Les phalanges qui démangent, picotements dans l'échine et colère sourde. Tristesse injectée directement dans les muscles. Tu veux un résumé ? Taylor s'est barrée – comme toutes. Un dégueulis d'histoire de routes qui se manquent ; la vérité, c'est qu'elle part. T'façon, t'avais quoi à offrir Ellington ? Puis y a ce dossier d'adoption qui peine à se faire accepter. J'veux pas des gants de boxe, ni flinguer mon appart ridicule de riche célibataire. Alors, j'recherche, et je trouve ; cette salle où tout détruire moyennant quelques billets. Y avait plusieurs options et j'ai pris la plus élevée. Celle où tu peux exploser des ordinateurs, des chaises, de la vaisselle, tout un tas de trucs. Pensée pour le passé en A ; détruire, ça m'a parfois foutu sur de beaux chemins. J'sais surtout que ça apaise l'âme, à défaut de la soigner ou de l'élever. « Tu veux détruire des trucs ? » Balancé à la volée, le sourire aux commissures, à l'inconnu.e d'à côté, juste avant d'arriver dans la rue du lieu. L'image sera moins pitoyable si j'suis pas seul.

La journée se termine à l’aurore. Pourtant, Vic est trop en mouvement, trop énervée, pour envisager de rentrer chez elle se reposer avant d'enchaîner sur sa prochaine garde. Elle le fera, afin de tenir le coup, mais pas tout de suite. Il lui faut se défouler, et sans doute un bon repas dans l’estomac, avant de penser à dormir. Ce n’est pas un mais deux décès qu’elle a dû annoncer à des familles cette nuit et si elle sait que le premier était inévitable, elle ne peut s’empêcher de se refaire le film de la seconde opération en boucle, afin de comprendre ce qu’ils auraient pu et dû faire différemment. Une fois douchée et prête, elle se dirige vers ce lieu dont une collègue a fait mention rapidement dans les vestiaires. Elle n’est pas certaine que casser des objets soit thérapeutique dans son cas, d’autant plus qu’elle doit protéger à tout prix ses mains, mais elle ne perd pas grand chose à essayer en étant prudente. La main sur le front pour se cacher du soleil, la chirurgienne observe l’enseigne dubitative et se glace sur place lorsqu’une voix, qu’elle reconnaîtrait parmi mille autres, s’adresse à elle. Est-ce que je peux commencer par ta tête? Elle demande, sourire narquois aux lèvres, alors qu’elle tourne le visage vers Jasper. Cet homme a beau l’effrayer, Victoria n’est pas d’humeur à le prendre avec des pincettes. Pas aujourd’hui.

Ca sera validé par personne ; ni par le médecin, ni par les alliés. Encore moins les collègues. Quoique, si je me regarde attentivement dans le miroir, j’veux dire, sans y ajouter ce filtre qui m’arrange, qui m’retire quelques cernes et rides, je verrais que je ne suis presque plus qu’un bureaucrate. Tout juste bon à signer des documents, contrats, à donner son accord ou gueuler en conseil d’administration. Moi ce que j’aimais, vraiment, ce que j’aime toujours, c’est le contact de mes empreintes contre les touches de mon ordi. C’est réparer, découvrir, pister et innover. Mais l’ego, vous savez, ça n’va pas avec un simple informaticien. Y a fallu que je grimpe toutes les marches qu’on me présentait. C’est comme tout. Boulot, amitié, amour et sexe ; jamais satisfait. Donne moi quelques planches, j’vais t’inventer un nouvel escalier à gravir. Quant aux phalanges qui s’agrippent à mes chevilles, regarde comme je les piétine. J’aurai arrêté, pour le cinquième doigt des prioritaires. La famille ; la barrière blanche, le chien et les gosses partout. J’suis le monstre le plus facile à arrêter. Sauf que même ma propre perte, j’n’arrive pas à l’obtenir. Colère, donc. Destruction, donc. Et Toi qui débarque. J’aurais juré balancer ça à une inconnue. Colère, donc, bis. “Essaye, qu’on voit ce que ça donne ensuite.” Sifflé, les lèvres acerbes. Les orbes vers le lieu. “Tu devrais éviter, avec des mains aussi précieuses.” Moqueur, à peine. “Ca s’arrête tellement vite une carrière.” La subtilité oubliée, le rictus accroché à la bouche et mes doigts qui t’ouvrent la porte, pour te laisser passer devant. J’ai pas tous les défauts, quelques-uns me résistent encore.

