Après l’heure ce n’est plus l’heure, si bien que celui qui se prétend encore étudiant passé la petite trentaine à fait avancer sa montre d'une quinzaine de minutes pour se présenter au laboratoire avant elle. L’aiguille trottine encore tranquillement jusqu’à l’horaire qu’il lui a donné, sa montre soigneusement déposée sur le bord de la paillasse pendant qu’il entame un sandwich fraichement acheté dans le premier distributeur qu’il a croisé.

Pas le temps de s’arrêter à la cafétéria ou de rentrer chez lui, ses soirées sont en cette fin d’année des plus overbookées parce qu’entre les cours du soir qu’il donne et ses propres recherches, il en oublierait presque de s’alimenter. Mais ce soir il a pris le temps de s’arrêter devant la vitre pour y glisser sa monnaie et maintenant, tout doit être à sa place, ses doigts corrigeant sans cesse la position de son gobelet qu’il ne juge pas appropriée, tantôt décalé de deux centimètres sur la droite pour rectifier le tir dix secondes plus tard.  C’est un tic qu’il préfère ne pas remarquer, mâchant sans rechigner tout en observant ses notes crayonnées sur un bloc de mauvaise qualité. Il considère chaque nombre comme potentiellement faux, chaque équation comme incorrecte avec un mélange d’indignation et de sévérité. Un peu plus loin les séquences d’analyses ont débuté sur l’ordinateur que le scientifique a programmé dès son arrivée et un décompte sur l’écran ne cesse de chuter, les chiffres défilant à toute vitesse au rythme des secondes écoulées et derrière, en fond d’écran, le report du microscope où se divisent les cellules qu’il teste en culture.

Le reste de sa paillasse est couvert par des magazines de recherches et des recueils scientifiques relatant des effets néfastes des virus sur le règne du vivant. Ce qu’ils doivent étudier n’est autre qu’une plante d’agriculture attaquée sciemment par une maladie déjà rencontrée, des tissus végétaux contaminés volontairement, le tout sous contrôle d’une barrière de confinement. Pas de graine, ils doivent trouver le moyen d’initier le processus de régénération de la plante sans passer par la genèse habituelle. Puis l’annonce d’un bip sonore le coupe net dans ses pensées, attirant son attention tandis qu’il pose sur le côté son casse-croute en prenant soin de ne rien émietter. Dans un mouvement de recul sa chaise roule jusqu’au pupitre qu’il bouscule légèrement et se retourne, pivote sur lui-même, afin de contempler silencieusement du résultat. Un encadré sanglant clignote tout autour des indications négatives. « Merde. » Il lui faut recommencer un échantillon avec de nouvelles protéines et acides aminés. « B12 négatif… » C’est ainsi que les plus éminents chercheurs font pour avancer, en se parlant à eux même, signe d’une intelligence supérieure. Il en jette son crayon de papier sur le plan de travail qu’il a délaissé pour y revenir lentement, les roulements couinant sur le carrelage que des femmes de ménage viennent astiquer deux fois par semaine. D’une main perdue à la base de sa nuque il accuse un coup de fatigue mais aussi de lassitude faute de trouver la réponse à son problème.

Ce serait un mensonge que de dire que j’avais envie de venir travailler sur un de nos projets ce soir, bien au contraire, étant rentrée hier, aujourd’hui, tout ce que je voulais c’était mon appartement et engueuler tous les employés qui ont cru mieux gérer que moi la WW. Mais plus fort que ma mauvaise foi, il y a une chose que je ne supporte pas, je n’arrive même pas à l’envisager, parce que l’idée ne fait pas partie de me réalité. L’échec. Malgré mes absences, mes besoins de m’éloigner, ma fausse crise d’adolescence. Alors j’ai répondu par la positive à sa piqûre de rappel par sms, parce que j’ai beau être une pétasse égoïste, je n’ai, jusque-là en tous cas, jamais foiré un TD. La défaite n’a jamais trouvé sa place dans le dictionnaire de mon vocabulaire et ce depuis des années.

