copley place 22 septembre 2022 w/ @Charles L. Davies

Premier jour du printemps. Assise dans mon ancienne suite, je termine d’approuver un article que nous allons bientôt publier sur notre site avant de donner un coup de téléphone à Jeremiah afin de savoir comment lui et mes deux merveilles vont. Sourire sur le visage, la voix douce, je passe quelques minutes avec lui et le préviens que je reviendrai pour le repas de midi et terminerai ma journée à la maison. Depuis que nous nous sommes mariés et sommes revenus d’Europe, j’ai officiellement repris mon poste à temps plein mais je partage mes journées entre le bureau et la maison ou le Copley et la maison. J’essaye de retrouver un rythme mais refuse cordialement de laisser Jeremiah s’occuper des jumeaux seul. Ce n’est pas que je ne lui fais pas confiance - loin de là - c’est juste que je n’ai pas envie qu’il me reproche de reprendre ma vie d’avance alors que lui, est encore sur le banc de touche pour quelques mois. Je ne le vois pas le vocaliser mais si je le vois se tendre lors des conversations boulot, c’est moi qui risque de lui voler dans les plumes. Mon mari est soupe au lait pour beaucoup mais je sais qu’il est juste de ceux qui prennent sur eux, qui lissent les angles pour les gens qu’ils aiment. Et avec le décès récent de son grand-père - son mentor - je sais que son monde est une nouvelle fois bousculé. Un baiser envoyé vers l’écran, je vois qu’il est 10h02 sur l’horloge au-dessus de la fausse cheminée et me redresse, déterminée pour ma nouvelle mission - ma préférée. Ma robe blanche lissée par mes longs doigts fraîchement manucurés, je quitte ma suite et prends le temps de l’ascenseur pour laisser mon visage doux de maman s’effacer au profit de celui de la boss qui est là pour faire du tri dans l’équipe. Cela fait si longtemps que je n’ai pas pu faire le tri et avec la rentrée c’est le meilleur moment. Le bruit des portes automatiques me fait tendre ma colonne. Les talons qui claquent contre le marbre, j’avance énergiquement vers le hall et plus précisément vers le bureau de la réception. Je pose mes deux mains sur le comptoir et regarde l’employée devant moi. Envoyez-moi James, Clémence et Lauren dans le bureau de réunion dans cinq minutes. Le ton est froid, sec et aucune opposition ne peut être donnée. Je regarde autour de moi et plisse les yeux. Où sont les femmes de ménage ? Est-ce que c’est de la poussière que je vois voler ? Bonne question… Mon index sur le comptoir, je cherche la moindre chose à dire et manque de bol pour eux, la bouteille de gel hydroalcoolique a laissé un peu de résidu sur la plaque de marbre. Nous sommes dans un quatre étoile ou dans une auberge de jeunesse ici ? Cette fois-ci, c’est à Samantha que je m’adresse, mécontente que personne n’ait vu cela.

Je crois que si je souhaite garder la tête hors de l’eau, je dois retrouver quelques bases dans ma vie professionnelle, puisque c’est littéralement le seul pan de ma vie sur lequel j’ai un quelconque contrôle. Alors voilà, une fois que j’ai fini mon travail au bureau, je décide de m’attaquer à l’hôtel dans lequel je ne vis plus depuis de nombreux mois maintenant. Et je crois que mon absence les a fait lâcher du leste, ce qui ne me fait absolument pas plaisir. Ou peut-être bien que si puisque j’ai une raison en or pour jouer à la petite tyran et qu'il n'y a rien qui m’anime plus que ça, tout le monde le sait. Les ordres sont lancés et je regarde partout autour de moi. Les clients ont l’air d’être contents de la tenue du lieu mais moi, je sais que ça pourrait être mieux, que ça devrait être mieux. Nous sommes un hôtel quatre étoiles et je deviendrais folle si nous venions à en perdre une à cause de tout cela. Je blâmerais toute l’équipe pour la perte d’une étoile tout comme mon frère qui vit ici, passe par ce hall plusieurs fois par jour mais ne voit rien. Ou fait semblant de ne rien voir, je ne sais pas. Avec lui aussi, il faudra que j’ai une discussion mais pour le moment, c’est avec Charles que je vais discuter. Ce n’était pas à lui que je m’adressais et si sa prise de position me montre que j’ai bien fait de l’embaucher, je ne me gêne pas pour tendre le cou et dire à Samantha Pendant que le preux chevalier vous sauve votre job, nettoyez moi ça. Le doigt pointé sur le marbre, j’attrape un mouchoir du côté de la réception et m’essuie rapidement le doigt. Et heureusement que ce n’est pas toi le chef de rang. Parce que si c’était le cas, c’est chez le concurrent que tu travaillerais. Ils récupèrent quelques uns de nos employés mais ne savent pas que les meilleurs, on les garde et on les façonne pour qu’ils soient une petite armée de Marriott. Et qu’on ne pense pas que l’on garde que les plus faibles qui sont malléables, loin de là. Mes préférés, ce sont ceux comme toi qui ont du répondant et qui savent se tenir droit. Je pense aussi que nous allons devoir avoir une conversation tous les deux. Parce que j’espère que ce n’est qu’avec moi, qu’il bouffe ces mots. Je veux une impression des emplois du temps de la semaine aussi. Ça devrait aller ou ça non plus, ce n’est pas ton boulot ? La pic est lancée, le sourire est forcé et je suis bien contente d’avoir un peu de travail à faire et de ne pas devoir voir Samantha et tout le reste de l’hôtel à deux doigts de la crise de panique.

