Bon… J’ai annoncé à mon mari hier que Candice s’était payée de la drogue et on ne s’est pas reparlé depuis. J’ai choisi de ne pas insister plus que ça, de le laisser respirer, avec le temps il saurait me pardonner pour ne pas l’avoir prévenu plus tôt. Mais j’vous avoue que c’est dur de l’éviter quand la seule pensée qui m’anime est celle de le serrer dans mes bras et de lui dire ô combien j’suis désolée. Mais ce n’était pas mon combat et j’étais coincée entre deux chaises… Trahir Candice, ou laisser Andy dans l’ignorance. Évidemment, il était hors de question que je cache quoi que ce soit à Andy donc tôt ou tard je lui aurais dit et c’est fait.

Malgré le froid, nous étions devant la télévision. Durant une pause publicitaire je m’amusais à changer les chaînes et tombai encore une fois sur l’actualité. Les gens se sont mis à croire que les responsables étaient les mêmes que ceux de la bombe à Harvard et du coup maintenant c’est partout dans les nouvelles. Je tournais les yeux pour regarder Andy, il semblait si… Calme. Je changeais encore une fois la chaîne pour remettre celle d’avant, en gardant le silence. J’étais un peu mal à l’aise…

J'étais carrément dégouté... Apple m'avait déçu, Anastasiya aussi et en plus on s'était pris la tête. Candice aussi m'avait déçu, en gros, c'était la loose... Il n'y avait désormais plus qu'Apple, Coraleen, Alejandro et moi à l'appartement. Alejandro était dehors, Coraleen dormait dans son petit berceau à côté de nous et le seul bruit qui perçait le silence était la télévision que je regardais sans trop la voir, jusqu'à ce qu'Apple zappe et se retrouve sur les actualités, parlant des bombes ayant explosé au marathon de Boston. Je fixai la télé en silence et déglutis péniblement, puis elle changea de chaîne et je baissai un peu les yeux, me sentant mal tout à coup et je savais parfaitement pourquoi. Je me sentais oppressé, j'avais du mal à respirer et songeai qu'une douche me ferait le plus grand bien. Ou même un bain, tiens. Je me levai donc du canapé sans un mot et me dirigeai vers la salle de bain, retirant mon tee-shirt une fois à l'intérieur mais alors que je défaisais ma ceinture, mon regard ne tarda pas à se poser sur une de mes cicatrices sur mon épaule. Je m'arrêtai dans mes mouvements, la boule au ventre et fixant cette cicatrice, une parmi d'autres. Doucement je me tournai de façon à pouvoir voir celle que j'avais à la base de la nuque dans le miroir, la gorge sèche et levant la main, je passai doucement mes doigts dessus, le coeur battant et les souvenirs me revenant en cascade si bien que je fermai les yeux. C'était inhumain d'infliger ça aux gens.

C'que je pouvais détester ce silence, sérieusement. Je l'ai vécu en pire pendant deux mois et ce n'était pas arrivé depuis un mois au moins. Il baissa les yeux, quelque chose le préoccupait, je pouvais le voir. Et juste au moment où je reposais les yeux sur la télévision, Andy s'est levé et a quitté le salon. Par automatisme, je me suis levée pour embrasser Coraleen. Elle semblait dormir à poings fermés, alors j'allais lui laisser la télévision allumée avec des dessins animés pendant que j'irai rejoindre Andy. Ça m'inquiétait de le voir comme cela et je n'en pouvais plus de la distance qui nous séparait. Puis quelque chose me disait que cela avait un rapport avec les bombes à Boston...

Je me dirigeais jusqu'à la salle de bain, comme j'avais entendu l'eau du robinet couler. La porte était entrouverte donc je m'étais permis d'entrer, sans dire un mot. Andy admirait ses cicatrices dans le miroir, son visage n'exprimait rien et je venais à me demander à quoi il pensait. Un pas après l'autre, je venais me positionner derrière lui, pour le regarder aussi dans la glace. Je ne savais pas quoi dire, ni quoi faire. Je repensais à ses jambes... Lorsque j'ai dû lui débarrasser d'une charge lourde, puis le feu, les gens qui courent et qui pleure partout... Qui meurent. Je me penchais pour doucement l'embrasser l'épaule, au-dessus de sa cicatrice, en réalisant comment j'ai été égoïste de vouloir qu'il se rappelle de ce jour-là.