De plus, il y a un autre détail qui est venu obscurcir ce retour à la réalité. Qui n’arrête pas de popper sur l’écran de mon téléphone. Les conversations avec mes copines qui ne tournent autour que d’un seul et unique sujet. Ce putain de bal de fin d’année. Car si j’ai décidé de laisser à Sheng de la liberté, lui permettre d’inviter sa novice pour qu’elle puisse vivre son foutu conte de fée, pour mieux l’emmerder l’an prochain lorsque ce sera pour l’Adams et moi, le dernier. Il n’en reste pas moins que d’après elles, c’est un véritable point noir de me savoir sans cavalier. Il faut le dire, pour une seule soirée, le féminisme n’en finit pas de reculer. Mais aussi forte soit Wendy Witter, elle ne peut pas se montrer au bal sans cavalier. C’est une tache sur le tableau que ça ferait.

Alors j’ai l’esprit ailleurs lorsque je traverse les couloirs menant jusqu’aux laboratoires, dans mon esprit c’est une valse interminable, rythmée par le bruit de mes talons contre le sol carrelé, presque c’est un tempo qui sait me rassurer. Et d’entre tout ce à quoi je me dois de penser, lorsque je pousse la porte de la salle où l’on doit se retrouver, je ne m’étonne pas de voir l’étudiant déjà présent. Rat de laboratoire, c’est certes ma première pensée, mais ma langue je la mords, ne compte pas tout de suite l’agacer, puisqu’il me faut rattraper ces jours que j’ai loupé.

J’approche du plan de travail où il est posté – lui aussi paumé dans ses pensées – et c’est sur le plan en face du sien que je délaisse mon sac avant de m’approcher, d’un regard je jauge les nombreuses revues étalées, commente d’un sarcasme non-dissimulé, « Et après c’est moi la bordélique. » une manière plutôt simple de m’annoncer, même si je me doute que ma présence, il l’avait relevée. D’ailleurs, parlant de bordel, c’est volontairement que je pose mon cellulaire sur les magazines, un sourire carnassier sur les lèvres… qui s’éteint lorsque je reçois une énième notification et je sais pertinemment de quoi il s’agit, si bien que lorsque je repose mes prunelles sur Dan, s’impose dans ma tête un « Et si… ? »

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I am the somebody
End of fucking story.

L’échantillon entre ses doigts trouvent le chemin d’une bannette ou mousse un composé liquide, actif dès que la lamelle est immergée, nettoyant toute trace de résidu organique. L’étudiant n’en est pas à son premier essai mais il ne désespère pas pour autant, couchant sur papier les résultats encore figés sur l’écran. Si la préparation B12 ainsi que ces prédécesseurs n’ont pas fonctionné, ce n’est qu’une question de temps et de patience avant de trouver le bon ratio, le bon qui saura réactiver les cellules lésées. Massant de ses doigts sa nuque sous l’épaisse chevelure noire jais, il dépose son stylo avant de reprendre ce qu’il avait entamé et poursuit dans ses réflexions tout en mastiquant, s’essuyant machinalement sur sa blouse avant de remplir le vide entre les lignes.