Victoria regrette son choix dès lors qu’elle découvre l’identité de l’homme qui s’apprête à rentrer à ses côtés. Doit-elle simplement rebrousser chemin et espérer qu’il ne se décide pas à la suivre ? Les insomnies provoquées par sa rencontre avec Jasper ne se comptent pas sur les doigts d’une seule main et elle ne souhaite pas renouer avec ces dernières. A peine sortie d’une affaire de chantage, qui lui a fait perdre carrière et fiancée, la chirurgienne s’est retrouvée dans une situation similaire, où elle connaissait cette fois l’identité de son bourreau. Si elle peut comprendre que la douleur peut parfois pousser l’humain dans ses derniers retranchements, Vic est convaincue que Jasper est simplement une mauvaise personne, qui se moque éperdument du calvaire qu’il peut faire vivre aux autres. Pour tant est que lui aille mieux, rien d’autre ne compte. Un certain sentiment de satisfaction, pour sûr. Marmonne-t-elle entre ses dents, s’imaginant parfaitement couvrir le brun de coups. Le visage tuméfié de Jasper se dessine dans son esprit et elle n'éprouve aucun remords, malgré son serment de porter secours à tout individu. Elle n’a jamais été violente mais si elle pensait pouvoir s’en sortir face à lui, Vic n’hésiterait pas une seconde. C’est une menace ? Elle le défie du regard mais au fond, elle est morte de trouille. C’est bien beau de se montrer téméraire et de lui tenir tête, mais elle ne peut définitivement pas mettre sa carrière en péril et elle sait, malheureusement, qu’il n’hésitera pas à lui briser les mains s’il en a l’occasion. Méfiante, la porte est tout de même franchie, non sans un regard par dessus l’épaule pour le garder à l’oeil.

Cuirasse tannée par les années, par les rencontres et surtout les déceptions. Allez, griffe et rencontre les cicatrices. Mords et constate que la peau est déjà abîmée, habituée à subir quelques désaveux. Alors, ton regard, tes canines qui peinent à s’aiguiser, Victoria, pardonne si j’ne retiens pas un réflexe-sourire. “Je ne te connaissais pas si violente, Lahey.” Je ne te connais pas, si je suis totalement honnête. Mais, l’honnêteté, tu l’sais, n’est pas ma première des qualités quand on se range dans la colonne des adversaires. Histoire d’une relation qui débute par un arrangement, et se termine de chaque côté d’une pièce à briser. Tu n’le vois surement pas là, maintenant que tes orbes se sont enrobées d’un temps moins plaisant, et que je dois éviter quelques éclairs. Mais, si on creuse et qu’on racle un peu la peau, tu verras des couleurs pas si éloignées. Le vert serpentard, en premier. L’ambition dans les nerfs, secouant le corps jusqu’au cœur. Surement dans mes meilleures jours, suis-je désolé d’avoir dû te transformer en pion. Curieuse marche que tu représentais, avec tes accès dans ce milieu qui m’est étranger, mais pourtant si utile. J’t’ai même pas balancé, quand j’ai failli crever sur ce macadam. Testons ce battant corrigé. Voyons si la colère est un nouveau point commun. .“Arrête de poser des questions dont t’as la réponse.” La légèreté à la bouche, quand j’arbore une moue on ne peut plus innocente, à ce regard suspicieux que tu m’balances. On nous chope au passage, nous balance les quelques mesures de sécurité dont j’écoute la moitié, plutôt occupé à lire la liste de tout ce qu’on allait pouvoir briser. Quand on y entre, c’est une pièce représentant une chambre d'hôtel. Taylor et son souffle, dans les souvenirs. Nickel, tout ce qu’il faut pour aiguiser la rage. On nous enferme. J’te passe devant, attrapant une batte de baseball, que j’dirige vers une caméra. .“Sache que c’est filmé, au cas où t’aurais des idées déviantes.” Rictus crétin. Crétin tout court.

