Journée qui viendra s'habiller d'encre. Elles sont rares car le tatouage n'est pas mon activité principale et à vraie dire, je n'espère même pas en vivre, cette activité me convient parfaitement comme complémentaire. J'ai réussi à me faire une petite renommée dans le métier, si bien que je dois désormais refuser pas mal de clients et que je m'attaque seulement aux projets qui me tiennent à cœur et qui nécessite un minimum de travail. Shop prêté pour la journée par un de mes amis qui est en repos, je m'apprête à te recevoir une nouvelle fois. T'as été une de mes premières clientes et bien que le tatouage était alors minimaliste, je n'oublie pas les personnes qui ont rendu ma passion possible. Tu ne m'en as pas trop dit, sinon que tu souhaitais réaliser une pièce plus intime, bien plus vaste et qui te tient particulièrement à cœur. Il ne m'en faut pas davantage pour accepter et naturellement, je viens te proposer d'en parler de vive voix, je sais que ce genre d'œuvre est plus facile à créer lorsque les esprits s'allient dans la création, lorsque les voix résonnent de concert et que je peux percevoir la sensibilité qui émerge. Ce que j'aime dans cet art, c'est de personnaliser chaque ligne, chaque goutte d'encre sur la peau, de façon à ce que cela convienne parfaitement au client. Œuvre d'une création éphémère d'un duo qui viendra portant reposer dans l'éternité des chairs, jusqu'à la froideur du tombeau. J'aime cette empreinte particulière. Je n'ai donc pas prévu d'autres rendez-vous que le tien en cette fin d'après-midi après avoir enchaîné trois personnes. Je travaille à mon rythme et je m'octroie aussi ce luxe. Mes céruléennes se hissent vers l'entrée tandis qu'un sourire naturel étire mes lippes. « Hey Maxine, ça va ? » Silhouette qui adopte la stature verticale alors que je me rapproche de la tienne, histoire de t'accueillir comme il se doit, de venir quérir ces nouvelles qui peuvent sembler simples mais qui m'intéressent toujours vraiment. « Pas trop galère avec toute cette neige ? » Disons que c'est un peu le chaos après la tempête, j'en ai pas vu grand chose pour avoir enchaîné les gardes et les naissances. « Tu veux boire quelque chose ? Thé, café? Chocolat ? De l'eau, du soda ? On va s'installer pour qu'on puisse bien parler de ton projet. » Prendre le temps nécessaire pour décider des courbes qui viendront épouser les tiennes, de la forme du témoignage qui te tient à cœur et qui sera ensuite appliqué sur ta peau , histoire visible qui ne parlera qu'aux concernés dont je serai le gardien muet. Encres qui viendront parler ces émotions que la gorge tait.

Il y a cette étrange légèreté qui te porte jusqu'à la shop du garçon. Un des rares qui ait pu toucher ta peau, l'effleurer d'une caresse incendiaire, l'éraflant de ces quelques traits qui s'étaient encrés et ancrés derrière l'oreille comme un amuse-bouche qui, à lui seul, n'aurait su combler l'appétit, rassasier l'envie d'écorcher ta chair d'une toute autre histoire, celle que tu n'avais jamais su raconter et qui, hier encore, ravivait des souvenirs douloureux au creux de ton bas-ventre et dans ton coeur abîmé. Franchir l'entrée, c'était rouvrir les valves d'un chapitre jusqu'alors enterré, noyé dans les chutes de larmes que tu avais déversées en silence contre le tissu humide de l'oreiller dans ta chambre d'adolescente, à caresser les courbes d'un ventre qui gardait encore les traces de tes faux pas et d'une de tes plus belles histoires d'amour, la plus éphémère, aussi.

À défaut d'en parler, de savoir poser les mots sur ce qui blessait encore le myocarde d'une honte mêlée à des regrets, tu t'était décidée, sur un coup de tête, à confier le soin de marquer ta peau de ces non-dits qui te hantaient encore, presque dix ans après l'événement, à Colin. De lui offrir de se servir de ton épiderme comme le canevas de ce à quoi aurait pu ressembler ta vie en la comblant d'un être qui ne connaitrait jamais d'où il venait réellement.