Plongé dans ses pensées, il n’a pas entendu ou fait mine de ne pas entendre les pas de celle qui vient se joindre à la partie, raturant encore quelques au lieu de les effacer. C’est toujours plus pratique pour lui s’il veut reprendre le cheminement depuis le début afin de vérifier ses calculs. De l’autre côté de la paillasse elle dépose ses affaires et jauge de la sienne, petit bordel arrangé dans lequel il parvient malgré tout à se repérer. « Et après c’est moi la bordélique. » Il visualise alors sans mot dire ce qui est disposé et note ce geste qu’elle s’amuse à faire d’un œil mauvais avant de s’en retourner à ses notes en grondant : « C’est mon territoire que tu viens d’envahir. » Ses revues encore intactes qu’il chérit plus que tout, ses recherches qu’il ne partage que par obligation. Puis il y a ce déclic qui le dérange, la mine de son crayon terminant sa course sur un point appuyé à la tonalité d’un message qu’elle vient de recevoir. « Question de première année, comment appelle-t-on un être unicellulaire au matériel génétique diffus qui se reproduit par scissiparité en infectant un hôte ? » Parce qu’elle ne peut le nier, la pfo se nourrit de l’exaspération des autres et malgré tout, il en sourit derrière ses lunettes qu’il reglisse sur son nez, des verres anti-fatigue bon marché qu’il s’est dégoté afin de résister à la fatigue visuelle après des heures à étudier. «  Tiens, peux-tu me passer le mélange B13. » Si elle ne se décide pas à enfiler une blouse, c’est lui qui va doucement l'y pousser.

A la suite de ma réplique, ce que j’obtiens de l’étudiant ce n’est qu’une œillade sombre en direction de mon téléphone que je viens de déposer. Pour ma part, j’en lève les yeux au ciel, parce que je trouve qu’elle est minime, ma provocation. Vraiment, avec d’autres j’aurais pu faire pire, alors quand il reprend, je me contente d’un piètre soupir. « C’est mon territoire que tu viens d’envahir. » J’en lève mon index, l’air de lui balance un Certes seulement quelque part, c’est aussi le mien, puisque nous nous y retrouvons tous les deux plutôt souvent afin de nous adonner à ce petit jeu.

Alors je lui accorde le point jusqu’à un certain niveau, hochant le visage sur le côté, comme si j’étais tout de même en train de jauger. Un brin, de minauder. Mais une notification avorte mes mouvements, si bien qu’agacée je ne regarde même pas le nom écrit sur l’écran. « Question de première année, » et depuis quand ce nouveau rôle, il a décidé de se le donner ? Celui de prof particulier, « comment appelle-t-on un être unicellulaire au matériel génétique diffus qui se reproduit par scissiparité en infectant un hôte ? » Donc on en est là ? J’en fronce les sourcils les prunelles fixées sur lui, tandis que sur ses magazines vont trainer mes doigts.

Je pianote de mes ongles manucurés, en un son qui tend moi-même à m’irriter, la réflexion n’est pas compliquée lorsqu’on est comme nous deux, à l’aube de terminer notre avant-dernière année. De fait, je m’interroge plutôt sur le fond de sa pensée, si comme je le crois, c’est de moi qu’il est en train de parler. L’être unicellulaire venu l’infecter. C’est toujours aussi drôle lorsqu’un mec cérébral tel que lui s’essaie à mon amusement préféré. Les joutes verbales je les maitrise même quand elles sont intellectualisées. « Je te prierais de faire preuve d’un peu plus de respect envers ta partenaire préféré. » Le ton est mielleux, félin, digne d’un chat qui voudrait se moquer de sa proie.

Et certainement parce que je ne bouge pas, il demande « Tiens, peux-tu me passer le mélange B13. » et c’est parce que je reçois un nouveau message que je me fais docile pour exécuter le désir qu’il vient d’exprimer. De quelques pas, je me décale et trouve la mixture convoitée, c’est donc le dos tourné que je fais pendre vie à cette étrange idée. A ce et si qui traîne dans mon esprit. Qui est alimenté par ces notifications, me donnant envie de jeter, le téléphone contre le mur du laboratoire, mettre un terme à leurs délires, c’est bel et bien pour cela que je m’entends dire, « Dan, » marque un arrêt maitrisé, et je reviens vers l’intéressé, « T’as déjà une cavalière pour le bal ? » le tube à essai tendue à son intention, je me fais innocente dans l’attente de la réponse à ma question.

