carcasse endolorie que tu trimballes comme si tout allait bien, l’attitude hautaine, les traits froids. inaccessible, insensible, anja. de celles qu’on n’aborde pas de crainte de se faire attaquer en retour, de celles qu’on n’approche pas. l’avortement réalisé le matin-même, les douleurs au creux de tes entrailles, le besoin pourtant d’avancer malgré tout, l’obligation d’aller travailler à l’hôpital pour ne pas impacter tes études. souffrir en silence. la silhouette se déplace au travers de la rue, voix familière qui s’élève et te crispe la mâchoire. « t’es vraiment pas décidé à m’lâcher, hein ? » prête à cracher le venin qui le fera partir à reculons, qui le fera t’abandonner. mauvais jour pour t’aborder, le pire de tous. trop tendue. « t’veux pas retourner foutre tes amendes à la con ? » quel boulot de merde. les billes qui l’observent de haut en bas ; le regard froid qui le transperce, les traits agacés, l’attitude aussi arrogante qu’à l’accoutumé.

pas de temps à perdre, pas l’envie d’en perdre non plus. pourtant, la silhouette s’arrête au son de sa voix. la mâchoire se crispe, les traits se durcissent. qu’est-ce qu’il te veut encore ? pas sa première tentative depuis votre rupture mais, jusqu’à présent, tu t’es contentée de continuer ton chemin. cette fois, c’est différent. et t’es prête à cracher tout le venin en toi, tout ce que tu ravales depuis que t’as appris que t’es enceinte. depuis que ton spring break a pris une tournure différente de celle que t’attendais. il a l’insolence de te répondre que c’est visiblement toi qui le suis et, aussitôt, ton visage se transforme. t’es presque étonnée de son affront, les billes qui le fixent un instant avant de lancer : « j’savais pas qu’ce trottoir t’appartenait l’poulet. » et tu l’écoutes, attentivement ou presque, bégayer quelques mots. il tente aussi bien qu’il le peut de te parler et tu restes là, les bras croisés sous ta poitrine, le sourire amusé aux lippes. le sourire moqueur. un petit rire narquois qui s’élève alors que tu viens lui demander s’il veut pas retourner à ses amendes à la con. « ouais, t’as plutôt intérêt d’y retourner avant qu’ton boss t’mette la fessée. » l’attaquer pour l’atteindre et le dégoûter. tu l’as aimé, pourtant. terriblement. passionnément. le premier homme que t’aies aimé de la sorte, au point de vouloir faire ta vie avec. jusqu’à ce que tu retombes dans les bras de theo. machine arrière. votre histoire d’amour balancée dans le caniveau sans une once de regret, du jour au lendemain. langue acérée que tu t’apprêtes pourtant à manier une fois de plus pour lancer l’offensive. « et j’vais aussi bien qu’les autres femmes en cloque. » ta façon de lui dire que t’es enceinte de lui, en omettant volontairement de lui dire que t’as avorté ce matin et que, de toute façon, c’était potentiellement pas lui le géniteur. autant l’abattre s’il tient tant que ça à te courir après. au moins, t’es certaine qu’il reviendra pas après cet après-midi.