Installée sur une chaise longue, en maillot de bain, un cocktail dans une noix de coco dans la main, l’autre posée contre son flanc, sa blessure de guerre, elle la cache, inconsciemment, elle est le parfait cliché de l’étudiante venue breaker un printemps sans totalement le justifier. Avec ce brin de raison qui continue de lui souffler qu’elle aurait dû rester à Boston, étudier, prendre le temps de se battre une nouvelle fois pour sa bourse, trouver un travail, chercher à rattraper tout ce qui, là-bas, déraille. Pourtant, ici et maintenant, elle ne parvient pas à regretter son choix. L’envie de vivre, de tout découvrir. Parce qu’elle a été enchaînée, et depuis qu’elle est libérée, elle ne parvient pas à correctement doser. Haiwee, elle s’emmêle les pinceaux dans toutes ses possibilités. Alors le vacarme de sa tête, elle aspire à l’éteindre, bien qu’aujourd’hui elle n’ait pas de quoi s’occuper.

Faute d’une journée libre dans le programme proposé, elle a décidé de prendre le temps de contempler l’océan, de s’en imprégner, consciente d’être chanceuse de pouvoir – malgré tout ses soucis financiers – y participer. De sa paume libre, elle s’amuse à ramasser le sable en poignées, et à le laisser s’égrener entre ses doigts, le compte à rebours d’un sablier qui n’existe plus, qui n’existe pas. Il est si loin, à présent, son chez elle, néanmoins le turquoise de l’étendue d’eau lui paraît toujours aussi irréel. Etendue de laquelle, elle voit sortir une silhouette, instinctivement, elle en incline la tête, soupire un « Mais non, » peut-être un peu bête. Perturbée de voir cet ami, ici. Elle se relève, effectue les quelques mètres qui les séparent, et l’accoste d’une phrase démodée, écho d'un film à l'eau de rose détrempé, « De toutes les plages, de tous les océans du monde. » Autrement dit qu’est-ce que tu fais là ?         

Le sable, j'en garderais un peu pour y enterrer quelques rancœurs. Là dans mes poches, dans mes affaires, mes chaussures, et même mes cheveux que je secoue, une fois la silhouette extirpée de l'étendue bleutée. Ce voyage apaise les frayeurs passées. Vous pouvez dire ce que vous voulez sur l'aisance financière ; mais l'argent rend heureux. J'suis clairement plus rayonnant sous ce soleil que sous la grisaille de Boston. Les stroboscopes du Sidh ne donnent pas la même lueur au grain de ma peau. Rougie par endroit. Pas assez habituée au luxe des vacances. J'en ai mis de côté les herbes magiques, pour me concentrer sur le fruité des boissons, l'ivresse d'une liberté qui semble, ici, infinie. Venez à plusieurs pour me chercher. Mais, j'vous aide, je sors de la flotte avant que mes doigts ne prennent quelques années. Souriant à tout le monde et n'importe qui, n'importe quoi, t'as même pas besoin d'être humain pour mériter cette éclaboussure de couleurs vives. Puisque nous sommes de ceux qui savent, ce que c'est que de voir le reste du monde partir sans nous. J'veux ma gueule dans les belles photos, devant les beaux paysages. J'veux être ce type sublime, juste parce que les rayons ont doré ma cuirasse. Alors, j'regarde ailleurs. Surement que j'fais un clin d’œil à un crabe, quand tu me rejoins pour rajouter un peu de réalité à mon rêve. « De toutes les plages, de tous les océans du monde. » Lèvres amusées, esprit étonné. « Il a fallut que tu me suives jusqu'ici. » Comme si sur toutes les possibilités, cette proposition était particulièrement bien classée. « Moi qui pensait être le seul intrus sur la liste des invités. » Je ne t'imaginais pas dans ce décor ; mais tu m'as prouvé, depuis le début, que tu savais te dessiner dans les plus hostiles des paysages. « Je ne pensais pas te voir ici. » Rattrapé, juste après, dans un large sourire : « Mais j'en suis ravi ! » L'inclinaison rend encore moins bien, quand on est en maillot de bain et trempé.