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« Je te prierais de faire preuve d’un peu plus de respect envers ta partenaire préféré. » Un petit sourire s’affiche sur ses lèvres alors qu’il a toujours le visage plongé sur ses notes personnelles parce qu’elle a compris où il voulait en venir, l’attaque insidieusement menée et qu’elle a su rondement interprétée. « Mmh » Faussement soucieux lorsque sa gorge émet un grognement pour afficher son acquiescement, il ne cherche néanmoins pas à l’observer, juste raye quelques nombres et le B12 qui n’est visiblement pas le composé recherché. Sa demande aussi elle l’interprète de la meilleure des façons, se retournant pour aller chercher de quoi satisfaire à curiosité, la rouquine ne revenait vers lui qu’une fois en possession du tube à essai. Elle le lui tend de ses doigts fins, manucure impeccable, un détail qu’il a déjà remarqué pour avoir plaisanté là-dessus durant leurs TD. A quoi bon des ongles de dix centimètres de long – paroles bercées d’exagération – lorsqu’il faut manipuler à travers des gants qu’elle pourrait percer ?

D’un geste calculé il attrape le contenant en verre hermétiquement fermé, précautionneusement parce qu’à l’intérieur réside peut-être la clé de ses recherches…de leurs recherches et l’ouvre en se retournant vers les lamelles qu’il a traitées. « Dan, » Encore une fois il reste imperturbable, plongeant une pipette dans la solution concentrée, en ponctionne minutieusement quelques millilitres qu’il applique sur la plaquette en verre et sur l’extrait végétal infecté. « T’as déjà une cavalière pour le bal ? » La solution déposée, la pipette reste pourtant là à survoler quelques secondes ce qu’il vient d’appliquer avant de retrouver un bac de décontamination. « Pas besoin, je n’y vais pas. » A quoi bon la lui poser, la réponse était évidente : bien sur que personne ne l’a invité puisqu’il n’est ni populaire ni captivant, merci de remuer le couteau dans la plaie, une attaque qui le touche même s’il ne veut le montrer, absorbé par le geste qu'il est en train d'effectuer en glissant jusqu'au microscope électronique. « Et pour y revenir, disons que je n’ai pas eu le choix. Alors « unique » serait plus approprié. » Et l’un dans l’autre c’est aussi un compliment qu’il vient de lui souffler, sachant ô combien la rousse est mégalomane et égocentrique. Il l’a déjà vue dans ses pires jours contre d’autres étudiants, a entendu des rumeurs même si lui n’a jamais rien demandé alors il sait combien il faut s’en méfier, comment l’amadouer.  

C’est sur le flacon qu’il se concentre, il ne m’accorde même pas une œillade, rien. Et j’avoue que pour une fille comme moi, ça m’a fait presque mal, la première fois. Parce que je suis plutôt habituée à voir les hommes se retourner sur moi. Du coup, mes propres prunelles déclinent des traits de son visage à la pipette qui dans le tube fait naufrage. Il récupère de la solution, tout à sa préparation et ne me prête toujours pas d’attention, même lorsque je prononce son prénom.

Alors j’avance malgré tout le fond de mes pensées, cette idée qui ne me paraît absolument plus idiote maintenant que je l’ai articulée. Et si je m’attends à ce qu’il comprenne directement, saute sur l’occasion, c’est à l’opposé qu’il me répond. « Pas besoin, je n’y vais pas. » Bon sang mais c’est que ça s’avère compliqué en plus de cela. Voilà-t-il pas qu’il va me faire le supplier, elle tourne au cauchemar d’avance, cette soirée.