Le bruit d'un carillon au-dessus de ta tête annonce ton arrivée, entrée timide et en retrait, l'envie de te fondre au décor et de disparaître six pieds sous terre, comme à chaque fois où tu étais confrontée à ta propre existence. Tu rasais les murs, décochant un sourire gêné à celui qui était venu t'accueillir, lui aussi d'un sourire, de son visage plus ou moins familier, si on peut en dire autant d'un visage qu'on a croisé qu'une fois dans sa vie. Ça va... et toi? Tu te racles la gorge, approchant à petits pas sans savoir où te tenir, comment te positionner, les bras croisés sur le devant de ton corps, illustres de ton malaise, trop consciente de toi, de ton inconfort, si bien que tu en demeures emmitouflée dans ton manteau, alors que la chaleur de l'intérieur contraste avec les degrés en moins du dehors. La morsure du froid sur ta peau te rappelait ton récent séjour glauque passé à l'hôpital, comme un camp de vacances de mauvais goût. Dès lors que tu mettais les pieds dehors, les souvenirs de cet « incident », comme tu te plaisais à le nommer pour rassurer tes proches, se déposaient sur ta chair devenue rouge, comme lorsqu'on la brûlait au fer. L'effet était le même. Si tu es prise d'une irrésistible envie de déballer ton sac ici-même, de vider tes tripes au même titre que tu étais venue abîmer ta peau jusqu'alors immaculée, tu te contentes d'hocher la tête et d'accompagner la réplique d'un gloussement nerveux, de ces mêmes rires qui ponctuaient généralement les first dates et autres situations sociales propices au malaise et aux réponses génériques. C'est pas si mal, avec un bon manteau et de bonnes bottes. What the actual fuck, Max? Quel commentaire impertinent et ennuyeux. Tu jettes un regard à l'endroit, tes yeux courant sur les murs, sur l'équipement, sur les oeuvres parsemées ici et là, te surprenant à rêver d'avoir été dotée d'un tel talent. De l'eau, s'il te plaît... Et tu t'assieds précipitamment, enfouissant tes bras entre tes cuisses, que ce soit pour les réchauffer ou te protéger d'une éventuelle menace qui ne viendra pas, inexistante. Tant de secrets et de silences pour justifier le mal-être d'une éternité condamnée à la solitude, au silence, aux non-dits que tu t'imposais toi-même, à la fois comme bouclier et contre ton gré. Les doigts reviennent, tremblants, caresser le derrière de l'oreille où se forment quelques traits discrets, encore frais, à la surface de la peau. Souvenir des marques qui y ont été laissées il y a déjà quelques semaines. Tu fais ça depuis longtemps.. ? Gênée d'être une amatrice, sentiment perpétuel de l'imposteur, qui n'avait sa place nulle part, qui n'appartenait à rien, ni à personne. Les larmes te montent aux yeux, satané réflexe apparu depuis quelques temps lorsque tu t'exposes un peu trop, gouttelettes indésirables à la commissure des yeux que tu chasses d'un brusque revers de mains. Comment te foutre davantage la honte?

@Colin Halstead
déjà, je suis sincèrement désolée du retard, j'avais complètement oublié la notif
ensuite, omg? je suis dé-so-lée de la longueur, j'ai remarqué qu'en prévisualisant la réponse, wtf?! te force pas à répondre aussi long, je m'attends pas duuuu tout à cette longueur, no pressure

Silhouette gracile, presque fantomatique parmi les traits édulcorés du décor. Tu souhaiterais t'échapper, oppressée par ta propre discrétion. Si je suis de ceux qui observent, je ne porte pas réellement ce fardeau, louant chaque jour cette faculté particulière de parvenir à me foutre du monde, de l'ensemble des regards. Je trace ma route sans être attentif aux ombres, être obstinément accaparé par la lumière. J'ai cette envie tacite de mêler mes phalanges encrées aux tiennes épurées, de tirer d'un coup sec sous l'enthousiasme, te hurler en riant de regarder comme la lumière est belle au dehors, comme on mérite d'y vivre, de s'y épanouir sans prendre garde aux démons qui dansent sur nos juvéniles épaules. « Nickel ouais ! » Grand sourire de circonstance qui vient s'offrir à la place. Sous les mines affables, intimidées, les prunelles détaillent, lisent entre les lignes ce qui ne se prononce pas sous la langue, ce qui se parle dans les gestes et les postures. « C'est beau aussi la neige franchement ! » Un instant, mon regard s'attarde au dehors. Quand la plupart flippaient des éléments, des bourrasques givrées, coups de langue enfiévrés du démon neigeux, moi je restais tel un gamin, le bout du nez collé à la froideur de la vitre entre deux blagues et gestes techniques pour délivrer la vie en toute circonstances. Inconscience, optimisme ? Entre les deux versions, le cœur balance. Et moi j'avance de toute manière. Versant l'eau dans le gobelet, j'opte pour un thé fumant aux fruits rouges dont le parfum vient envelopper doucereusement la pièce. Silhouette qui te tend la précieuse eau, avant d'adopter la posture en face, détendue, mais pas nonchalante. « Quelques années, j'ai découvert ça pendant mes études d'infirmier quand j'ai commencé  à m'entraîner à piquer, je me suis mis à dessiner des lignes comme je l'avais toujours fait avec un crayon, et puis une rencontre avec un pote tatoueur m'a fait franchir le cap, depuis j'ai jamais arrêté, je trouve ça dingue comme art ! » Ephémère dans l'acte et immortel sur la peau, du moins jusqu'à ce que la terre ou le feu ne reprenne ses droits, mais l'œuvre accompagne son bourreau jusqu'à l'échafaud. Prolongement identitaire, forme d'art mouvante et incarnée, j'en suis devenu accro, sans pour autant m'y perdre totalement. « Alors, parle-moi de ton idée !  Tu veux regarder quelques dessins pour te donner des idées ? » ça peut être difficile d'aborder ce genre de projets, alors je veux pas te mettre mal à l'aise, au contraire, faut que tu sois suffisamment en confiance pour te livrer.