Bien entendu, quand le comité de la ville m'a approché pour me demander si la clinique voulait faire quelque chose en partenariat avec la Mairie pour sensibiliser les gens sur l'endométriose, je n'hésite pas une seule seconde avant d'accepter. Cela rentre parfaitement dans la lignée de la clinique et je suis heureux qu'on puisse offrir un dépistage gratuit pour toutes les personnes menstruées qui pourraient en avoir besoin mais qui n'auraient pas forcément les moyen de le faire d'habitude. Erika s'éclipse pour aller aux toilettes et je vois une jeune femme s'approcher et se présenter comme Damya Morales, la jeune femme avec qui j'ai échangé pour organiser cette journée portes ouvertes. "Oh, Damya, enchanté", que je lui dis en serrant sa main. "Ça fait toujours plaisir de mettre un visage sur un nom", que j'ajoute en lui souriant. "Encore merci d'avoir pensé à la clinique pour cet évènement, c'est une très belle initiative" Ce genre de sujet est encore beaucoup trop tabou dans notre société alors que cette maladie est trop peu connue et que beaucoup de personnes en souffre sans même le savoir... en partie à cause de notre modèle de santé incroyablement injuste.

Je suis content de pouvoir faire une différence dans le monde médical. Bien sûr, c'est uniquement à Boston, bien que la clinique a pas mal de chances de s'étendre puisque des investisseurs m'ont contacté récemment pour ouvrir une branche à San Francisco et une autre à New York. En tout cas, je suis content d'être là et je suis aussi content que Erika soit à mon bras pour voir tout ça et quand elle part aux toilettes et qu'une jeune femme me rejoint, je comprends que je vais enfin pouvoir mettre un visage sur la fameuse Damya Morales avec qui j'ai échangé à plusieurs reprises pour organiser tout cet évènement en collaboration avec la clinique. Quand elle fait référence à mon visage comme étant un joli visage, les joues rougissant juste après, je ris légèrement en secouant la tête, ne disant rien de plus pour ne pas la mettre mal à l'aise. "Je suis carrément partant pour qu'on fasse d'autres évènements de ce genre", que je lui dis avant de boire une gorgée de ma boisson. Elle me demande si je suis médecin et j'hoche la tête, "Je suis pédiatre donc médecin pour les bambins jusqu'à leur 12, 13 ans max", que je lui réponds en souriant. J'adore vraiment mon métier et si parfois bosser avec des enfants est difficile, c'est aussi extrêmement gratifiant. Je bois une nouvelle gorgée et je manque presque de m'étouffer à sa dernière question, "Palper les -", que je me stoppe, me racle la gorge en tapotant mon torse. "Mh.. en théorie j'ai appris, mais c'est pas vraiment ma spécialité", que je lui dis en la regardant, assez curieux. "Pour.. vous ?", que je demande. "On a des très bons gynécologues à la clinique avec qui vous pouvez prendre rendez-vous pour ce genre de chose", que je lui explique en souriant, un peu gêné.

J’avais échangé avec l’homme en question, j’avais écrit son nom sur le net, pour mettre un visage sur la personne avec qui j’échangeais. Mais c’était tout. Je n’avais pas cherché plus loin, que le fait qu’il était le fondateur de la clinique. Ni le temps, ni l’idée même. Ce sont des choses que j’aime apprendre en discutant avec les gens. Tout se trouve maintenant sur le net. La vérité mais aussi des mensonges. Je savais que j’allais le rencontrer lors de l’évènement, je savais que je voulais lui faire un coucou aussi. Et discuter un peu, si je trouvais le moment pour. « Et des trucs plus rigolos aussi hein ! » Non parce que c’est bien beau de faire de la prévention, mais il faut aussi s’amuser. On est là pour ça aussi. Pour amuser les citoyens de Boston. « Et ca va ils sont pas trop chiants ? Ou au contraire, ce sont les adultes les plus chiants ? » J’avais déjà une idée de la réponse. Moi-même n’étant clairement pas le bon exemple. Prenant des rendez-vous, sans y aller. En plein déni de ce que je suis censé faire. Pour rassurer ma sœur, mon jumeau, ma mère. Toute la famille. Alors je me suis mise à mentir. Officieusement j’attends les résultats de la mammographie, officiellement, je n’en ai pas encore faite. Je me sentis rougir en voyant la réaction du médecin. Ma question sortant de nulle part, il n’allait pas comprendre pourquoi je la posais. Il allait surement prendre ça pour de la drague d’ailleurs. « Pour une amie. » Non, j’avais encore du mal à dire à voix haute que j’en avais besoin. Pourtant je les avais palpé moi, j’avais regardé des vidéos, des photos expliquant comment il fallait le faire, comment voir s’il y avait quelque chose d’anormal. Et à mes yeux, tout va bien. Mais sait-on jamais. C’est pas moi la médecin ici. « Je … euh … Disons que la personne se défile à chaque fois qu’elle prend des rendez-vous… » J’en devenais rouge, et s’il ne comprenait pas que je parlais de moi, c’est qu’il était complètement à côté de la plaque. « J’sais pas moi… si genre, je vous la ramène là… et qu’elle veut bien que vous les lui … palpiez … Non ? C’est trop bizarre ? » Et pour le coup, j’espérais vite que sa compagnie revienne, être sauvée par le gong. Mais non, apparemment, elle prenait son temps.

