me reconduit à la chambre. j'ignore quelle heure il est. ce que j'ai exactement. je n'ai croisé aucun médecin, juste des infirmières qui m'ont pompés le sang et photographié le torse aux rayons x. le brancardier entre dans la chambre. je suis allongé sur le lit. ils m'ont donné des cachets et mis sous perfusion. j'ai sans doute meilleure mine que tout à l'heure. ou pas. je pose les yeux sur toi. « t'es resté ? » un flot d'émotions m'envahit. j'en ai presque les larmes aux yeux. t'étais pas obligée de rester et d'attendre mais tu l'as fait. et je crois que c'est la première fois que quelqu'un fait quelque chose d'aussi touchant pour moi.