Les souvenirs affluaient dans ma mémoire, m'assiégeaient, m'agressaient. Je sentais mon coeur se serrer en me rappelant du jour de l'attentat à Harvard, la peur, les cris, comment j'avais essayé de calmer les gens sur le parking... La crise d'Anya, les adieux d'Apple, June qui voulait s'envoyer en mission suicide, le timbré dans les hauts parleurs... l'explosion, le feu, la fumée, la douleur qui m'avait lacéré les poumons alors que je tentais de survivre en me demandant si mes proches avaient survécu, sans pouvoir parler, ni bouger, ni même crier pour appeler à l'aide. Je rouvris les yeux en sentant les lèvres d'Apple se poser sur mon épaule. J'aurais tellement aimé ne me souvenir de rien. Même si ça avait été l'élément déclencheur pour notre mariage, j'aurais aimé ne jamais me souvenirs de toutes ces sensations, de toute cette destruction, de la peur dans ses yeux, tout ça me hantait et l'attentat de Boston m'effrayait plus que jamais. Je voulais pas revivre ça, jamais. J'devrais... j'devrais retourner voir mon psy.... J'ignorais si ça allait m'aider, mais ce serait toujours un bon début, j'admettais que j'allais mal à nouveau quand bien même ce fut d'une voix brisée.

Je lui embrassais l’épaule et Dieu merci, Andy ne me repoussa pas. Il n’aurait manqué plus que ça sérieusement, pour me faire sentir encore plus coupable que je l’étais déjà. Ensuite, je posais ma tête sur son épaule et fermais les yeux quelques secondes. J’avais tellement envie de savoir à quoi il pensait là, tout de suite. Mais d’un autre côté j’avais peur… Peur qu’il pense à la même chose que moi. À l’événement qui avait coûté la vie de Stan ainsi que plusieurs autres, celui qui l’avait mis dans le coma et qui m’a inquiétée pendant deux longues semaines. Ç’en est assez… Il y avait vraiment trop de drame dans nos vies et je ne me sentais plus capable d’en prendre. Si quelque chose d’autre devait arriver, je serais probablement incapable de quitter mon lit le matin. J'devrais... j'devrais retourner voir mon psy... Je relevais la tête et le regardais à travers le miroir en me pinçant les lèvres. Je hochai la tête, silencieuse. Tu devrais oui. Je n’avais rien d’autre à dire… Si ce n’est que je ne pouvais pas supporter de voir mon mari malheureux, ça me brisais le cœur. J’enroulais mes bras autour de sa taille et déposai ma tête sur son épaule de nouveau. Tu sais que j'suis là... si t'as envie de parler... Si tu veux que j’t’accompagne… J’inspirais profondément, en essayant de ravaler mes larmes. Je pleurais beaucoup trop dernièrement.

J'avais regardé longuement Apple, puis j'avais reporté mon attention sur ma cicatrice, cette simple marque qui m'avait marqué à vie, tant physiquement que mentalement. J'étais épuisé par tout ce qu'il se passait. L'accident de Poppy, son départ précipité pour la France, le rejet de Xaver, la mort de Solweig, l'absence de nouvelles d'Elysia, Candice et la drogue, la dispute avec Anya n'arrangeaient en rien la situation, j'implosais complètement, c'était comme si toutes mes certitudes avaient volé en éclat en un claquement de doigts. Définitivement, cette période de l'année n'était pas bonne pour moi. Aux paroles d'Apple, je sentis les larmes me monter aux yeux, si bien que je me sentis obligé de clore les paupières pour essayer au mieux de les retenir. Je me sentais tellement à côté de tout, impuissant, inutile, insignifiant et faible, c'était insupportable. Je finis par rouvrir les yeux et me tourner doucement vers ma femme, posant la main sur sa joue et cherchant les mots. Je ne savais pas quoi lui dire, mais n'importe quoi, que quelque chose sorte par pitié, je n'en pouvais plus d'intérioriser. Je me mordis la lèvre en me perdant dans son regard un instant, la gorge nouée. ... J'suis tellement désolé Apple... Sur ces quelques mots, je l'attirai contre moi en espérant avoir été suffisamment rapide pour que les quelques larmes qui m'avaient échappé lui échappent. J'étais si faible, tellement qu'après mon appel avec Anya je m'étais rué sur Charle's River et j'étais resté là, planté devant la rivière à fixer l'eau comme je l'avais fait un an auparavant. A cette pensée, je cachai mon visage dans le creux de son cou et repris. J'veux juste que tout ça s'arrête...

