Je n'ai jamais opté pour la recherche, bien que j'en ai toutes les qualités, rigueur, méticulosité, intelligence, innovation. Je suis pourtant un homme de terrain, de ceux qui aiment tenir les corps entre leurs mains, d'allier pratique et réalité. Militaire avant tout. Dire que je n'ai jamais pensé à ce genre de carrière serait mentir. Le prestige que cela peut donner à un nom est toujours séduisant je dois l'avouer. Syllabes qui résonnent ensuite à la postérité, marquent durablement l'histoire, de ces travaux de fourmi, nous pouvons en réalité tout changer. Mais jusqu'ici, je n'ai jamais pris le temps de m'y pencher, n'ai pas trouvé d'occasion spécifique. Alors lorsque j'ai reçu la lettre de ce jeune Barkley, mon attention s'est trouvée piquée par l'intitulé des travaux. Au carrefour de la traumatologie et de la médecine légale, avec quelques bases de neurologie, le sujet semble être fait pour moi, mes compétences. J'y vois là une opportunité à laquelle au moins, je dois m'intéresser. Tout dépendra du crédit que je donnerai à ce jeune homme, à sa façon de me convaincre ou non de poursuivre la manœuvre. Coups qui viennent s' échouer contre ma porte. Il est à l'heure et c'est déjà un bon point. « Entrez. » tonne ma voix dans mon antre habituelle. Pour l'occasion, j'ai laissé la tenue de bloc au vestiaire, optant pour celle des consultations, à savoir un pantalon de costume et une chemise blanche, simple efficace, point trop de fioritures pour une compétence et un charisme déjà reconnus par mes pairs. « Monsieur Barkley, salutations. Je vous en prie asseyez-vous. » Ma paume se tend vers un des fauteuils dédiés à l'espace entretien de mon bureau. « Thé? Café? Eau ? » J'ai été éduqué pour ne rien manquer des rites de politesse, homme fort et discipliné, cela n'échappera sans doute pas à tes observations.

Regard d'absinthe qui vient s'échouer sur ce jeune premier. Tu ne manques pas de hargne, ni de fougue, j'imagine parfois avec du mal à la canaliser. « Vraiment ? » Mon marbre ne se départit pas d'une expression neutre. Une éthique ? Hum... disons qu'elle m'est propre. Que ma réputation va plutôt en faveur de ma rigueur, de ma méticulosité, mais aussi de mes sombres mystères. Je suis réputé comme professionnel mais peu fréquentable. C'est bien simple, mes pairs, je ne les fréquente pas le moins du monde, hormis lorsqu'ils peuvent m'apporter un semblant de prestige. Je ne suis pas sensible à ce genre de compliments.  Je verse l'eau dans un verre, que je viens porter entre tes mains, avant de m'asseoir, mon propre café en main. La tentation d'y associer une doucereuse nicotine se fait sentir mais j'y résiste. Ici, le tabac est interdit. « Oui, je connais le Docteur Omalu. » Coup de pied dans la fourmilière, révélant un secret au grand public que la plupart des praticiens observaient déjà  de leurs propres yeux. « Je pense qu'il n'a pas été vraiment contredit et même plutôt reconnu dans ses travaux, alors dites-moi, quel serait votre but Monsieur Barkley ? » Personne n'a contredit la véracité de ses trouvailles concernant l'encéphalopathie traumatique chronique chez certains sportifs de haut niveau, les footballeurs, mais aussi, les rugbymen, les boxeurs, et tout autre sport de contact induisant des chocs répétés sur la boîte crânienne. « Vous voulez que ça bouge davantage ? » J'ai besoin de connaître tes motivations. Le but me paraît louable, mais il y a tellement d'autres causes à défendre, il me faudra un intérêt à défendre plus encore celle-ci. Portant la tasse à ma bouche alors que tu évoques le racisme dont il a été probablement victime. « Vous savez pertinemment que ma peau est blanche mais que je n'ai pas non plus les louables origines. » Pays de l'est, Pologne, j'ai moi aussi affronté un lot de préjugés et les affronte encore, d'autant plus lorsqu'on connaît l'historique de ce pays contre ceux de ma contrée. « N'allez pas croire, votre projet m'intéresse, mais je veux savoir ce qui vous anime profondément pour défendre ces découvertes. » Je ne me lance pas là dedans sans mesurer les conséquences, sans prendre en compte tous les paramètres, toi en premier.

Jeunesse emplie de hargne, de cette soif de réussite, d'imposer une sorte de justice au monde. L'idée pourrait être séduisante si elle ne comprenait pas un certain nombre de risque je dois au préalable mesurer avant de me lancer dans une telle aventure. Naturellement, je ne suis pas de Ceux qui vont accepter de se lancer dans ce genre de projet sans prendre en compte tous les paramètres. « Globalement, il a été validé, même si bien sûr, certaines vérités ne sont pas bonnes à entendre. » Le sport et la performance passent avant la santé des Athlètes, pour offrir toujours plus de divertissement au monde, toujours plus de rêves. On sait pertinemment les rouages qui viennent alimenter ce doux rêve, et là encore les fils des troupeaux communs ne sont animés que par les lobbys les plus puissants. Le sport est souvent la façade de tractations bien plus sombres. « Certes, mais il faut être malin dans la manœuvre. » Il n'y a rien à gagner à défendre les vies de ces athlètes qui acceptent de toucher des millions, la communication devra valoriser le geste pour cela prenne malheureusement un minimum de sens. « Je suis polonais. » dis-je en levant mes absinthes vers ce garçon aux origines plus chaleureuses. « L'amalgame avec la Russie est souvent facile, bien qu'on les déteste. » Origines mêlées alors qu'il s'agit là d'un de nos plus grand ennemi historique. J'imagine que si tu t'inscris dans cette démarche avant tant de fougue c'est qu'une raison bien plus personnelle vient t'animer. Parce qu'il en est toujours ainsi. L'Homme est fait ainsi. « Vous voulez effectuer des mesures préventives à terme ? Comme quoi ? » Comment changer ce risque sans pour autant changer la nature des sports de contact. L'idée est noble, mais le business lui ne doit pas trop changer pour que les dirigeants acceptent de s'y plier. « Vous pourriez recueillir plusieurs témoignages de victimes comme vous ? » C'est ainsi qu'on peut toucher le public, en amassant les vécus de personnes proches d'eux, un père, un mari, un fils. « Et pourquoi moi ? » dis-je en fronçant les sourcils, un mince sourire aux lèvres. Je suis respecté dans mon métier mais pas le plus affable, sans doute qu'une jeune docteur souriant et prestigieux aurait été apprécié. Peut-être que finalement, tu as entendu parler de cette partie de moi qui ne veut jamais rien lâcher. La férocité du Loup.