De deux doigts, je malaxe mes tempes, pallie une possible migraine, parce que c’est limpide qu’il est capable de me la filer, songeant au fait que je vais devoir lui expliquer ce que j’attendais. Non pas une demande en bonne et due forme, non, ça, dessus, j’ai tiré un trait, mais au minimum que ça tilte, dans son esprit. Qu’il comprenne que si je lui demande cela, c’est pour y aller avec lui. « Et pour y revenir, disons que je n’ai pas eu le choix. » Les sourcils froncés, je peine une seconde à entendre où il veut en venir, ne pas avoir le choix de ne pas y aller ? « Alors « unique » serait plus approprié. » Non, à l’évidence, il revient sur le fait que je sois son binôme préféré. Ca me fait sourire, un rictus carnassier, les caresses sur mon égo, c’est toujours que ça me plaît. « Unique. » que je me permets de répéter, l’air satisfait, et ma langue claquant sur mon palais.

Mais d’un soupir, je reprends de mes pensées, le cheminement. C’est toute la résilience du monde qu’il me faut d’ailleurs pour m’y plier, j’ai cette sensation qu’avec lui, un simple, devient instinctivement, un compliqué. « Bon, vu que t’as pas compris l’allusion, » autant être honnête, un brin trop directe, mais ça commence un tantinet à me prendre la tête. Je me demande, du coup, si ma question, il va prendre le temps de l’analyser, et parce que je n’ai pas un grand besoin de passer par quatre chemins c’est sans tergiverser que j’y viens. « Tu veux être mon cavalier ? » Je le jure une fois ce détail réglé, je me mettrais à bosser.

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« Unique. » elle est contente de l’adjectif, cela s’entend au son de sa voix, accentué par ce tic nerveux dont elle fait preuve de si nombreuses fois. Et pourtant il n’aurait peut-être pas dû la flatter autant parce que maintenant elle risque de se sentir pousser des ailes dans cet espace confiné, son égo s’étoupant alors qu’ils n’ont que si peu de place pour coexister. Déjà que ce téléphone exaspère le violet, il ne manquerait plus qu’elle vienne s’assoir sur sa paillasse, les jambes et les bras croisés….

Mais fort heureusement pour lui, un simple soupire s’échappe de ses lèvres arquées. « Bon, vu que t’as pas compris l’allusion, » simplet, idiot, c’est vraiment ce qu’elle semble songer. Il a très bien compris que cet intérêt soudain pour sa personne et ses activités n’est pas sans raison. Peut-être a-t-elle une amie à caser…. Une invitée de dernière minute qui ne sait quoi faire de ses soirées alors que son hôtesse ira danser… Bien qu’il soit toujours penché sur ses notes, son cerveau ne cesse de tourner et de faire les différentes relations entre le bal, Wendy et lui. . « Tu veux être mon cavalier ? » La pointe de son stylo vient de déraper, restant inerte quelques secondes sans que la silhouette ne bouge, médusé, laissant les analyses suivre leur chemin seules sur l’écran du pc. « C’est une blague de mauvais gout Wendy. » Il a beau être éreinté par les heures qu’il enchaine, il sait néanmoins reconnaitre quand on se paye sa tête. La paume glissée sous sa chevelure noir geais, il se masse pensivement la nuque, devenue raide à force de contempler les cellules au travers des oculaires de son précieux matériel. « Tu dois vraiment être désespérée…. » Relevant ses lunettes pour coller ses yeux contre ces derniers, il ne lui prête toujours pas d’attention, juste un sourire qui en dit peut-être long. Un peu alarmiste concernant les prochains résultats, il a fait couler sur une seconde lamelle quelques gouttes du composé pour voir de ses propres yeux ce que le mélange peut donner. Et la plaquette de verre à présent sous son nez, de sa droite il ajuste et fait la mise au point en tournant avec soin la vis micrométrique. « Ou… » Toujours à relativiser sur les raisons, il susurre, focalisé sur ce flou artistique qui devient progressivement des bien zones délimitées. « C’est quoi le prix ? » Quel est l'enjeu de ce pari qu’elle a accepté ? Qu’il sache au moins à combien son amour propre est estimé….

