Plus besoin de m'étonner du retard de Gauthier, car il n'y a que mon majordome unique et préféré pour se perdre en excuses. Je pose délicatement les deux poids précédemment utilisés pour le travail de mes biceps, avant d'offrir un sourire éclatant à celui qui ne m'a jamais abandonné, quelle que soit la tempête essuyée. Puis-je vous suggérer l'utilisation d'une serviette, Monsieur ? Cette fois, c'est un petit rire qui s'échappe de mes lèvres, à la fois étonné et amusé de ce côté mère-poule que cet homme se plaît à m'offrir chaque jour de façon plus appuyée que la veille. Gauthier, vous remplacez définitivement le beurre et la margarine que je cabotine en acceptant ladite serviette afin d'essuyer mon visage à peine secoué par l'effort. Mon entraînement va de paire avec mon endurance, aussi j'opte pour quelques tractions lorsqu'une odeur marine tout à fait caractéristique chatouille bientôt mes narines. Je redescends et m'étonne, en me rapprochant de l'odeur, que cette personne ait gardé un tel silence depuis le départ. De toute évidence le coach d'aujourd'hui n'est pas le même. Odeur marine contre odeur de transpiration insupportable, nettement plus sympa ! En revanche, je n'ai pas capté votre nom ? Façon habile et polie de faire valoir qu'en entrant dans une pièce, et plus spécifiquement lorsque son interlocuteur ne peut pas vous voir, qu'il est de coutume de saluer et se présenter. Du moins, dans le monde d'Hélios...

Un monde tout nouveau s'offrait à moi, insaisissable pour beaucoup ne comptant que sur leur vue. Pourtant, il suffisait de se concentrer quelques instants et fermer les paupières pour s'attarder sur ce qui, en temps normal, pouvait paraître insignifiant. Une odeur sucrée, le bruissement des arbres, un chant d'oiseau. En l'occurrence, l'habile mélange de sel et d'eau de mer chatouille mes narines alors que le premier sportif venu y verrait sans nul doute une simple absence d'odeur de transpiration. Agréable, cela dit en passant, car compenser un sens aussi important par l'ouïe, le toucher et l'odorat impliquait quelques épisodes désagréables, comme celui de devoir supporter l'odeur corporelle intense selon les individus. J'apprécie l'attention que je réponds en attendant qu'il ait terminé, fidèle à mon éducation, et notamment au fait de ne jamais couper la parole. J'apprécie autant l'attente dont il a fait preuve pour s'annoncer, mais également l'aide qu'il vient de m'apporter en me donnant ma bouteille d'eau. Gauthier s'efface sans attendre face à cet état de fait, convaincu que je sois entre de bonnes mains. Le connaissant, il restera au moins durant cette session, jetant des œillades çà et là afin d'être définitivement assuré que je ne cours aucun danger d'aucune sorte. L'honneur est tout à fait réciproque, Monsieur Ôya. Gauthier a dû vous faire passer tout un interrogatoire pour ce poste et j'en suis navré. Il est... tatillon lorsqu'il s'agit de ma sécurité et de l'étiquette allant également avec. Oserais-je vous demander si vous avez des origines japonaises ? Peut-être le jeune homme en face de moi - dont la voix ne me fait pas imaginer qu'il soit plus âgé que moi - me trouvera culotté et impoli, les coutumes japonaises étant pour ainsi dire totalement opposées à celles de l'Occident. Pourtant, ce n'est pas de l'impolitesse qui me pousse à poser ladite question, mais un intérêt pour le pays, que j'ai visité à de nombreuses reprises, et pour lequel j'ai une affection toute particulière. Les circonstances m'incitent à vous proposer de m'appeler par mon prénom, si toutefois cela ne vous choque pas. Après tout, nous ne sommes pas en société mais bien dans un endroit assez... convivial. Hélios conviendra, à mon sens. Un sourire avenant et sincère peuple désormais mes lèvres, avant que je ne prenne, enfin, le temps de me désaltérer en petites gorgées espacées.