Les jumeaux ont six mois dans huit jours et je pense que c’est aussi une des raisons pour lesquelles je démarre au quart de tour. Ça m’angoisse de les voir grandir si vite. Je me rends tombe que le temps file et que ma super présence dans ma famille se reflète sur ma super absence au sein du Copley. Cet hôtel est mon premier bébé - ne dites rien à personne, merci - et je compte bien prendre les décisions difficiles que Dimitri s’amuse à esquiver. Je suis sûre qu’il ne fait pas attention à ce genre de détails que moi, je remarque en quelques secondes. Je n’ai jamais eu à ranger ma chambre ni laver ma suite mais j’ai l’oeil pour ce qui brille et ça, ça ne brille pas comme ça devrait. Tu n’as probablement aucune envie que tous tes collègues entendent ce que j’ai à te dire. Que je lance furtivement, attendant la répartie de l’Anglais. C’est typiquement de chez nous, de tenir tête à l’autorité et chercher le respect plutôt que de plier comme les deux-trois autres employés qui baissent les yeux dès que les miens se posent sur eux. Ça frotte, ça tremblotte presque et l’arrogance dont tu fais part ne me plait pas. Et tu crois qu’un entretien avec James et le reste de l’équipe ne se prépare pas ? On arrive pas tous comme un cheveux dans la soupe Charles. À comprendre, si lui - ou eux - arrivent avec les mains dans les poches au boulot, ce n’est absolument pas mon cas. Les yeux ancrés dans les siens, je dis ​​Dans cinq minutes, dans mon bureau avec les impressions des plannings, le livre d’or qui se trouvent dans l’entrée et un verre d’eau. Ma main attrape le registre qu’il y a sur le bureau et je rajoute Et avec le sourire. Je lui fais le dessin d’un sourire avec les doigts, le long de mes joues et laisse claquer mes talons en direction de mon bureau à l’arrière de la réception. Aucune envie de monter dans mon ancienne suite, ce sera bien plus facile de tout contrôler d’ici.