Surprise moi-même par mes mots, un brin trop doucereux à mon goût, mais ça fait partie du jeu avec Dan après tout. Cela dit, je me renfrogne quand je remarque son mouvement un peu trop piqué à vif de la part de son stylo. J’ignore si c’est l’étonnement qui guide son geste ou bien la possibilité qu’il ose penser que ma proposition est ridicule à souhait. Dans les deux cas, on ne va pas se mentir, je préfèrerai encore le premier. Et parce que je n’en suis pas au point de m’écraser à le demander une nouvelle fois, je me contente d’attendre, silencieuse, jugeant ses actes et notant qu’il ne me regarde pas lorsqu’il dit cela ; « C’est une blague de mauvais gout Wendy. » Oui alors, je sais qu’en torture et manipulation je suis plutôt douée, pour ne pas dire que c’est un terrain de jeu sur lequel j’excelle depuis des années. Même si j’aime bien le secouer, je ne m’attaque que très rarement aux brebis égarées. Enfin… Certaines ont pour elles le défaut … de respirer. Faut pas m’en vouloir d’aspirer à les étouffer.

D’ailleurs, quand il reprend à la suite de ses réflexions, il en est presque à ce niveau là. Fais attention Dan, je pourrais t’étrangler de mes propres doigts. « Tu dois vraiment être désespérée…. » Non, pas forcément, mais c’est un détail que j’ai envie de régler rapidement. Une ombre sur mon tableau que je peux effacer facilement. « Ou… » Le bouchon, ne le pousse pas trop, s’il te plaît, c’est atrocement risqué. Je dis ça pour toi, tu vois, un élan de bonté. « C’est quoi le prix ? » Pour une fois que je n’exige ou n’impose rien, il se méfie alors que je n’ai en tête qu’une chose très simple à dire vrai.

Mais dans tout ça, ce qui me tape le plus sur le système c’est qu’il n’a toujours pas relever le regard sur moi. Putain, des hommes se damneraient dans l’espoir d’obtenir ne serait-ce que l’amorce d’une proposition telle que celle-là. « Aucun. » Je ne désire pas de contrepartie, rien en retour si ce n’est de ne pas poser plus de questions qu’il n’en faut parce que comme je l’ai déjà souligné, il paraît que je possède un caractère un chouilla soupe au lait. « Pas de désespoir, pas de prix, pas de blague. » Aucune des trois propositions n’a de place dans mon argumentation. « Donc ? » C’est oui ou c’est non ? Les limites de ma patience torturées plus que de raison.

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« Aucun. » Plutôt difficile à croire pour celui qui a toujours été la cible de moqueries. Alors être soudainement souhaité pour quelques pas de valse par la grande Wendy Witter ressemble à une absurdité, une incohérence dans l’équation de son quotidien. Un tic nerveux et il s’est reculé de quelques centimètres de son microscope pour inspirer à fond et replonger. « Pas de désespoir, pas de prix, pas de blague. » Voilà qui ressemble à un marché, un traité de paix alors qu’il n’a rien demandé, juste à avoir la paix jusqu’à la fin d’année, lui l’étudiant que personne n’ose d’habitude regarder. « Donc ? » Son siège vient de reculer, abandonnant pour un temps ce qu’il observait afin de l’interpréter mais aussi se détendre, basculant sa tête pour délier les nœuds qui lui bloquent la nuque. Ce dont il aurait besoin plus que tout, c’est d’un petit moment de relâchement, le genre d’instant qu’il ne se permettra jamais faute de devoir se montrer dans le plus simple apparat, trop anxieux pour jouir d’un moment tel que celui-là.