Je ris à sa remarque de faire des choses plus "rigolotes" : j'aimerais bien, mais quand on bosse dans le médical comme ça, les trucs "rigolos", il n'y en a pas des tonnes honnêtement. Enfin, on sauve la vie des gens et c'est bien, mais ils passent en général par une phase beaucoup moins fun avant la rémission, car ils étaient malades. La prévention, c'est vraiment la première étape cruciale dans le monde de la médecine. J'hausse les épaules à sa question, "Généralement, les parents sont les pires mais c'est peut-être aussi parce que je suis doué avec les enfants", que je lui dis en souriant, ne m'attendant pas du tout à la tournure qu'allait prendre cette discussion. Je vois qu'elle devient toute rouge et bizarrement, j'ai du mal à croire que ça soit réellement pour "une amie". C'est le cas typique des gens qui posent des questions et demandent des conseils pour "quelqu'un d'autre" alors qu'en réalité, c'est pour eux. Je grimace à son explication, "Vous devriez dire à votre amie que plus elle attend, plus elle met sa vie en danger", que je réponds simplement. Si elle a quelque chose, il faut le traiter le plus rapidement possible avant que ça ne s'aggrave. Mais encore une fois, à sa manière de rougir, je comprends bien que cette amie, c'est elle. J'hausse les sourcils de surprise à sa question et je secoue la tête, "Je préfère pas. Je suis pas du tout spécialisé, j'ai fait ça très peu et je pourrais rater quelque chose. Il faut vraiment qu'elle prenne rendez-vous avec un gynécologue" Et j'insiste, parce que c'est important. Je n'ai pas envie de prendre la responsabilité de le faire et de rater une potentielle grosseur parce que ça n'est tout simplement pas mon job. Les gens pensent qu'en tant que médecin on peut ou on sait tout faire mais c'est faux, on a pas des spécialités pour rien.

J'ai énormément de respect pour tous les soignants, en passant des médecins, aux infirmières, ou encore brancardiers. Ils font un travail monstre, ils sont là pour les patients, et je trouve ça beau. Beau de faire autant pour les autres. Alors oui, je pouvais le faire lorsque j'étais pompière volontaire, mais c'était différent. Je ne faisais pas cela quotidiennement. Puis on voit les gens, on les sauve et puis souvent on ne les revoit plus. Alors que eux, ces soignants sont là tous les jours. Ils ont décidé de donner de leur personne. "Ils aiment peut-être cette barbe... ça fait ... nounours." Je me mis à rire car je trouvais ça plutôt drôle et mignon. J'imaginais déjà les enfants vouloir lui toucher la barbe, qu'il leur fasse des bisous bien poilus. Et peut-être que j'avais besoin d'une barbe aussi pour me rassurer, me réconforter, et faire en sorte que je me décide enfin à passer cette fichue mammographie. Que toute ma famille a déjà faite. Exceptée pour moi. Je ne devrais pas avoir autant peur, et pourtant je suis terrifiée. Terrifiée de vivre la même chose que ma soeur. Effrayée de ce qu'il pourrait se passer avec mon corps. Alors je repousse, pensant je ne sais quoi. Car oui, evidemment, il avait raison : plus j'attendais et plus je perdais du temps dans un traitement, s'il devait y en avoir un. "Je crois qu'elle a peur ..." Je fis une petite moue, perdant petit à petit mon sourire. Je sais que je ne fais pas bien les choses et c'est pour cela que je mens à ma famille. "Je comprends oui ..." Et j'en avais déjà pris des rendez-vous, mais je les avais tous manqués, trouvant autre chose de mieux à faire. "Et du coup... c'est votre copine ?" Curieuse, on ne m'arrêtait jamais. Evidemment, j'étais quasi sur qu'il s'agissait de sa petite copine, mais sait-on jamais. Ca pourrait être sa petite soeur, une patiente ou ancienne patiente. Une amie, sa meilleure amie. Son avocate. Une collègue. "Enfin je parle de la fille qui vous lâche pas... Comme si on allait vous sauter dessus dès qu'elle s'éloignerait." Et evidemment, c'était un peu ce qui s'était passé avec ma propre personne.