Il n'y a pas beaucoup d'endroits où il m'est vraiment possible de tolérer la présence humaine de façon conséquente. Mais dans une bibliothèque, c'est un monde que j'arrive à apprécier malgré cela. Parce que le silence est le maitre mot et qu'en me mettant dans ma bulle, je peux avoir cette impression d'être seul. Sentiment que je parviens encore à ressentir lorsque je me glisse dans les allées de la bibliothèque publique de Boston. Là-bas, ils ont quelques ressources littéraires qui me plaisent, question de moyen certainement. Je me glisse dans les différentes étagères, suivant l'ordre alphabétique du rangement en lisant chaque titre qui pourrait m'évoquer un récit à lire. Peut-être même me rappeler que je dois lire car on me l'avait conseillé. Un titre attire mon regard, j'attrape le livre avant de prendre la direction de la zone de lecture. Celle que je vais toujours utiliser car elle n'est pas envahie de monde, que le silence y règne et surtout, parce que c'est le seul endroit qui me convient.

Je fais voleter les pages, curieux d'en saisir quelques nuances. Mais à la sortie des allées, je regarde où je vais. Mais à cet instant, c'est bien plus que ça qui s'offre à ma vue. Chevelure chatain foncée, fine, magnifique, quelques tatouages apparents. Regard d'une profondeur transcendante. Souvenirs d'un passé qui remonte violemment. " Colin... " lèvres qui se murmurent alors que mon cerveau a décidé de m'empêcher de bouger le reste de mon corps. L'émotion est si forte de le revoir, ici, à Boston. Même si Springfield n'est pas  si loin que ça de Boston, je ne me suis jamais attendu à ce qu'il revienne par ici. Est-ce une visite ponctuelle ? C'est ce que je me dis. Mais à cet instant, je suis incapable de ne pas être touché de le voir après tant de temps. Depuis que nous nous étions séparés, précisément... et sans que je me rende compte, le livre que je tenais glisse de mes doigts, fracassant le sol dans un écho assourdissant. Evidemment, les regards se tournent vers moi.

" pa...par...don... " mains qui tremblent, je finis par réveiller mon corps de cette stase. réaction incontrôlée mais je me reprends. Mes doigts enveloppent les bords du livre, je manque même de tomber... Je pose une dernière fois mon regard sur Colin avant de m'enfuir dans le rayonnage, juste deux à trois mètres pour ne plus être l'attention de tous. Je pose le livre sur le bord de l'étagère et engouffre mon visage plein de larmes dans mes mains. " Pourquoi... Pourquoi lui... pourquoi maintenant... " la respiration est saccadée, le palpitant est près à lâcher. je n'ai jamais pensé que je devrais un jour lui refaire face. Et encore moins que j'allais me retrouver dans cet état...

Féru de littérature, de pages, d'aventures, Kerouac, Krakauer, Tolstoï n'ont pas de secrets pour moi. J'aime aussi bien me divertir qu'apprendre, si bien que mon appart s'entasse de ces récits, de ces écrits plus savants et que la bibliothèque est davantage adaptée à mes désirs maintenant. Je suis un exilé du numérique, un Vagabond accroché aux pages, et je règne en Roi de papier sur ce lieu désormais moins fréquenté par l'actuelle génération. Regard qui vient s'accrocher aux volumes, j'en porte déjà trois, me disant que je vais les feuilleter dans mon recoin de salon habituel, avant de me décider. Je veux pas trop m'encombrer de livres, préférant multiplier mes venues que de gâcher un emprunt. Mon activité professionnelle étant assez forte, je n'ai malheureusement parfois pas assez de temps, d'énergie, pour me consacrer à ce loisir que j'affectionne. Je vois pas tout de suite. Ta silhouette parmi les romans. Ton corps gracile répandu dans ce salon. Mes sourcils se haussent. « Hariel ! » Je souris, gêné un peu. Dire que j'avais pas pensé te revoir serait un mensonge. Mais je me suis aussi persuadé que si les choses s'étaient terminées entre nous, c'était pas pour rien. La distance avait pas aidé notre relation, l'exigence de nos études non plus. Mais on pouvait pas attribuer cette séparation à notre mauvaise entente. Y'avait un goût d'inachevé, et cette décision avait été difficile à prendre. Si difficile que de me voir replonger serait aussi angoissant, bien que ouais c'est pas l'envie qui me manque... Et toi tu paniques. Du Hariel typique. Je t 'observe t'éloigner, pris dans un de tes tourments dont tu as le secret. Je sais même pas si tu es heureux ou dévasté de me revoir. Ce que je dois faire ? Mais je suis ainsi, je peux pas te laisser dans le mal. Pas mesurés qui me conduisent à ta silhouette éparse. Ma main se pose sur ton épaule secouée de sanglots. « Hey, c'est que moi. » Et franchement ça n'a rien d'impressionnant. Mon corps se penche, visage incliné vers le tien, mes billes lâchent pas tes traits familiers. Bordel, comment c'est possible d'encore craquer à ce point là. « Tu veux que je te laisse ? » Je sais pas quoi faire. Est-ce que je suis le fléau, la maladie ? Ou bien le remède.