Et pour moi. J’étais en froid avec ma cousine, alors qu’on était très proche. Des photos de moi à poil ont circulé partout à Harvard et ça aura coûté mon couple, ma réputation. Puis la bombe, puis le coma d’Andy, de Candice, la mort de Stan, l’annonce que j’ai dû faire à Anastasiya… La déception en voyant Briony avec Andy alors que je venais tout juste de lui refaire confiance, l’accident de Poppy et les soucis de Xaver, la perte de mémoire partielle d’Elia, le départ d’Andy, la drogue de Candice. Puis Solweig… La retrouvé pendu, alors que je venais pour m’excuser… Voir Andy malheureux me brisait le cœur, parce que je ne pouvais que comprendre mais je ne savais pas quoi faire pour l’aider. Pourtant je le voulais tellement. ... J'suis tellement désolé Apple... Rapidement, Andy se retourna vers moi pour me serrer dans ses bras et aussitôt, je me sentais beaucoup plus… légère. Son câlin me procurait un bien fou ! Mais maintenant que j’avais moins de poids sur les épaules, je me demandais pourquoi il s’excusait… N’t’excuse pas… Je le serrais très fort contre moi et remontai ma main à ses cheveux pour le caresser. Je peux vous jurer que je ne l’ai jamais senti me serrer aussi fort contre lui. J'veux juste que tout ça s'arrête... Je me pinçais les lèvres et sentis mes larmes couler. Finalement je n’aurai pas réussir à me retenir… Tant pis. J'espère aussi... J’avais pris une grande inspiration avant de déballer d’un coup, la voix cassée : J’en peux plus et je ne veux pas te voir comme ça, ça me fais tellement, tellement mal. J'suis épuisée, Andy et tu dois l'être autant si ce n'est pas plus... Et j’suis désolée d’pas t’avoir dit pour Candice plus tôt, mais j’avais aussi un peu peur que tu le prennes mal et que tu veuilles plus lui parler ou requitter les Eliots, 'fin j'sais pas à quoi j'ai pensée… J’ai hésité à te l’dire je l’avoue mais au final je ne peux pas m’permettre de t’cacher quoi que ce soit, tu le sais… T’es ma moitié, t’illumine mes journées, j’veux juste que tu sois heureux et j’ferais tout pour toi tu sais. J’arrêtais de parler pour laisser place à des gémissements. Je pleurais et j’en avais mal. Si seulement on pouvait partir, fuire... Et revenir après que l'orage soit passé...

Pourquoi j'étais si égoïste avec Apple ? Elle allait mal aussi, je ne devrais pas tant me reposer sur elle. Mais d'ailleurs, qui allait bien de toute manière ? Avec les événements récents, pas grand-monde, et ça s'était ressenti au Spring Break dans les nombreux débordements, nombreux étaient ceux qui avaient voulu tout oublier, j'en avais fait partie et je le voudrais encore. Dieu que j'aurais aimé pouvoir noyer mon chagrin dans un verre d'alcool, mais je me connaissais, je savais à quel point c'était mauvais... je luttais. Et Apple, comment faisait-elle pour tenir ? Moi, je saturais, ma vie n'était que catastrophe sur catastrophe depuis plus d'un an, je ne pouvais plus rien accepter d'autre. Ca aurait été si simple si je pouvais simplement m'arracher le cœur, arrêter d'avoir mal, la vie était si dure et injuste que je me surprenais à nouveau à songer au repos, celui qui est éternel, la dernière souffrance avant la tranquillité. Et ça, c'était encore plus égoïste, je m'en voulais davantage encore d'y penser. Je me détestais tellement, je m'en voulais d'être comme ça, mais c'était un cercle vicieux, il me semblait que je n'en verrais jamais la fin, tout comme mes soucis qui s'enchainaient et s'empilaient sans plus me laisser respirer. J'étouffais littéralement, chaque inspiration me brûlait la gorge et me battre était devenu un supplice. J'étais en colère, contre plein de gens, contre moi, contre le monde entier, mais il m'était impossible d'évacuer cette colère et ça me ravageait alors je m’autodétruisais Mon cœur se serra d'autant plus aux paroles d'Apple et je la serrai plus fort encore contre moi, comme craignant qu'elle s'envole, qu'elle disparaisse à son tour. . A notre mariage, on s'était dit pour le meilleur et pour le pire, et j'ignorais ce que je ferais sans elle à ce moment-là. Que devait ressentir Keanu, hanté par le souvenir du visage mort de notre meilleur ami ? J'expérimentais la rechute, cette horreur qui ramène tous nos démons, ravivait ma culpabilité pour la mort de notre amie Coraleen et me remémorait la tentative d'Elysia et ce sang, tout ce sang, qui aujourd'hui me rappelait aussi la bombe. J'avais relevé la tête et regardais Apple, les larmes coulant sur mes joues également et à ses dernières paroles, je baissai les yeux, terriblement honteux. Honteux d'avoir songé à m'enfuir sans elle, honteux d'avoir pensé à la laisser seule en me jetant dans cette rivière pour en finir, comme j'avais pu être tenté un an auparavant. Je fermai les yeux, ma main se joignant à la sienne et mes doigts s'entrelaçant aux siens. J'suis allé à Charle's River... J'avais pas besoin d'en dire plus. Elle comprendrait. Trop bien, même. Je rouvris doucement les yeux pour fixer le sol sans rien ajouter. Elle voulait que je sois heureux et ferait tout pour moi, malheureusement il n'y avait pas grand-chose à faire. Anastasiya me l'avait si bien dit, nous n'étions pas superman et nous ne pouvions pas empêcher les malheurs de se succéder sans nous laisser de répit si la vie en avait décidé ainsi, et ça me détruisait.