Cette journée pouvait difficilement s’empirer et pourtant les y voilà. Elle pénètre dans l’enceinte du bâtiment, Jasper sur ses pas, et frissonne à la simple idée de le savoir dans son dos, à quelques centimètres à peine. Tu ne sais rien de moi. Elle siffle sans lui attribuer un seul regard, celui-ci étant braqué sur les consignes de sécurité. Les seuls éléments qu’il connait de son passé, ou son présent, sont ceux qui se trouvent écrits noir sur blanc. Là où il a pu mettre le nez sans scrupule, illégalement. Est-elle seulement mieux placée, après avoir fait appel au service de son petit ami pour effacer le dit-dossier, duquel Jasper détient, sans le moindre doute, un copie. C’est ça qui l’effraie. S’il venait à remplacer la nouvelle version par l’ancienne, et mentionner au passage les incohérences des pages devenues blanches ? L’estomac se serre à la menace à peine voilée, derrière une moue qu’elle rêve de lui faire avaler. Pauvre con. Victoria ne peut pas l’énerver, de ça elle certaine, mais la chirurgienne et le mot docile n’ont jamais fait la meilleure association. Un rire amer passe la barrière de ses lèvres lorsqu’elle découvre le décor s’offre à leur désir sombre de détruire. Détruire pour mieux reconstruire ? Non. Simplement détruire. Un art, nul doute, que son partenaire maîtrise, contrairement à elle qui est en terrain inconnu. Vic ne sait pas à quoi elle s’attendait exactement mais pas à cette chambre d’hôtel. Peut-être une pièce remplie de vieux objets divers ayant fait leur temps. Elle ne peut empêcher son corps de tressaillir lorsque Jasper lève la batte dans ses mains, tournant la tête vers la caméra qu’il désigne. Il s’agit bien du premier élément rassurant de la soirée. Il va donc falloir te montrer patient. Avant de se débarrasser de son corps. Note à elle-même: envoyer un message à William pour qu’il passe la chercher une fois sa petite “activité” terminée. Un marteau dans une main, Vic resserre sa grippe autour du manche et se déplace à l’opposé de la pièce afin de mettre une distance de sécurité entre eux. Si le brun n’a jamais mis ses menaces à exécution, elle est certaine d’une chose : Jasper Ellington ne parle pas plus qu’il n’agit. Savoure, pour une fois c’est légal. Elle lance à travers la pièce, place ses lunettes de sécurité sur ses yeux et abat un premier coup sur un cadre représentant un couple le jour de leur mariage. Non pas qu’elle aie une haine viscérale pour l’amour ou le mariage, il s’agit d’un choix hasardeux.

Peut-être même que c’est mieux. J’veux dire, de t’avoir sur mes talons, de te coller dans cet univers à détruire. Si ma colère s’apaise, si ma rage faiblit, qu’elle devient décevante ; je n’aurai qu’à te regarder. Qu’à voir ce que je provoque, dans tes prunelles, pour me rappeler que cette lueur s’est déjà trouvée dans d’autres regards. Peut-être qu’il y a un peu de peur, que je ne cultive pourtant pas. C’est le bonus, induit par ce chantage que je maîtrise pourtant si bien. On ne t’as donc jamais appris que chaque service se paye ? Le prix est déterminé par le partenaire d’affaire. Dans ton malheur, j’ai eu besoin de toi beaucoup plus longtemps que prévu. Crois moi, ça n’était pas voulu au début. Moi qui prévoit tellement de coups d’avance ; j’n’avais pas anticipé celui-là. Partie d’échecs qu’on tire en longueur. Les sourcils, froncés à peine. “Tu n’sais même pas ce que je sais vraiment de toi.” A quel point j’ai besoin de plonger mes doigts dans le livre des autres, d’en capter ce qui pourrait m’échapper. On a trop abîmé mon dos, pour que je le laisse à découvert. Les plus redoutables sont les êtres qui te ressemblent. Qui semblent hésiter, mais, frondeurs, peuvent brûler une ville dans une pulsion de défense. Je ferais un très mauvais combustible. Alors, permets moi de garder quelques cartes cachées dans ma manche. Poignets nus, pourtant, tissu remonté sur les avant-bras pour libérer le mouvement. Une chambre d’hôtel. Un choix ridiculement émotif. Réaliste, mais plus meublé qu’une vraie. Plusieurs écrans, des tissus à déchirer, des miroirs à briser, des bouteilles. A recycler. A détruire. “J’ai tout mon temps.” Une esquisse amusée. Lunettes légèrement teintées par-dessus les billes foncées. Et, dans un premier fracas de verre qui se brise, y a bien eu ça : “Y a personne qui m’attend.” De soufflé dans une mâchoire serrée par l’impulsion. J’écrase mes mots, d’un nouveau : “Tiens, attrape !” J’te lance une lampe que j’ai arraché de son câble, à travers la pièce ; puisque nous sommes deux pions espacés, chacun dans son coin du plateau.