C'est une véritable tempête qui frappe dans ma tête. Voir Colin après tout ce temps, je passe par tellement d'émotions que je ne parviens pas à les gérer. Qui plus est, les questions fusent les unes après les autres. Les souvenirs, les bons comme les mauvais, remontent et ont raison de mon état général. Caché entre les rangées, j'espère retrouver mes esprits. Parce que le voir... ça me retourne totalement. Notre relation s'est terminée à cause de la distance, pas les sentiments. Quand les semaines ont passées, je pensais qu'ils étaient partis. Deux mois après notre relation, j'ai rencontré Timothée, je pensais qu'il était parvenu à me faire oublier mes sentiments pour lui. Mais de le voir, debout dans cette bibliothèque, je comprends que ce n'était toujours pas terminé. Que ce n'est pas le souvenir d'une relation passée qui me faisait face. Les yeux me brûlent alors que je revois encore ton visage, tes mains tenant tes livres. Je suis surpris en sentant une main chaude sur mon épaule, je sursaute, inspirant brutalement, alors que mon regard se plante dans cet océan de paradis. " Colin... " je renifle, essuyant mon visage de ma manche. J'ai du mal à réaliser qu'il est là, à Boston. Lui qui ne pouvait quasiment pas venir. Il passait même son temps à venir à la bibliothèque. Je ne comprends pas. Je suis perdu. Les questions me font mal à l'intérieur. Alors, quand il demande s'il doit partir, ma main agrippe presque violemment le pan de son pull. " Non. " même si je me rends compte de l'importance de mon geste, je ne bouge pas d'un pouce. J'affronte son regard, même si j'ai certainement l'air pitoyable ainsi. " Qu'est-ce que tu fais ici, Colin ? Il y a des bibliothèques à Springfield. Tu devrais être là-bas, non ? " une partie de moi ne comprend pas. Une autre est en train de se demander si Colin ne serait pas arrivé à Boston. Après tout, les mutations d'un hôpital à l'autre, c'est clairement possible. Je ne suis pas capable de savoir si son retour est une bonne nouvelle ou non. Je me sens perturbé et surtout, perdu. dans mes désirs. dans mes sentiments. dans tout. " Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu venais à Boston ? " je me pince la lèvre pour me retenir de parler davantage. les questions se bousculent et je ne peux pas l'agresser de la sorte. on ne se doit plus rien et pourtant...

C'est surprenant de te voir ici et en même temps, nos retrouvailles, c'est une chose que j'ai souvent imaginé. Sauf qu'on avait tous les deux évoluer, continuer nos vies et que je me voyais pas débarquer dans la tienne l'air de rien après notre rupture. Je te savais dans la même ville, donc je me suis dit qu'un jour ou l'autre, je te recroiserai, même si Boston est une grande ville, je m'en suis en quelque sorte remis au destin. Voyant que tu es bouleversé par nos retrouvailles, j'en suis surpris même si je connais parfaitement ton hypersensibilité, c'est même ce qui m'a attiré chez toi, différent des autres, écorché, unique. « Ok. » dis-je en souriant alors que tu viens agripper mon pull. Sourire qui t'es offert, pour te rassurer, comme si t'avais le droit d'avoir de fortes émotions, je les accueille sans problème, je comprends. « J'ai eu mon diplôme l'année dernière et j'ai pris un poste sur l'hopital de Boston y'a tout juste un an. » Je souris à nouveau, parce que je suis vraiment fier de ça, le Boston Massachussetts est un hôpital reconnu et polyvalent dans lequel je vais pouvoir acquérir une solide expérience, même si c'est pas tous les jours facile. « J'y ai pensé, mais je me suis dit que tu étais passé à autre chose, je voulais pas faire de malaise, débarquer comme ça. » Je sais pas, je me sentais pas à ma place, c'est bizarre non de revenir dans des circonstances pareilles ? « Tu m'en veux ? » Parce que tu pourrais, même si j'imagine que tu peux aussi comprendre mes raisons. Qui étaient avant tout dûes au respect que je te porte.

