dans la soirée du 26.01.22

La porte de la chambre se referme et, soudainement, tout ce qui se trouve autour de moi paraît comme... suspendu. Vous connaissez cette sensation, vous aussi ? Quand quelque chose vient de vous arriver, quelque chose de tellement improbable, de tellement impossible, que ça a tout simplement l'air d'être irréel ? Quand vos pensées ne cessent de se bousculer, de s'entrechoquer, au point que vous n'arrivez même plus à remettre les évènements dans le bon ordre ? Cette sensation quand vous n'attendez qu'une seule chose : vous réveiller ? Et vous prouver à vous-même, au passage, que tout ça... tout ce qu'il vient de se passer... est faux ? Et, en même temps, mes yeux me brûlent. Comme si je me retenais de fondre en larmes. C'est peut-être le cas. Parce que j'ai beau le souhaiter de tout mon cœur, de tout mon être, ce qui vient d'arriver... est réellement arrivé. Mais je refuse d'y croire. C'est trop tôt. Beaucoup trop tôt. Déni jusqu'au bout. Je passe mes mains sur mes yeux pour soulager cette sensation de brûlure, ne remarquant même pas que la porte s'ouvre à nouveau.

dans la soirée du 26.01.22

tout mais pas ça. j'aurais pu tout prévoir mais pas un déni de grossesse. j'ai eu peur pour toi, ton silence étant anormal, je me suis rapidement rendue compte qu'il se passait quelque chose. et t'imagine pas le soulagement quand j'ai débarqué sur le tarmac du Wyoming et qu'on m'a dit que tu avais été retrouvé saine et sauve. c'est des heures plus tard qu'on me dit que je peux te rendre visite. j'entre doucement dans la chambre sans trop savoir par où commencer. « hey.. comment tu te sens ? » que je demande doucement, venant poser un baiser sur ton front avant de m'assoir à tes côtés. il y a un mois de ça, on était toutes les deux en italie, profitant de nos vacances. et maintenant on est à l'hôpital à l'autre bout du pays parce que tu viens d'accoucher d'un bébé que tu n'as jamais demandé. je suis complètement paumée, je sais pas ce que je ressens, tout se mélange dans ma tête. mais je me dis que ça dois être pire pour toi. alors je fais taire mes millions de questions.

dans la soirée du 26.01.22

Passer une main sur mes yeux. Laisser échapper un souffle tremblant. Me mordre la lèvre inférieure. Tout faire pour me persuader que ce n’est vraiment, réellement, qu’un mauvais rêve. Tout faire pour m’empêcher de fondre en larmes, aussi. C’est faux. Merde, c’est faux. Ça n’arrive que dans les films, ça ; ou aux autres. C’est bien, ça. Et puis, c’est toujours comme ça que ça se passe, non ? Ça n’arrive qu’aux autres. C’est ce qu’on se dit tous, tout le temps, tous les jours. Ça n’arrive qu’aux autres, ça ne m’arrivera jamais à moi. Puis la porte et tes pas me ramènent brusquement à la réalité, me faisant presque sursauter. Beaucoup trop perdue dans le brouhaha que sont devenues mes pensées. Redoubler d’efforts pour ne pas craquer alors que tu approches. « Je… Tu le vois, que je ne m’attendais pas à ce que tu poses tes lèvres sur mon front ? Alors je souffle doucement, je ne pensais pas que tu allais venir. » Ou comment te dire que je ne sais pas comment je me sens. Mal, je suppose. Étonnée que tu sois là, oui. Mon regard fuit le tien. Je ne veux surtout pas que tu me voies comme ça. En proie à l’angoisse. Complètement déboussolée, bousculée, chahutée. Si vulnérable. Faible… trop faible. Quelques secondes passent, puis j’articule dans un soupir, « J’ai… envie de partir d’ici. Je veux rentrer à Boston. » Mes doigts serrent la couverture sur mes genoux. Aide-moi à m’enfuir de là. Secoue-moi, prends ma main et emmène-moi loin d’ici, s’il te plaît.

dans la soirée du 26.01.22

je n'ose même pas imaginer ce que ça fait de se rendre compte qu'on porte la vie une fois qu'on est censé la donner. se voir arracher, priver de la magie de la grossesse. mais surtout avoir un enfant alors qu'on en attendait pas un. tu es forte Céleste, je sais que tu es dotée d'un immense courage qui te fera déplacer des montagnes pour elle. je m'installe à côté de toi, souris doucement. « bien sur que j'allais venir, j'allais pas te laisser faire ton intéressante sans moi » que je lâche en rigolant. et puis ta détresse que tu laisses apparaitre, que tu exprimes de manière tellement fragile que mon regard s'adoucit plus qu'il ne l'était déjà. « je sais ma puce. » caresse doucement tes cheveux. « ça va aller d'accord ? c'est le temps de réaliser. il te faut du temps » parce que devenir mère comme ça du jour au lendemain, c'est un choc, c'est normal.