Acculée par la surprise de le trouver ici, elle ne parvient pas à se défaire de ce sourire qui fend ses lèvres. « Il a fallut que tu me suives jusqu'ici. » Il y a des choses qui ne changent pas, malgré les aléas de ce dernier mois, Haiwee, elle l’apprécie le ton de son espièglerie. « Moi qui pensait être le seul intrus sur la liste des invités. » Sa renforce son expression, mais aussi l’idée qu’elle n’est pas totalement à sa place, où qu’elle soit, indéniablement raccrochée à ses montagnes, au froid. « Je ne pensais pas te voir ici. » Mais qu’Horace se rassure, ils sont deux dans ce cas. « Mais j'en suis ravi ! » Presque imperceptiblement, elle en fronce les sourcils, la douceur de la Haiwee entachée, son assurance aussi, c’est vrai. Puisqu’elle ne peut mentir, à ce sujet, et elle comprend parfaitement le pourquoi la croiser ici est si étonnant.

Elle en soupire, en décalant son regard au-delà des vagues de l’océan, esquisse un air désolé, ou plutôt dépité, lorsqu’elle abdique et se décide à avouer. Une intrue comme il l’a si bien articulé, « On me l’a offert. » Le voyage, l’hôtel, l’opportunité de ne pas rester en arrière. De ne pas subir totalement les dommages engendrer par ses choix. De ne pas se mordre les doigts d’avoir perdu quelques-uns de ses droits. « Mon frère. » Qui n’en est pas un, seulement Horace n’est plus sans ignorer ce qui la lie à l’homme pour lequel, par extension, Horace peut travailler. « Et toi ? » Elle replonge ses prunelles dans les siennes, un brin amusé par ce moment parfaitement opposé à leur précédente rencontre, l’hiver, Noël, Boston, et cette plage que la colombe ne saurait pas décrire, convaincue qu’elle ne connaît pas assez de mots pour correctement le dire, « A la recherche de couleurs ? » de magie, d’un semblant de bonheur. Et l’invite d’un balayement de sa main, à retourner vers les transats sur lesquelles elle se trouvait avant ce petit coup du destin.         

J'prends tout ce qu'il y a à prendre, les orbes explosées par la lumière et la peau grattée par le soleil. Ma vie change. Les rêves évoluent. Les contacts surtout, qui font tout. Qui me transportent jusqu'ici. Le boulot, les priorités. L'accident d'Astra a modifié beaucoup de choses, quoique j'en dise. Mais, colombe, ça serait te mentir que de te sentir parfaitement incrustée dans ce paysage. La beauté à l'arrière, assurément ; mais nous savons tous deux que la superficialité de ces vies à qui l'ont offre tout, ne sied pas avec la douceur de ton âme. « On me l’a offert. » Un morceau de réponse. J'ai cru comprendre que toi aussi, tu avais appris à t'entourer de beaux soutiens. « Mon frère. » J''en encoche un sourire. « Ce frère là ? » Rebond sur notre première rencontre. Ne m'oblige pas à expliciter, j'ose espérer que nous avons passé ce stade. « Et toi ? » La réponse évidente est une invitation. Mais, pas cette fois. Tu pourras sentir une fierté ridicule, dans ce menton que je redresse un peu. « J'ai réorganisé mes enveloppes, amincie celle des excès et garni celle des vacances. » Multiplié les habituées, aussi, mais c'est bien moins joli à dire. Les cernes s'effacent, le sang légèrement purifié, circule mieux. Je prends des vacances. Des vraies ; des vacances de mes vices. Respiration entre deux apnées. « Ma chambre n'est pas terrible, mais elle me semble être un palace. » Je l'ai pris seul, lassé des répercussions de chacun de mes choix. J'ai les épaules minces, frêles, elles se fissurent mais tiennent. Ca n'empêche pas la douleur. « A la recherche de couleurs ? » La tête qui hoche, les lèvres qui s'amusent de ce rappel. Le corps bientôt étalé sur ce transat que tu présentais. J'en attrape ta crème solaire, trop à l'aise. « J'essaye de m'en faire un stock, pour les jours sombres. » Ils arriveront un jour, n'en doutons pas. « Et les tiennes ? Tu les entretiens ? » Mes bras blancs, ton nez aussi, puisque je viens d'en déposer une bonne dose. « Tu devrais te protéger. » Ici, ailleurs. Entends-le comme tu veux.

