Assise face à elle, un sourire sur le visage, je me dis que notre histoire n’a pas démarré comme j’aimerais qu’elle le fasse mais que notre chapitre est quand pas mal intéressant. Des plans, j’en ai plus d’un et n’ai pas forcément besoin d’en rajouter un à ma liste. Par contre, des amies avec qui passer des bons moments et profiter - justement - du moment présent, un peu plus. J’aime la beauté du moment, l’engouement qui émane de moi n’est pas étrange mais somme tout singulier. Je suis toujours positive pour ce genre de choses mais prendre les choses en mains de la sorte, ça me correspond un peu moins. J’aime bien me laisser porter par le moment mais aujourd’hui, c’est moi qui porte et c’est bien la première fois que ça me vient de manière si facile et spontanée. Alors, j’en profite. Quand elle accepte, je sais que je vais passer une partie de la soirée à regarder ce qui peut être fait, ce qu’il faut éviter et comment y aller. J’ai un budget mais je sais aussi qu’avec la jeune Witter, celui-ci risque d’être vite éclaté. Faisons cela alors. Que je lance, buvant une nouvelle gorgée de ma boisson. Je souris et quand elle descend de son tabouret, je suis quelque peu perturbée. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle coupe court à cette soirée de manière si prématurée. Il est encore tôt, nous avons rendez-vous plutôt tard… Dix heures par contre. Il y a trois heures et demi de route. Que je souffle. Et je ne crois pas qu’elle s’attendait à un tel trajet quand elle a accepté de m’accompagner. Conduire au Mexique ne me fait pas peur mais je ne vais pas pouvoir faire ces 270 km en une heure. Bonne nuit Blanche Neige. Fais attention aux sept nains. Un clin d’oeil dans sa direction, je la laisse quitter le bar et moi, je commence à planifier le voyage de demain. Je demande des conseils au barman pour monter jusqu’aux lacs. Les étudiants quittent tous rapidement le bar de l’hôtel et je reste là une bonne heure ou deux à discuter avec les différents barmans locaux, leur demandant des conseils de destination et choses à voir mais aussi pour le Nirvana. Leurs cocktails préférés, ce qui est le plus facile à préparer etc. En vacances mais ma vie professionnelle n’est jamais trop loin.

Lorsque le réveil sonne à huit heures, je soupire légèrement. J’aurais bien dormi une heure ou deux de plus mais ce n’est pas possible. Je file vers le restaurant pour manger mon petit-déjeuner dans une robe toute simple et lorsque je remonte, je troque cette tenue pour un short et un haut Chanel. C’est un ensemble que Gaspard m’a donné pour ce voyage et aujourd’hui me semble être le meilleur jour pour le porter. En effet, la matière est agréable et semble parfaite pour ce qui nous attend. Le ‘Desrosiers’ cousu main près du cœur m'arrache un sourire quand je le vois. Je reste quelques secondes là et prends une photo rapide que j’envoie à mon ami. Je l’adore. La pièce est unique et merveilleuse. Je me badigeonne rapidement de crème solaire, mets le tube dans mon sac et enfile une paire de baskets. Je file vers le bar et lorsque je vois Wendy, je souris largement. Ah, je suis contente que tu sois là ! J’avais peur que tu me plantes. Que je lance rapidement en me glissant à ses côtés. T’es prête ? Que je demande avant de me pencher en avant et de demander deux petites bouteilles d’eau au barman. Ainsi que le panier repas que je leur ai demandé de me préparer et qu’ils ont gentiment accepté de faire. J’ai pris une location à l’hôtel, ça sera plus facile, on peut directement partir au moins. Pas besoin de descendre en ville et de perdre du temps. Yucatan, nous voilà !