Je n'ai pas envie qu'il parte. J'ai besoin de réponses de sa part. On ne devrait plus rien se devoir mais là, en ce moment, j'ai tellement de questions. Mais celles que je pose obtiennent des réponses à laquelle je ne m'attendais pas du tout. Il est à Boston depuis un an ? Je sens l'émotion m'envahir, j'ai envie de crier, de pleurer. Je me retiens pour ne pas être viré de la bibliothèque. Mais je vrille au fond de moi. " un an... " je répète, parce que j'ai du mal à imaginer tout ce temps. Un an qu'il est ici sans que j'en sache quoi que ce soit. Mais après tout, qui aurait pu me le dire ? Et puis, je le sais... J'étais avec Timothée, ça aurait été difficile de se voir, surtout si ça allait me mettre dans le même était que maintenant... Quand il finit par reprendre, je suis clairement déçu d'entendre ça. Je n'ai même pas envie de l'entendre. Je m'y refuse. Et en même temps, je suis encore resté sur le plaisir de le voir. parce que je le suis. même au bord des larmes, c'est presque un soulagement de recroiser sa douceur, son être. Lorsqu'il me demande si je lui en veux, la réponse reste un petit temps entre mes lèvres. " Oui. Beaucoup. " durs sont les mots qui sont prononcés. et pourtant, mes doigts restent agrippés à son vêtement. et le sont même encore plus. " mais je suis aussi content de te revoir. " parce que les bons souvenirs ensemble ne peuvent avoir disparus. Je me sens si partagé dans ce que je ressens, dans ce que j'émets. j'ai envie de me serrer contre lui autant que j'ai envie de lui crier la colère de retrouvailles si tardives. " Tu aurais voulu me revoir ? Je t'ai manqué ? " Je veux le savoir. C'est important, c'est franc, je le sais. Rapide, peut-être. mais je n'ai jamais eu cette patience là. les sentiments sont des sentiments si forts pour moi, que je ne peux réprimer toutes questions.

Vexé que je ne te donne pas de nouvelles. Que je ne te prévienne pas de mon arrivée dans cette ville qui portait les vestiges de notre histoire. Mais si la finalité du point avait été portée sur nos lignes, la règle tacite est de ne pas ouvrir une nouvelle parenthèse. Par respect pour toi, ta vie, j'avais trouvé bon de ne pas signifier mon arrivée, de ne pas possiblement tout venir bousculer, ou bien, je dois l'avouer, de me confronter à ton indifférence, à ce sourire simple et distant qui vient avouer qu'on est passé à autre chose. Certaines histoires se conjuguent mieux au passé, ne font plus si mal, et le risque est bien plus grand de rouvrir l'entaille. Mes sourcils se froncent lorsque tu viens m'avouer m'en vouloir... Je suis un peu désemparé mais les traits se lissent lorsque tu avoues être heureux aussi. « Faut savoir. » dis-je avec une moue un peu moqueuse. « Bien sûr que tu m'as manqué, mais tout était clair entre nous, j'ai avancé. » Je suis pas le style d'homme à restent figé dans une histoire, les études, le travail, tout ça m'avait observé et bien occupé de façon à ce que je ne m'épanche pas sur mon sort. « Tu veux aller boire un café ou un chocolat ? » Vu l'heure, pas de place pour l'alcool, mais l'idée d'un lieu plus ouvert et bruyant était tentant pour rattraper ce temps qu'on avait manqué.