« Ce frère là ? » Lui-même, le seul, l’unique, n’est-ce pas ? Celui qu’Haiwee s’est choisie, celui devenu indispensable à sa vie, malgré les différences, les directions opposées de leurs existences. Alors au sourire d’Horace, elle répond un des siens, une approbation silencieuse tout en poursuivant de leur amorce de conversation, le chemin. Laisser de côté le fait qu’elle détonne dans ce paysage, et demander ce qui a engendré son propre naufrage. « J'ai réorganisé mes enveloppes, amincie celle des excès et garni celle des vacances. » C’est joliment dit, probablement enrobé, dans l’espoir de ne pas entacher sa pureté. Celle de la Haiwee. « Ma chambre n'est pas terrible, mais elle me semble être un palace. » Ca lui fait aussi cet effet, à chaque fois qu’elle a la chance de s’installer pour un temps dans un complexe hôtelier. Un esprit rêveur biaisé.

Installés dans ces chaises longues, en un étrange tableau, eux qui n’étaient pas prédestinés à se croiser dans un milieu si beau, « J'essaye de m'en faire un stock, pour les jours sombres. » Une fois encore, elle apprécie la poésie dissimulée dans ces propres, elle en a une longue inspiration, d’approbation. « Et les tiennes ? Tu les entretiens ? » L’observe lorsqu’il pique dans ses affaires, récupère sa crème solaire. D’un naturel irréel. Pas le temps de l’arrêter que sa main s’aventure à recouvrir le nez d’Haiwee, de la texture blanchâtre à souhait. « Tu devrais te protéger. » De deux doigts, elle récupère la tâche de pommade, une grimace forcée, un air outré, pour mimer un factice agacement, balançant une vérité, le minois fier et taquin, « J’ai le teint plus hâlé que le tien. » Parfait mélange d’ADN amérindien. « Mais je prends note du conseil… » convaincue qu’un sens caché y était. Et pour lui répondre, ose murmurer, « J’apprends la véritable liberté. » Celle dans laquelle elle ne doit plus rien à ses parents, celle dans laquelle son cœur ne sera plus jamais constitué entièrement. Les couleurs mélangées, à la faveur de rêves devenus réalité. « Même si je ne suis pas sûre de ce que je fais. » Hausse les épaules, elle étale la crème sur son avant-bras, les yeux baissés, en un acte manqué, dessine des runes d’autrefois. « Y a le prince qui est là. » Elle en parle sans savoir pourquoi, peut-être dans l'attente d'entendre un autre protèges-toi.          