J’en avais tellement marre… D’enchainer horreur après horreur, de devoir jouer la messagère ainsi que celle qui doit consoler les autres. Merde, quoi… Je croyais que cette période de ma vie était passée, je pensais que j’avais fini d’être trop gentille et de donner gratuitement. Mais Solweig… je ne pouvais pas me permettre d’ignorer ses proches. Je ne pouvais pas me permettre de ne penser qu’à moi dans un moment pareil, c’n’est juste pas ma nature.

Et puis là… je sentais les bras d’Andy m’agripper et me serrer vraiment très fort contre lui, alors que j’en rêve depuis hier soir. Mais j’aurais préféré ne pas y avoir droit, j’aurais préféré qu’Andy me fasse la gueule si c’était le prix qu’il fallait payer pour ne pas le voir aussi dévasté.

Andy releva la tête et baissa les yeux aussitôt, il fuyait… Je passais mon pouce sur sa joue pour l’essuyer puis y déposai ma main. J’suis allé à Charles River... Je fronçais les sourcils. Sur le coup je n’ai pas compris, mais je me suis posée des questions. Questions auquel je me suis répondue toute seule : Pourquoi Charlies River ? Pourquoi il me parle de ça maintenant ? Il essaie de me faire passer quel message ? Et tout de suite, ça m’a semblé tellement… évident. Le psychologue, sa dépression, le lieu où je l’ai retrouvé lorsqu’il m’a annoncé tout ça… Je retirai ma main de sa joue et serra celle qui lui tenait la main.

… Et il me reproche de ne pas lui avoir dit plus tôt pour Candice ? Alors que moi, j’aurais pu le retrouver mort noyé ? Sans comprendre pourquoi, je me serais retrouvée veuve et mère monoparentale… Cette image… Mon dieu… C’est affreux. C’est juste terrible. C’est… C’est la raison pour laquelle j’essaie d’être compréhensive envers Alekseï. Je commençais soudainement à avoir chaud, à avoir la tête qui tournait… Je me sentais mal. Je posais ma main sur ma poitrine… J'vais être malade. J’étais tellement anxieuse, plus que jamais même. J’avais peur de le perdre et pire, j’avais peur de ne pas savoir quoi faire pour éviter que ça arrive. Mes jambes ont flanchés et je me suis écrasée les genoux au sol. J’avais vraiment envie de vomir et c’est d’ailleurs ce que j’ai fait après avoir rampée jusqu’à la toilette. Tout allait mal… et même le bain débordait. Ne me laisse pas toute seule... Je flushais la toilette avant de me mettre en petite boule parterre. J'ai peur, sans toi.

Charle's River... Ca signifiait tellement, sortant de ma bouche. les gens savaient, pour les plus proches de moi, que c'était le lieu où j'avais failli m'enlever la vie il y a déjà un an, et que j'avais tendance à m'y rendre et regarder l'eau pendant des heures lorsque ça n'allait pas, me posant mille et une questions, songeant à ce que serait la vie sans moi, me disant que la Terre n'arrêterait pas de tourner même si je partais... Que de toute manière, je n'étais pas indispensable pour que le monde fonctionne et que je ne manquerais pas à grand-monde. Le visage d'Apple se décomposa en entendant le nom de ce lieu, si lourd de signification et si représentatif de mon état d'esprit, elle mesurait l'importance de retourner voir un psychologue. L'inquiétude se fit une place sur les traits de mon visage lorsqu'elle m'annonça qu'elle allait être malade, digérant difficilement la nouvelle et songeant probablement au fait qu'elle aurait pu me perdre à jamais, ne plus me revoir et je sentis mon coeur se serrer, essuyant les larmes qui coulaient sur mes joues d'un revers de la main. Apple s'approcha des toilettes, s'y agenouillant et finit par vomir, tirant la chasse et restant assise par terre alors que je m'approchai d'elle, honteux et prêt à me rendre malade aussi pour la faire souffrir autant. Apple... je suis désolé... Que pouvais-je faire pour l'aider à digérer l'annonce ? J'étais toujours là c'était l'essentiel, et avec l'intention de voir mon psy pour aller mieux... Je m'agenouillais près d'elle et posai ma main sur la sienne, la serrant doucement. J'vais tout faire pour qu'on aille mieux... tous les deux.