Bien loin de moi l'idée de faire preuve d'un quelconque irrespect ou de choquer mon interlocuteur, mais la situation m'amuse. Gauthier ne montre d'ordinaire jamais de preuve réelle de son affection envers moi, se contentant de se présenter comme mon majordome. Les élans plus particuliers ne sont gardés que pour les moments où personne d'autre ne peut nous voir, nous entendre et plus encore nous écouter. Cet homme, pilier de mon existence entière, n'est pas seulement un serviteur, non. C'est un indispensable, le père que n'avait jamais eu. Faut-il qu'il ait cru en vous au premier coup d’œil pour s'épancher de cette façon que je note entre deux gorgées. Tsuna... j'avoue ne pas connaître mais étant quelqu'un de curieux, je suis sûr que mes pas finiront par me porter à nouveau dans ce beau pays qui est le vôtre. En revanche, le terme de servitude me déplaît un brin. J'en fronce d'ailleurs les sourcils à son évocation, avant de déposer soigneusement ma bouteille d'eau sur la petite chaise qui m'est réservée. Deux pas en comptant l'endroit où je me trouve, et aucun obstacle au passage... du moins que je pensais avant d'être lourdement bousculé par une espèce de brute sans respect. Je souris alors que Kazuo checke soigneusement l'absence de blessure apparente avant d'exécuter un mouvement qui me surprends : attraper le type par le col et le plaquer de telle façon que ce dernier se trouve à genoux devant moi. Ce n'est pas utile d'en arriver là... ceci dit, quand on bouscule, on s'excuse. Moindre des choses... que je souffle sans brutalité, incitant l'inconnu à se redresser et à quitter mon environnement personnel. J'attends que nous ne soyons plus que tous les deux avec celui qui doit être mon coach pour soupirer doucement. Je suis certes mal voyant, mais je ne suis pas en sucre, vous savez que je m'amuse à noter sans cacher cette douceur agréable qui m'entoure à l'idée d'être protéger et de ne pas devoir me protéger, pour une fois. J'entends votre façon de voir les choses aussi vous appellerais-je Monsieur Ôya de mon côté également. Ceci étant... vous me servez pas. Vous êtes un partenaire, un coach. Il ne doit pas exister de dominant et de dominé, non. Je vois cela plutôt comme un partenariat. Qui implique, et je m'en excuse par avance, que je doive parfois toucher ne serait-ce que vos mains afin d'en connaître le bon placement. Le toucher est devenu ma vue, au même titre que l'ouïe et l'odorat. Je me doute qu'être touché ne doit pas forcément être une habitude, et si cela vous gêne, je vous incite à me le dire sans détour. Je suis quelqu'un qui s'adapte. Petit clin d’œil pour appuyer mes propos. Oui, je reste quelqu'un de solaire et charmant, quelles que soient les circonstances.

L'entendre manquer de prononcer mon prénom soulève le bord de mes lèvres en un petit rictus amusé, bien que non moqueur. Probablement s'adaptera-t-il plus vite encore qu'il ne le pense, et c'est très certainement ce qu'a décelé Gauthier lors de l'interrogatoire de rigueur. Si mes yeux ne me sont plus que d'une utilité somme toute relative, mon majordome garde ce sens extraordinairement aiguisé, comme si cela pouvait me sauver la vie. Dans une certaine mesure, oui, cela me la sauve, me permettant notamment de faire des rencontres inattendues que, dans d'autres circonstances, je n'aurais jamais fait. Qui a dit que nous étions pressés ? que je reprends de mon sempiternel ton enjoué, attrapant la serviette où je l'ai laissé précédemment pour commencer ma route vers l'emplacement aquatique du centre sportif, que je côtoie de temps en temps, lorsque la mer manque trop à mon cœur. En l'occurrence, c'est plutôt le jeune japonais qui m'en a donné l'envie, mais tout de même. L'eau sera parfaite. Mes mains en avant, je tâtonne et avance à mon rythme, doucement mais sûrement comme on dit. Je crois que je ne suis pas encore totalement habitué à ce que l'on me prenne le bras pour me guider, comme un gentleman le ferait pour accompagner une belle jeune femme à l'un des nombreux pince-fesses de la haute société. Chacun son tempérament... et ma fierté demeure un frein, à mon corps défendant. Ne soyez pas stressés parce que vous ne m'appelez pas par mon prénom. Je proposais pour que ce soit plus confortable, pour l'un comme pour l'autre, mais il n'existe pas d'obligation. L'important c'est que vous soyez à l'aise, car cela ne va pas que dans un sens dans mon monde à moi. D'où le fait que le terme service ne soit pas vraiment un terme que j'affectionne. Partenariat est beaucoup moins insultant et rabaissant pour votre personne. Et je ne dis pas que je suis un partenaire très facile non plus, je le crains...

La curiosité de Kazuo ne fait pas que m'amuser ou me permettre de passer un moment unique, non. Elle m'intrigue également. Le japonais ne semble pas voir les choses de la même façon que moi et cela me plaît. Mieux encore, cela m'aide à être plus à l'aise, notamment au niveau de mes mouvements. Aussi, avant même que d'avoir prononcé la plus petite syllabe, je pénètre avec précaution dans l'onde tiède non sans pousser un long soupir de satisfaction. L'eau est un élément à part. Il défie la gravité terrestre, permet à des corps très grièvement blessés de se mouvoir quand même... outre cette source de vie, j'aime l'idée de ne pas avoir à réagir d'une façon similaire à la terre ferme. Je peux avoir besoin de votre soutien... comme tâcher de ne pas en avoir besoin. Mon explication touchant à sa fin, je mets à exécution ce que je viens d'étendre au cœur de mon discours avant que Kazuo lui-même ne me surprenne une nouvelle fois. J'ai vu beaucoup de noirceur et d'égocentrisme dans mon existence. Je ne tiens pas à n'être qu'un pauvre privilégié sans rien d'autre à l'intérieur qu'une coquille vide... Alors je tends la main qui est la mienne. À ma façon. Alors non nous ne faisons pas affaire au sens propre du terme, mais vous êtes une sorte de guide. Et rien qu'avec ce mot, à mes yeux meurtris, il ne peut exister servitude. J'ignore si le jeune homme comprend le message que j'essaie de faire passer. Tout en ayant bon espoir que, si tel n'est pas le cas, notre séjour commun du Summer Camp nous y aidera.