Revêtir la réalité d'un joli filtre, pour que ça passe bien à l'écran de tes prunelles. La vérité n'est jamais aussi brillante que celle que je te soufflerais, alors pourquoi s'en préoccuper ? La vérité, celle qui importe, c'est que j'ai réussi à venir ici, et obtenir ce petit morceau de paradis. Ce bout de vie qu'on réserve d'ordinaire à d'autres. Qu'importe comment on s'en sort pour y arriver, les sacrifices effectués, J'regarde l'étendue bleue et ça efface les semaines précédentes, à compter chaque dollar mis de côté. La dette probable à venir. De quoi se préoccupe ceux qui ne supportent pas ce poids ? On s'invente d'autres charges, je suppose. En bas de l'échelle, nous, on s'amuse d'un peu de crème déposée sur ton nez fin. Maniant aussi bien les jeux d'adultes, que d'enfants. « J’ai le teint plus hâlé que le tien. » Orbes qui roulent dans leurs orbites, confidence soufflée rapidement : « Comme si c'était si difficile. » Dans les smileys, tu choisiras le bonhomme le plus clair pour me représenter. Peau qui brûle, se consume facilement. Blanc neige de Bristol. « Mais je prends note du conseil… »  L'as-tu correctement entendu ? As-tu lu les petites lignes, sous cette phrase balancée à la va-vite ? Il faut affronter les démons dehors, mais se protéger de leurs coups trop puissants. Accepter les entailles, pas les plaies. « J’apprends la véritable liberté. Même si je ne suis pas sûre de ce que je fais. » Le regard qui glisse, qui observe les dessins, et bien moins délicatement, étale sa protection à lui. « Alors c'est que tu es sur la bonne voie. » Quand on ignore les prochains pas, que tout a l'air incertain. Accepter de se planter, d'être dans un futur instable. Encoche un sourire aux commissures. « Personne sait vraiment ce qu'il fait, tu sais. Y en a juste qui font mieux semblant que d'autres. » Et quel manque de courage, que d'accepter de connaître le lendemain avant d'avoir affronté le présent. « Y a le prince qui est là. » Le frère, le prince. Dans ce tableau, j'me demande un instant le rôle que j'ai. Un second, troisième, quinzième rôle. Sûrement suis-je même dépourvu de titre. Les couronnes ne tiennent pas bien dans mes boucles. « La liberté, le prince, ça me semble être une plutôt bonne combinaison, non ? » J'vais pas te dire de pas te jeter ; mais retiens-toi dans la chute, attrape n'importe quelle branche. La langue qui passe entre les lèvres, la malice débordant. « Toujours aussi peu charmant ? » Quel intérêt d'en prendre un identique aux bouquins ? Il faut un cavalier suffisamment doué pour l'amazone.

Sur son grain de peau, elle laisse glisser ses prunelles, quand il vient signer à haute voix l’une de ses pensées. « Comme si c'était si difficile. » Ca la force plus encore à constater le laiteux de son teint, arquant un sourire taquin. Elle aime cette sensation, lorsqu’elle se trouve à ses côtés, ces commémorations de jeux enfantins. Sans jamais n’avoir connu les vrais moments que l’on s’accorde, gamins.

Puis avouer à mi-voix qu’elle est étrangement certaine de faire n’importe quoi. « Alors c'est que tu es sur la bonne voie. » Pas sûre, puis à l’évidence, c’est plus qu’elle-même que tu y crois. « Personne sait vraiment ce qu'il fait, tu sais. Y en a juste qui font mieux semblant que d'autres. » Elle en craque un sourire, quelque chose d’un brin dépité, se permet d’ailleurs d’interroger. « C’est censé me rassurer ? » Haiwee, avec les masques, elle n’a jamais su jouer. Elle ne porte qu’un visage, celui avec lequel elle est née. Elle ne possède qu’un caractère, elle ne saurait le changer. Et c’est pour ça, pas vrai, qu’elle va finir écorchée ? Que tu lui as dit de se protéger. Toi, les maux, tu les connais. « La liberté, le prince, ça me semble être une plutôt bonne combinaison, non ? » Elle hoche la tête par la positive, déclinant son regard sur l’étendue bleutée, un fin sourire sur ses lèvres, dessiné. Oui, la combinaison est belle, un tableau esquissé à l’aide d’aquarelles, des tas de couleurs qui se mélangent et s’entrelacent. Des émotions toutes envoutantes et vivaces. Dans lequel Horace possède sa place. « Toujours aussi peu charmant ? » Elle se fond en un rire, enclin à la sincérité. Etonnée de sa question mais à la fois parfaitement amusé. « Un vrai tortionnaire. » dont elle ne veut se défaire. Puis tu sauras reconnaître l’humour dans son timbre, le fait qu'elle est, au fond, pudique sur leur relation, leurs manières. Pour incliner son visage vers le tien, elle mord son inférieure, maitrisant ses airs malins. « Et toi ? » Attrapant du sable collant entre ses doigts, « Je veux dire… Pas de princesse ? » de demoiselle en détresse. « Mise à part tes… » clientes, ces femmes que tu dois contenter. Avoir encore du mal à le prononcer, Haiwee, intemporelle proie de la chasteté