dans la soirée du 26.01.22

« J'admets que cette fois, j'ai mis la barre haute. » Une avalanche qui me coince dans un chalet sans chauffage ni lumière ni nourriture pendant plusieurs jours, suivie d'un accouchement prématuré surprise. Qui dit mieux pour faire son intéressant.e ? Finalement, dans un sens, tu me comprends. En me faisant rire dans un tel moment, quand je suis en proie au doute, aux émotions, à la vulnérabilité, tu me comprends. Car tout ça, c'est tout ce que je déteste. Sans parler de la pitié mielleuse des personnes extérieures qui m'attend. Oh, pauvre Céleste, elle a fait un déni de grossesse. Vraiment, la pauvre. Ew. Très peu pour moi. Et pourtant, je sais qu'il va falloir que je me prépare à ce genre de commentaire. J'inspire longuement quand tu me caresses les cheveux, ferme les yeux, profite. Les papouilles, mon point faible. « Mh… » Honnêtement ? Je ne pense pas que ça va aller. Mais je ne peux pas le dire à haute voix, sinon je risque de m'effondrer. Et je suis bien plus que ça. « Je ne t'ai pas trompée. » que je dis subitement après quelques secondes de silence et de détente grâce à ta main dans mes mèches. J'ai probablement foutu quelque chose en l'air avec ce bébé surprise, mais peut-être puis-je limiter quelque peu les dégâts.

dans la soirée du 26.01.22

« je crois qu'on peut même dire que tu as gagné cette bataille » que je dis en rigolant doucement. je voudrais pouvoir t'aider plus, je voudrais  pouvoir soulager la peine que tu ressens mais aussi la culpabilité. parce que je peux la lire sur ton visage. je peux l'entendre dans l'intonation de ta voix. « je sais t'inquiète pas » c'est d'ailleurs plus ou moins pour ça que je suis là. parce que je ne sais pas si j'aurais eu le courage de rester ici et de venir te voir dans ta chambre si ça avait été le cas. c'est d'ailleurs le premier doute que le médecin m'a enlevé quand il m'a donné la date approximative de l'ovulation. on était pas ensemble, on ne se connaissait même pas. c'est plus facile à avaler je dois bien l'avouer.

dans la soirée du 26.01.22

Dédramatiser ce traumatisme en plaisantant, ça fait quand même du bien. Nouveau moyen de défense qui se profile, puis… nouvelle façon d'annoncer la chose, aussi. Après tout, on m'a arrachée à mon groupe d'amis sans prévenir. Comment est-ce que je vais leur dire ? Que, eux, ils vont pouvoir sortir rapidement, mais que je risque de rester plus longtemps ? Ah, c'est fatiguant. Rien que d'y penser, ça m'épuise. J'acquiesce légèrement, à moitié soulagée. Au moins une chose d'éclaircie. « Viens. » Je me pousse dans le lit, m'approche du rebord, de façon à te laisser une place. C'est bien beau, de me tenir la main, de me caresser les cheveux - mais tu peux venir un peu plus près, aussi. T'allonger. Toi aussi, tu dois être secouée. Si tu es là, c'est que tu as su pour l'avalanche au départ, non ? « Jusqu'à quand restes-tu ? » Je sais qu'avec ton travail, t'absenter n'est pas chose facile.

dans la soirée du 26.01.22

la situation est particulièrement compliqué. pour toi. pour nous mais aussi pour moi. seulement voilà j'ai pas envie de devoir penser maintenant à toutes les difficultés qui nous attendent. j'ai envie de te montrer que je suis là pour toi et que j'étais inquiète pare que tu comptes pour moi. tu me fais de la place et j'hésite, par peur de te faire mal. « t'es sur ? je voudrais pas te blesser » que je demande en montant doucement. je m'allonge à tes côtés, passe un bras sous ta tête pendant que l'autre caresse ton bras. « je vais devoir rentrer demain. je suis venue avec Mickey, on peut pas rester trop longtemps » mon meilleur ami qui a accepté de venir jusqu'ici avec moi.   mais je reviendrais te voir si je peux, parce que tu risques de devoir rester ici encore un petit moment.

dans la soirée du 26.01.22

« Me blesser ? » Petit rire qui sonne assez faux, presque amer. Si seulement j’étais condamnée dans ce lit parce que j’avais été blessée au cours de l’avalanche, et non pas parce que je me remets d’un accouchement surprise. Mais je suppose que nous ne pouvons pas tout avoir dans la vie, mh ? Je te laisse une place suffisante, trouver ta position pour adapter la mienne. « Je me doute, mais ne t’en fais pas. » Autant profiter de ce moment, avant que tout ne nous revienne dans les dents. Suite au prochain épisode ; car là, je veux seulement profiter de cette bulle de calme.

HJ: