Nephilim, l'ancienne église gothique, était l'endroit où internes, résidents et médecins aimaient passer du temps entre eux, lors des rares moments de temps libre. Un endroit pour éclipser les sombres pensées. Le docteur Harrington n'avait que peu d'amis et encore moins à l'hôpital. Cependant, il s'était au fil du temps accommodé d'un groupe restreint de résidents avec qui il passait du temps en ce lieu machiavélique. Ce fut le cas ce soir. Certes, il avait fallu le convaincre de se bouger mais il avait finalement accepté, motivé par les arguments évidemment angéliques des autres résidents. Les verres s'accumulèrent, la veste resta au vestiaire, gardant en ce début de soirée toute maîtrise de lui-même, commençant à peine à sentir les effets des shoots qui se multipliaient devant eux. S'apprêtant à se lever pour fumer une cigarette dans la ruelle, il fut suivi par deux de ses collègues. L'entendre rire était chose rare, encore plus le voir d'une humeur solaire. Je vous rassure, cela ne durera pas. Alors qu'il se rapprochait de la sortie, ce qu'il vit lui troubla tellement la vue qu'il s'arrêta net, les yeux braqué vers la scène qui se tenait devant lui. Une femme. Pas n'importe quelle femme. Celle qu'il avait laissée il y a quelques jours. Celle qui affectait ses nuits. Un homme l'accompagnait, du type grand et costaud, de quoi passer du bon temps en ce début de soirée. Hors de question d'avouer les émotions ressenties à ce instant. Prise 2, changement de scène. La main de l'homme s'enferma fermement sur l'avant-bras de Tay tandis que sa paume libre atterrit sur le mur, avec une force brute qui la fit sursauter. Elle ferma les yeux, abandonnant la partie avant qu'elle ne soit commencée. A ces instant précis, le monde se brouilla, les voix se turent, la musique n'était plus. Plus rien n'existait. Sentant la haine l'envahir, sentiment qui habitait profondément Camille, il lâcha son verre et traça en ligne droite, poursuivant son objectif : tuer ce gars. Le faire souffrir. Le faire saigner. Lui exploser la gueule. Le rayer de la planète. Sa main gauche enfourna le col de l'homme pour le forcer à reculer tandis que la droite se ferma, pouce à l'intérieur pour atterrir sur son visage, avec une force qu'il ne connaissait que trop bien,. Son corps fut expulsé en arrière, le geste le faisant tomber au sol. Camille le força à se relever pour dégainer de nouveaux coups de poings, à chaque fois plus violent. Le sang gicla et il en avait absolument rien à foutre. Plus rien n'existait, hormis son objectif. S'apprêtant à repartir à la charge, il sentit son corps reculer d'un bond, ses bras tenus en arrière. Tant bien que mal, ses collègues essayèrent de le retenir mais la colère qu'il incarnait était tellement présente qu'il se dégagea, que trop facilement, fonçant une nouvelle fois vers sa victime, tel un bélier protégeant ses petits. Le corps de l'homme tomba à nouveau et de nouveaux coups furent donner, malheureusement arrêtés bien trop tôt par les compères. Ce laps de temps lui donna l'occasion de quitter l'endroit, courant en se tenant le visage. Les yeux de Camille révélaient une haine que peu connaissait, une haine qui se tourna vers la demoiselle, ne se rendant pas compte de ce qu'il dégageait, à cet instant. Putain Taylor ! Première fois qu'il prononçait son prénom à voix haute. Pourquoi ? Pourquoi tu n'as pas réagi ! T'as fermé tes putain de yeux ! Il lui criait dessus, sans s'en rendre compte. Les émotions n'étaient plus filtrées, le contrôle n'existait plus. Tout ce que son regard exprimait n'était que la peur qu'on lui fasse du mal. Le message véhiculé par ses émotions et exprimée par son regard était clair. Il perçut dans son regard une peur qu'il ne lui connaissait pas, son regard se perdit le long de son corps pour atterrir sur ses mains ensanglantées. La scène percuta son âme, voyant le résultat de ces dernières minutes. La haine et la peur s'évanouirent, la prise de conscience le percuta, le regard fixe, presque paumé, sur des mains tremblantes. La panique l'empara, tandis qu'il osa regarder l'interne une dernière fois avant de s'en aller, quittant les spectateurs sous le choc, il emprunta la porte vers la ruelle, endroit tranquille. Camille repéra une sortie d'eau avec un robinet, l'actionna et frotta bien trop vivement ses mains, comme pour enlever la souillure qui l'habitait, n'arrivant plus à réfléchir, à penser, presque effrayé.

La résignation. C'est ce qu'il avait lu dans son regard devenu à cet instant vide. Refuser le combat, accepter les conséquences. Permettre qu'un autre décide à sa place. Consentir, s'anesthésiant du sentiment de déni. La vie devenue néant, s'embrumant du voile de l'acceptation. Accepter, donner son accord. Et attendre. Attendre la fin. Un regard que le jeune homme ne lui connaissait pas. Un regard qui l'a fait profondément souffrir, sans en connaître les raisons. Un regard qui l'a rendu fou. Incontrôlable. Au cœur de sa noirceur, dans les abysses de son âme. Ce n'était pas la première fois que le résident incarnait cette haine, l'exprimant par un excès de violence incontrôlable. A chaque fois, on avait touché à quelqu'un... d'essentiel. Frapper et parfois, se laisser frapper, pour oublier, souffrir et ressentir, quelconque émotion. Juste ressentir.

A nouveau connecté à la réalité, la colère dominait toujours ses pensées. En réalité, c'était la peur, qui se manifestait en lui. Ne surtout pas essayer de comprendre. Evacuer ce qu'il ressentait. Camille continua de se frotter énergétiquement les mains, depuis maintenant bien trop de temps. C'est alors qu'une voix se fit entendre, celle qui hantait ses pensées actuelles. Il se dirigea vers elle d'un pas franc, peut-être trop brusquement et lui répondit, sans aucun contrôle de ses mots, de ses actes. Tu ne comprends vraiment rien. Je t'ai vu résignée, complètement paralysée, prête à... à... . Rien qu'à imaginer la scène Camille jura bruyamment une nouvelle fois. Ce n'était pas sa place, ce n'était pas son rôle de la protéger mais il lui était impossible d'agir autrement. Ses yeux exprimèrent toute la peur qu'il pouvait ressentir, tandis qu'il les dévia vers les mains de l'interne, tremblantes. Avait-elle peur de lui ? Était-elle sous le choc ? Vu les derniers évènements, elle avait toutes les raisons de flipper. Comme pour toutes les personnes qui sont importantes pour Camille, il se montra soudainement froid, durcissant son regard, n'arrivant plus à peser ses mots, à jauger à quel point il pouvait se montrer acerbe. Une manière maladroite d'exprimer ce qu'il restait de beau, dans son cœur. Explique-moi pourquoi tu t'es figée. Distantes et froides, ses pupilles ne se détachèrent pas de celles de Taylor, commençant à perdre pied. En te taisant, tu lui as donné la permission d'agir à sa guise. Il était dur avec elle, comme il l'était avec lui-même. Sûrement trop. Les mots furent prononcés avec un soudain calme dans la voix. Il recula ensuite d'un pas et leva les mains, comme pour abandonner un match, dire qu'il avait terminé. Il recula, déviant le regard et s'adossa contre le mur, se laissant glisser jusqu'au sol. Toujours dans un brouillard, il souffla, fixant ses mains abimées par les coups, se détestant d'avoir agi avec tant d'agressivité. C'était clair qu'il avait un problème de colère à gérer. De sa paume droite, il se tapa trois fois le visage. Je suis vraiment débile. souffla-t-il, presque pour lui-même, comme si elle n'était pas là, dérivant dans des pensées devenues sombres.