Que cherche-t-elle à prouver, au juste, en pénétrant en ces lieux à ses côtés ? Ce n’est pas comme si Victoria avait fait le choix de tomber sur Jasper devant le bâtiment, en revanche personne ne l’a forcée à entrer. Peut-être qu’elle souhaite seulement lui faire comprendre que cette emprise qu’il pense avoir sur elle n’est plus à la page du jour. Qu’elle n’est plus sa marionnette, qui répond présente lorsqu’il lance un S.O.S, parce qu’il ne lui laisse aucune autre option. Victoria ignore le degré de vérité de cette pensée. Il n’a pas fait appel à elle depuis bien longtemps mais cela veut-il dire que c’est terminé, que le livre est définitivement clos, entre eux ? Et s’il ne l’est pas, répondrait-elle présente ou lui tiendrait-elle tête ? La présence de William dans sa vie est rassurante, aurait même tendance à lui donner des ailes, mais elle ne pourrait jurer que ce seul élément suffirait à lui faire tenir tête à Ellington. Fouiller dans les affaires des autres ne te donne pas accès à ce qu’ils sont, ou ce qu’ils pensent. Mais ça, il ne le comprendra jamais, n’est-ce pas ? Il se pense au sommet, pauvre geek qu’il est, caché derrière un écran. Victoria se demande s’il réalise, parfois, à quel point il est pathétique de manipuler pour obtenir. Peut-être que Jasper se sait simplement incapable de reçevoir naturellement, ou parce qu’il le demande, sans faire preuve d’abus de pouvoir. Ce n’est certainement pas une réponse qu’elle obtiendra, mais elle pourrait presque le prendre en pitié si elle ne le détestait pas à ce point.
Sourcil arqué lorsqu’il précise qu’il n’est pas pressé, le regard de la chirurgienne est braqué sur lui et refuse de se baisser. C’est surprenant. Suis-je donc la seule femme que tu sois parvenu à trainer jusqu'à une chambre ? Lance-t-elle d’un ton à la fois sarcastique et mesquin lorsque le brun confirme n’avoir personne qu’il l’attend. Qui le voudrait, en même temps. Par chance, la jeune femme est suffisament concentrée sur les gestes de l’autre pour réagir à temps. Ses bras la protègent machinalement et elle vient frapper, au vol et un peu par hasard, d’un coup de marteau la lampe qu’il lui balance subitement. Le but est de les casser, pas de se les balancer. C’est pas un tennis. Ce serait trop facile d’admettre qu’elle est fière de son petit rattrapage et que, aussi surprenant que ce soit, elle a savouré voir la lampe éclater en morceaux. J’ai perdu deux patients cette nuit. Elle balance, comme s’il lui venait enfin à l’esprit de justifier sa présence ici - et surtout, comme si elle avait à le faire. Quitte à partager ce moment, autant aller au bout des choses. Il n’y a rien que Vic lui confie qu’il ne pourrait lire de lui-même en mettant son nez dans ses affaires. Une bonne inspiration, elle pivote et termine le cadre dont elle n’avait brisé que la vitre, jusqu’à ce que celui-ci s'écroule au sol. Ils sont arrivés jusqu’à l’autel, pas elle. Du moins pas avec la bonne personne. Avant que ça te donne des idées, je n’ai commis aucune erreur. Leurs heures étaient venues. Aussi simple, et révoltant, que ça. Et lui alors ? C’est quoi sa raison ?