A l’encontre de tout ce qu’il a pu faire jusqu’à maintenant, c’est sur elle que son attention est déportée, retirant ses lunettes qu’il dépose sur la paillasse un peu plus loin, le bras tendu, avant de s’annoncer. « Tu voudrais que je t’accompagne. Moi. » Dès fois que la fatigue lui est joué un tour et qu’il ai mal entendu ce qu’elle vient de lui proposer. Mais voilà que l’ordinateur à coté le coupe dans ses réflexions, d’une tonalité qui ne suggère rien de bon. C’est encore un échec et il se voit déjà y passer la soirée alors quand il l’observe à nouveau, il ne peut s’empêcher de le lui faire remarquer. « La blouse n’est pas une option. » Ça se trouve c’est elle qui vient de contaminer l’échantillon…. Un sourire moqueur et il reprend ses expérimentations, adopte une attitude interrogative quitte à se remettre en question.  « Et si je dis oui, chose complètement hypothétique, » irréaliste et inconcevable parce qu’il n’a plus foutu les pieds dans un tel évènements depuis des années, « Ça n’engage à rien n’est-ce pas ? » Parce que cavalière rime souvent avec idylle cachée alors c’est juste histoire d’en avoir le cœur net et qu’il ne se fasse pas d’idée, récupérant la lamelle pour derechef la jeter.

Il se permet encore quelques secondes pour traficoter ses si précieuses plaquettes et échantillons, qui me donnent personnellement l’envie de les lui faire bouffer. La pulpe de mes doigts commence sérieusement à me démanger, ca fourmille tellement que ma seule solution pour palier cette volonté de le torturer c’est de me raccrocher à la table et fermer les paupières le temps de soupirer. Et n’ouvre à nouveau les yeux que lorsqu’il daigne enfin reprendre cette conversation sans queue ni tête, il faut l’avouer. « Tu voudrais que je t’accompagne. » Sa vision se pose enfin sur ma personne, « Moi. » c’est ce que j’ai dit, oui, mais j’imagine qu’il va avoir besoin de le répéter encore une fois, afin de m’achever, n’est-ce pas ? Mais ma proposition, je vais finir par la retirer, en fait, je suis en train de la regretter. Elle n’est presque plus assumée.

Sa décision n’est toujours pas articulée que l’ordinateur résonne et il se détourne déjà de la véritable conversation, accuse un échec qu’il me met, à l’évidence, sur le dos, « La blouse n’est pas une option. » Tout comme la réponse à ma foutue question. Il avait raison sur un point, c’est donnant donnant. Je mettrais ma blouse quand il sera décidé. Ou s’il me dit non, peut-être que je vais simplement opter pour le fait de foirer mon dernier TD de l’année. « Et si je dis oui, chose complètement hypothétique, » Ce n’est qu’une impression ou il est en train de jouer avec ma nervosité ? Comme si le pouvoir, c’est lui qui le possédait. Bon sang, j’en ai des frissons malaisants rien qu’à y penser. « Ça n’engage à rien n’est-ce pas ? » Au moins, je n’ai pas de quoi douter, mon honneur sera sauf avec lui à mes côtés, étant donné à quel point ne serait-ce que l’idée d’une possibilité tous les deux peut le dégouter. J’en suis, d’ailleurs, à la limite d’être vexée. Mon orgueil, pour le coup, trop facilement écorché.

La paume toujours crispée sur le plan de travail, je balaie en vitesse ce petit détail, « Je te demande d’être mon cavalier, pas de m’épouser. » L’engagement, très peu pour moi, enfin, surtout lorsque je ne l’ai pas prémédité des mois avant, cela va de soi. Pour ce qui est de cette soirée, celle du bal, s’entend, je ne prévois rien si ce n’est de ployer fasse aux dictats de cette société, et faire reculer l’indépendance féminine de plusieurs années.
Et parce que ça semble me faire cogiter plus que ça ne le devrait, ce rejet que je peux lui inspirer, je viens persifler. « J’vais pas te violer. » Même si les rapports de force sont mes préférés, ils sont toujours consentis, tu sais. Et en public, je sais me comporter, les hommes, je ne passe pas mon temps à les bouffer. C’est officiel, plus que les textos incessants, toute cette hésitation et cette tenue en haleine, ça me tape sur le système.

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