Le conflit a toujours été une constante dans ma vie. J’ai toujours cherché l’opposé, voulu montrer que j’y arriverais quoi qu’on dise. Les disputes, les cris, ça a toujours mouvementé mon existence mais c’est quelque chose que j’ai abandonné lorsque j’ai trouvé la paix et la sérénité. Alors, peut-être que si je démarre au quart de tour, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche. Ou bien c’est l’adrénaline qui me manque. Je regarde le jeune homme et attends chacune de ses réponses comme on attend le père noël le 24 au soir. L’arrogance dont il fait preuve m’arrache un sourire que je ne peux cacher. Greg est mon employé préféré mais ça, je ne peux pas lui dire, à l’anglais, il pourrait s’offusquer et je préfère encore qu’il croit que ses rêves les plus fous sont la réalité. Et de te prendre la tête avec celui qui est le tien aussi, visiblement. Que je lance en grimaçant légèrement. Après tout, son poste ne s’arrête pas à accueillir les clients du Marriott Copley. Il va vraiment falloir que je remette de l’ordre dans leurs idées parce que ça ne peut pas continuer ainsi. Il va aussi falloir que je discute avec Dimitri de tout cela parce que je ne peux pas être là toute la sainte journée pour tout gérer. Je ne vis plus ici maintenant et il doit reprendre les rênes. Un signe de tête dans sa direction, je file vers mon bureau où je m’installe tranquillement. Je prends le temps d’envoyer un message à Jeremiah puis à mon frère et quand j’entends frapper, je pose mon cellulaire écran contre le bureau. Entrez. Que je souffle rapidement, croisant mes jambes. Quand il est face à moi, je tends la main pour prendre le livre d’or et l’ouvre sur une page quelconque. Mes yeux glissent sur le papier et je soupire fortement. Nous avons attendu cinq minutes que les employés aient fini leur discussion avant de pouvoir effectuer notre check-in. Je lève les yeux vers Charles et souffle Ce n’était pas toi, je suppose. Et d’un signe de mains, je l’invite à s’asseoir. On va passer un bon moment ensemble tous les deux, je le sens. Bonne literie mais l'accueil ne semble plus être la préoccupation première des employés de la chaîne Marriott. Je soupire fortement avant de tourner rapidement la page et de lire un autre commentaire L'accent anglais de l'hôte est délicieux. Dommage que ses collègues ne soient pas aussi consciencieux. Je regarde Charles et dis Tu n'es pas le seul anglais, respires. On va pouvoir vérifier ça avec les plannings qu'il a imprimé et ceux auxquels j'ai accès depuis mon ordinateur.

Pointilleuse, assidue et à la recherche de la moindre erreur de la part de mes employés, voilà celle que je suis. Oeil de lynx, oeil de faucon, la reloue de service aussi… Ce sont des surnoms qui pourraient me convenir et une réputation qui m’a longtemps suivi. Avec ma grossesse, mon déménagement et mon mariage, j’ai dû laisser de côté ce qui faisait de moi la femme forte que peu de gens aimaient croiser dans le hall de l’hôtel. Cependant, maintenant que je reprends le travail, il est hors de question que le relâchement qui a eu lieu ces derniers mois continue. Je le refuse tout simplement. Je vais devoir avoir une conversation avec Dimitri mais je commence par toi. T’es celui que j’ai sous la main et ça me fera du bien de me remettre dans le bain avec quelqu’un qui ne va pas se mettre à pleurer si je viens à élever la voix. J’en ai marre des larmes de crocodiles, j’ai deux professionnels à la maison et ça me suffit amplement. Assise derrière le bureau, je lui adresse un signe de tête quand il me donne le livre d’or puis le verre d’eau et commence ma lecture. Je suis ravie de voir que Monsieur pipelette n’est pas toi parce que je serai presque déçue si c’était le cas. J’en attends plus de toi. Probablement parce que t’es anglais et que je pars du principe qu’on est la nationalité supérieure. Les gens avec un minimum de moral n’aiment pas balancer. Que je souffle quand tu parles de vos badges. Mais j’aimerais qu’ils soient un peu plus comme moi. Que de faire chier leur monde soit leur principale préoccupation et que je n’ai pas besoin de chercher qui était là pendant ces services. Il peut y avoir du monde et je connais assez l’équipe pour savoir qu’ils vont absolument tous se tenir les coudes et se soutenir. Putain, c’est chiant quand on a une équipe soudée ! Mais je crois que je vais pouvoir compter sur toi pour trouver d’où vient le problème. T’as l’air dans la même trempe que moi et j’aurais bien besoin d’un bras droit au Copley, pour quand je ne suis pas là. Le commentaire suivant est lu et ta réaction ne se fait pas attendre. J’en souris, tourne le livre et écrase mon index sur la ligne exacte. Pas Greg déjà, il est américain. Que je souffle doucement, cherchant une réaction de ton côté. Je ne sais pas, je pensais que j’avais donné l’aval d’embauche des meilleurs éléments de la ville et ce livre d’or me montre l’inverse. Alors je ne peux pas donner de noms ni même supposé qui que ce soit. J’attrape les plannings de ces derniers jours et regarde les noms. Il n’y a jamais les mêmes qui reviennent en même temps, ce qui complique la tâche. C’est à quelle date les commentaires sur les employés qui parlent entre eux ? Que je te demande en allumant mon ordinateur pour avoir accès à un peu plus de planning. Est-ce que je peux te faire confiance ? Question fatidique, n’est-ce pas ?