Petite moue boudeuse lorsqu'il fait une réflexion face à ma réponse. Oui, je lui en veux. Je voulais le voir, je voulais le revoir. Même si ça n'aurait été sans se remettre ensemble. Simplement, sa présence à mes côtés restera précieuse à mes yeux. " Ce n'est pas incompatible" je lui lance d'un ton presque vexé, boudeur. Mais je me sens vacillé lorsqu'il vient à lui répondre à nouveau. Oui, je lui ai manqué. Mais clair au point qu'il a avancé. Je dois avouer que j'ai du mal à comprendre. Je ne sais pas quoi penser. Ni même ce dont j'ai réellement envie. " Je vois... " je murmure, alors que je baisse la tête. Je finis par quitter sa main alors qu'il me propose si gentiment d'aller boire une boisson chaude. Je me demande si c'est une bonne idée, je le sais que je vais dire "oui". Mais je ne sais pas si mon petit coeur va tenir le coup. " Un chocolat, je veux bien." Advienne que pourra ? " Je vais chercher mes affaires. " Je recule un peu avant de quitter l'allée, me sentant rougir dès que je me retrouve entouré de monde. J'inspire longuement pour me donner du courage et file à grande vitesse jusqu'à mon sac pour le récupérer. Je reviens vers Colin, le coeur battant. J'ai envie de lui poser d'autres questions, elles ne s'arrêtent pas. Mais... autant attendre d'être posé, non ? " Je te suis. " dis-je en serrant la bandoulière de mon sac entre mes doigts, encore intimidé.

Ce n'est pas incompatible non, mais renoncer à notre histoire n'avait pas été facile. On était pas dans le bon timing, sans doute trop jeunes encore, trop de choses à prouver, d'autres choses à vivre. Je sais pas vraiment, tout ce que j'en retiens, c'est que la distance faisait plus de mal qu'autre chose. « Fallait juste un peu de temps. » et pour le reste, je comptais sur la force des choses. Si le destin veut nous réunir à nouveau, alors ça se passera. La preuve en est aujourd'hui. Sauf que discuter entre les rayonnages me semble pas être le plus approprié, sans doute pour ça que je viens te proposer d'aller prendre une boisson non loin de là. « Super ! » que je dis avec un sourire plus léger, observant que tu n'as pas perdu certaines de tes habitudes. J'attends quelques instants que tu rassembles tes affaires. « Je passe juste emprunter ça. » dis-je alors qu'on prend direction de la sortie, passant mes volumes à la bibliothécaire, elle nous regarde amusée puis on retrouve l'air extérieur. « Là ça te va ? » que je te demande en désignant un coffee shop dans lequel j'ai mes habitudes. On entre dans l'établissement, commandons nos boissons et prenons place en les attendant sur deux fauteuils plutôt confortables. « Alors, raconte-moi qu'est ce que tu deviens ? Tu sais que j'ai parlé avec Cleo hier de toi ? C'est fou ! » Comme quoi y'a pas de hasard sur cette planète.

Je ne suis pas vraiment bien alors que je me sais encore sensible face à lui, encore sensible à notre passé. Alors que lui, il a avancé. Ce n'est pas une bonne idée, c'est ce que je me dis mais il semblerait que la raison s'éteigne face aux envies immatures. Nous nous retrouvons à la sortie après qu'il ait emprunté les livres qu'il souhaitait. Je frissonne lorsque nous nous retrouvons dehors, l'air frais de Boston me mordant la peau. J'acquiesce timidement lorsque Colin me propose d'aller dans le café qu'il désigne. " D'accord. " je me laisse guider, je n'ose pas. A vrai dire, je me demande ce qu'il fait maintenant. Comment il va au quotidien. Et pour rien ne cacher, j'ai envie de savoir s'il a quelqu'un dans sa vie. Depuis le temps, il a pu rencontrer bien des personnes. Moi-même, j'ai rencontré Timothée peu de temps après. Même si ça n'a pas duré aussi longtemps... Dans le café, je serre la tasse de chocolat chaud entre mes mains, me réchauffant mais aussi humant son parfum délicat. Colin finit par relancer la discussion et je ne peux retenir la stupéfaction. " Cleo ? Tu lui parles ? Elle sait que tu es à Boston ? " Là, je ne sais pas vraiment ce que je dois penser. Mon estomac se serre en imaginant ce que je n'aurais jamais cru. Cleo savait ? Je suis pendu aux lèvres de Colin, espérant avoir une réponse claire. J'en oublie sa question. D'y répondre. Je me braque automatiquement sur ses mots.