Il y a bien trop de choses à faire pour passer toute la journée à l’hôtel. Pour être honnête, je regrette presque d’avoir autant dépensé dans l’hôtel pour le temps que j’y passe. Oui, la nourriture est comprise - et Dieu merci j’ai pris une demi pension seulement - mais j’aurais pu faire bien plus d’économie si je n’avais pris que la chambre, aucun doute là dessus. Enfin, maintenant que le séjour avance, je ne peux pas me plaindre, surtout avec une literie aussi parfaite. Et l’insonorisation… Parfait. Je n’ai qu’un voisin pour le moment mais il peut faire tout le bruit du monde, je n’entends rien. Je ne suis pas là pour l’espionner mais j’ai ce trait assez curieux, je ne peux le nier. Et je compte bien user de ce trait avec Wendy lors de notre escapade de la journée. Retrouvée dans le hall d’entrée, une accolade rapidement échangée et les plans sont exposés. Nous avons trois heures de route devant nous et cela risque d’être fatiguant. Cependant, je n’ai aucun doute sur le fait que la vue des lagons roses vaudra tous les kilomètres avalés. Et en chemin, nous aurons bien besoin des victuailles que j’attrape. Mes yeux sur elle, je ne peux m’empêcher de rire à ses mots. Non non, ça ira. Je n’ai jamais rien trouvé d’aussi impersonnel que le fait d’avoir un chauffeur. Je ne sais pas, comment est-ce que je peux chanter à tue-tête, danser sur mon siège, beugler sur les tocards en voiture si je ne suis pas seule ? Les moments en voiture ont toujours été l’une de mes escapades préférées et même si je n’ai pas trop l’occasion de le faire à Boston, je risque de profiter de ce trajet comme lorsque l’on traversait le Brésil de part en part avec mon père. Ça n’a pas duré longtemps puisqu’en gagnant des prix, nous avons pu passer à l’avion et ainsi économiser des heures de trajet. Le pas décidé, je me dirige vers le parking où on me donne les clés de la voiture en question. T’as bien dormi cette nuit ? Que je demande rapidement, posant le panier repas à l’arrière et m’installant derrière le volant. Le mécanisme craque lorsque je recule le siège mais je n’en fais pas cas. T’es sur quel étage et quel bâtiment ? Ça se trouve on est voisine et on ne le sait même pas ! C’est étrange de faire la conversation comme si on se connaissait toutes les deux mais ça semble presque logique et fluide. Il ne faut pas compter sur moi pour lancer un pic ou deux et rappeler nos précédentes conversations, ô que non.

Les heures qui nous séparent des lacs roses sont nombreuses mais ça ne me fait pas peur et c’est pour cela que je décline poliment sa proposition de faire appel à un chauffeur. Je peux conduire, ce n’est pas le problème, et je crois même que c’est quelque chose que j’ai réellement envie de faire. Me faire conduire à l’autre bout du pays ne me tente vraiment pas, je trouve qu’il n’y a pas plus impersonnel et privilégié comme acte et j’ai envie de passer un moment un tantinet personnel avec la jeune femme. Si j’avais envie de me la couler douce, on serait restée près de la piscine. Les clés en mains, la voiture chargée, je tente de démarrer la conversation. Ça va probablement être un avantage que de conduire la voiture, au moins j’aurais quelque chose à faire si la conversation ne décolle pas et qu’il n’y a que des banalités qui sont échangées. Vu le personnage qu’est Wendy - et celui que je suis - ça ne devrait pas arriver mais je ne préfère pas mettre la charrue avant les bœufs. Ah oui non, nous ne sommes définitivement pas voisine. Que je lance en riant légèrement. Je suis dans le premier, douzième étage, bien sympa pour ce que j’y fais. À savoir dormir. Et j’ai même obtenu une réduction sur le prix de la chambre. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils ont overbooké l’hôtel et que j’ai une chambre communicante. Il y aura quelqu’un d’autre de l’autre côté de la porte de ma salle de bain d’ici quelques jours. Mais pour le moment, je profite de la chose, ayant accepté la ristourne et ravie de pouvoir faire connaissance avec de nouvelles personnes d’ici quelques jours. La plupart des gens se seraient offusqués mais il m’en faut plus. Tant que je n’ai pas un bordélique qui vole mes produits, tout se passera bien. Et au pire, je volerai les siens et nous serons quittes. Je vis avec un casse bonbon toute l’année alors là, ça ne me fait pas peur. Le contact mit, je quitte le parking et place mes lunettes de soleil sur mon visage. Au premier feu rouge, mon visage se glisse sur Wendy et je lance Vas-y, je te laisse choisir la musique. Un sourire et je me reconcentre sur la route. Normalement, y a l’option bluetooth pour mettre quelque chose depuis nos téléphones. Je n’ai pas pris la voiture la plus pourrie non plus. Je me suis dis qu’on entendait bien trop de sons hispaniques depuis quelques jours et même si j’adore leur langue, je n’en peux plus. Je ris légèrement en avançant doucement sur la route. Trois heures à être concentrée sur les routes sinueuses du Mexique. Alors, prête pour les examens ? J’ai entendu tellement d’étudiants en parler, ce qu’ils sont ennuyeux. Comme si c’était en quelques jours qu’ils allaient réussir à rattraper le retard accumulé tout le long de l’année. Vraiment, je ne comprends pas. Et puis, pas besoin d’un diplôme pour s’en sortir. J’en suis la preuve vivante. Enfin, en était la preuve vivante puisque depuis la Californie, j’ai un diplôme en poche. Mais pas d’une université aussi prestigieuse, c’est vrai. Seulement ça, c’est un détail.

Mon budget vacances n’est pas fou - loin de là même - mais je compte bien profiter comme je le peux. Et si je dois faire quelques sacrifices, je les ferai. Je suis ici pour profiter et c’est ce que l’on va faire toutes les deux aujourd’hui. La mer de sel rose est un lieu qui m’a de suite attiré quand j’ai fait des recherches sur ce qu’il y avait à faire ici et dans les alentours. Chaque jour une nouvelle aventure, ça me correspond plutôt bien quand j’y pense. Et aujourd’hui, je ne suis pas seule pour cette aventure, ce qui la rend particulièrement intéressante et lui donne un goût un peu plus sucré. Les réflexions faites, la discussion qui se déroule, je tourne vivement les yeux vers Wendy et souffle Wow. Est-ce que je suis en voiture avec Einstein ? Je laisse un léger rire s’échapper et redirige mon visage vers la route afin de ne pas nous envoyer dans le décor ou provoquer un accident. Elle fait donc partie de ces chanceux qui peuvent se permettre de ne pas trop réviser, jamais. Quand j’étudiais, je révisais pas mal mais je savais aussi profité de moments pour me reposer, pour profiter avec mes amis et c’est un peu ce que je leur reproche, à ces étudiants qui sont incapables de sortir la tête de leurs bouquins. Quel est l’intérêt de partir si loin pour lire, surligner et annoter leurs cahiers ? Pour ça, autant rester à Boston, n’est-ce pas ? Moi ? Je gère un club à Boston. Ce qui est la vérité. C’est fou comme face à Wendy, je tais le nom du Nirvana. Je n’en ai pas honte mais je crois que ça pourrait nous porter préjudice et je n’ai pas envie d’avoir un silence de morts dans la voiture, surtout vu les heures de trajets qu’il nous reste. J’en acquis la propriété complète petit à petit. Je remonte le club, je fais du bénéfice, et j’achète les parts à l’ancien proprio sans mettre tout mon fric en danger. Et aussi parce que je suis tout bonnement incapable de payer le tout d’un coup ni même d’obtenir un prêt à la banque. C’est le projet de ma vie, être ma propre patronne. Ne plus appartenir à qui que ce soit. Et je finirai par y arriver, c’est sûr mais il me faut encore quelques mois - années - pour y arriver. J’ai cru comprendre que t’étais une business woman aussi ? Que je dis, comme pour la lancer sur elle et sa place dans le monde. Une girl boss, comme disent les jeunes de nos jours. Et ça, ça me fait éclater de rire. Putain quelle réflexion de vieux, c’est déprimant. Ça vient du cœur au moins. Je ne mens pas, je n’embellis rien. C’est une réaction de vieille taupe et c’est ce que je suis, du haut de mes trente ans.