Le brouillard prenait place, s'installant, de plus en plus imposant, sentant qu'il se déconnectait de la réalité, ayant peur de ne plus pouvoir faire la part des choses. Pour l'instant, il tenait bon, résistant à laisser ses ombres prendre le pouvoir. Partir ou fuir, mettre des mots sur ses besoins était devenu trop difficile. Il s'en voulait, il lui en voulait aussi. C’est toi qui ne comprends vraiment rien. Camille haussa les yeux au ciel, exprimant le ridicule de sa réponse, vide de sens. Elle ne comprenait pas la gravité de la situation. Elle ne comprenait pas à quel point ce n'était pas elle, face à cet homme voulant l'utiliser pour répondre à des besoins malsains. C'est sans aucune empathie qu'il la fixa, désorienté par son abnégation volontaire. S'ancrant dans ses pensées devenues branlantes, la jeune femme s'approcha timidement, sous l'œil surpris de Camille, prenant place face à lui, accroupie, respectant une distance de sécurité raisonnable. Elle était craintive et cela lui déchirait l'âme. Craintive à juste raison. Mais elle était tout de même présente, pour lui. Elle aurait pu partir, oublier cette histoire, le détester à tout jamais, mais non. Je ne risque rien, n’est-ce pas ? murmura-t-elle, avec la délicatesse qu'il lui connaissait. En effet, avec lui, elle ne risquait rien, et c'est bien ça le problème. Ses paumes s'approchèrent des siennes, sous le regard attentif de Camille, qui se braqua légèrement, n'arrivant plus à rester maître de la situation. J’suis pas sûre qu’il méritait… A ces nouvelles paroles, les poings du résident se fermèrent, sentant une nouvelle fois la haine l'envahir, prenant contrôle de sa personne, répondant à l'appel de l'ombre qu'il était. Le regard braqué devant lui, sans pour autant la regarder, il murmura quelques mots, à peine conscient de ce qu'il disait. Il méritait de crever sous mes coups, de sentir la douleur parcourir chaque putain de parcelles de son corps et de se noyer dans son propre sang.  D'un calme olympien, le regard aussi froid que possible, la haine se lisait dans son regard, alors que ses phalanges regroupées créaient de nouvelles fissures, déformant ses mains, ne pensant pas à l'impact des prochaines journées à l'hôpital. C'est dans ce genre de moment qu'il fallait se méfier de lui, quand il était aussi calme qu'il l'était maintenant. Ses mots devaient lui faire peur, il n'en avait même pas conscience. Toutes ses pensées étaient tournées vers l'homme, c'était lui, l'origine de sa haine, et non l'interne qui avait failli il y a quelques minutes. Il se le refusait, d'être à nouveau responsable de la perte de quelqu'un. D'abandonner. D'abandonner comme il l'avait fait, il y a plus de 13 ans. D'être responsable. La vision qui hantait sa vie s'incarna à nouveau devant ses yeux, se sentant divaguer dans les méandres de son passé. Mais il fut une nouvelle fois réanimé, par les mots de la demoiselle, des mots qu'il avait lui-même prononcés. Desserrant légèrement les poings, il fut surpris par sa capacité à le reconnecter à la réalité, à l'accompagner dans la descente de ses émotions destructrices. Son regard se fit un peu plus doux, tandis qu'un minuscule sourire naquit, exprimant tout le respect qu'il avait pour elle. Quelle femme intelligente. Les bons mots, placés au bon moment. Il se perdit quelques secondes dans ses yeux, comme pour y chercher la bouée dont il avait tant besoin, ayant soudainement besoin de sa présence pour expier ses pêchés. Ses poings voulurent se détacher, et se connecter aux siens mais son visage se braqua face à ses blessures, comme s'il venait de prendre conscience de la réalité. Une réalité devenue trop difficile. En pleine dissociation du monde qui l'entoure et de lui-même, de sa réalité, il retira vivement ses mains, honteux de la personne qu'il était. Ce n'était pas la première fois qu'il se battait, mais cette fois-ci, il avait souhaité que ses mains donnent la mort. Sans vraiment le souhaiter d'ailleurs, il était devenu, à cet instant, face à l'homme, complètement incontrôlable, la réalité n'existant plus. Complètement paumé dans ses pensées, ses yeux exprimant cette dissociation, Cam remonta son regard sur elle, vaguant dans plusieurs mondes, se perdant dans ceux-ci, ses mains posées maintenant sur ses cuisses, tremblantes, témoins du vice qu'il était.  Tu as peur de moi ? L'homme en face de toi te fait-il peur ? Il parlait, et en même temps, il s'entendait parler, déconnecté du contexte. Ses yeux semblèrent vides. Il se détestait qu'elle ait vue cette part de lui, cette ombre, qui lui appartenait pourtant.

Dépersonnalisation. Une forme de dissociation, avec l'impression d'être à l'extérieur de son enveloppe corporel, de perdre la conscience de son identité. Dans le déni de ce phénomène psychologique, Camille refusait de l'admettre à voix haute, mettre des mots serait synonyme d'aveu, du problème qui était en lui, de la culpabilité ancrée depuis bien trop longtemps. Les épisodes étaient rares et ne duraient pas longtemps. Ils n'en sont pas moins effrayants. C'est pour cette raison qu'il devait veiller à son équilibre émotionnel, à ne pas activer le bouton. Sauf qu'il ne contrôlait rien. Comme une sensation de flotter, d'être présent sans l'être, de s'observer, de loin. Au fil de la conversation, son visage blêmit de plus en plus, son regard maintenant amputé de toutes émotions, distant du vide incarné. Il était là, il n'était pas là. Entre deux, quelque part par là.. Les signes, ils les connaissaient, maintenant que la haine n'était plus, il fallait se reconnecter. Chez lui, c'était plus simple. Enraciner son esprit. Dans du concret. Tenir un glaçon, ressentir la chose glacée fondre entre ses mains, l'aidant à revenir. Pas de glaçon. Pas de menthe poivrée non plus. Il fouilla vivement ses poches, en emportant souvent lors de ses voyages, ou quand il allait chez quelqu'un. Mais non. Sa respiration s'accéléra, alors qu'il s'exprima, sans avoir conscience de la question posée, déconnecté de toutes observations du non verbal de l'interne, chose qu'il aimait pourtant si fort, chez elle. Ses mimiques, ses gestes incontrôlées, son sourire en coin, l'innocence et la douceur de ses yeux, contant l'espoir, en l'être humain.

Sursaut. Son corps se saisit lorsque les paumes de Taylor se posèrent sur ses bras, dans un but de le connecter à la réalité, chose que Camille n'avait pas encore conscience. C'était également encore inconscient, que ce geste fit la différence. Ancrage physique, son regard se porta à nouveau vers elle, perplexe face à ce non qu'il ne comprenait pas. Je n’arrive pas à imaginer, ne serait-ce qu’une seule seconde, que tu pourrais volontairement me blesser Jamais, Tay. Pas consciemment. Ses mots firent écho au souvenir de la question qu'il lui avait posé, elle n'avait pas peur de lui. Malgré la scène infecte qu'elle avait subie, dont il lui restait que quelques brides, d'ordre émotionnel. Un peu plus présent à chaque seconde, ce brouillard ne lui permettant cependant pas de tout comprendre. Il lui fallu quelques secondes avant d'attraper sa main et de se relever. Action qui l'aida à s'ancrer un peu plus, les pieds touchant maintenant complètement le sol. Était-ce volontaire de sa part ? Il aurait tout le temps d'y penser plus tard. Maintenant debout, Camille fit deux pas en avant pour la rejoindre, dépassant toutes les limites du raisonnable. Ses yeux exprimèrent lucidité et calme, avec un brin de lumière supplémentaire, qui lui était dédié. Fatigué, mentalement et émotionnellement, incapable de laisser sa tête prendre le contrôle, sa paume droite se posa sur la joue de la sauveuse, tout en faisant un geste de rotation avec son pouce, dans une affection qu'il ne se connaissait pas. Il l'attira ensuite vers lui, posant son visage sur son buste, sa main maintenant derrière elle, comme si, à son tour, il la protégeait. Ils se connectaient. Ses lèvres approchèrent de son oreille, murmurant quelques mots, comme si le monde avait cessé de tourner. Lui parler sans la voir, c'était plus simple comme ça. Pour avouer. Je déteste que tu m'aies vu comme ça, Tay.... Pour accompagner ses paroles, il resserra son étreinte, connectant les corps, amplifiant la profondeur de cet instant, se moquant de se montrer si faible, fragilisé, n'ayant qu'une partie de conscience connectée, la plus importante, celle qui se voulait plus authentique. A contre cœur, il se desserra son étreinte, commençant à reprendre pied, se trouvant un peu ridicule, de s'être laissé aller, à la nudité de son âme. Embarrassé, l'homme. Néanmoins, son regard exprima toujours aussi de douceur, très loin du regard glacial du quotidien. Il porta les deux paumes de l'interne dans les siennes, se rendant compte de son besoin de s'isoler, respirer et réfléchir, à tout cela. Je pense qu'il est temps de rentrer chez moi. dit-il en reprenant un instant plus tard. Je.... Je te remercie. D'avoir été là. De m'avoir retrouvé dans les méandres de mes ombres. Le mot ne sort pas, ne veut pas sortir. Ce serait avouer qu'il ne se suffisait pas, qu'il avait besoin d'elle, qu'on devait le sauver.