Mon regard perdu dans le vide, la route qui défile encore... Encore plus vite, pied qui s'enfonce sur cette pédale, qui fait monter l'aiguille alors que mon corps tremble que mon cœur se serre. Mes pensées se bousculent, les cris, la colère, larmes de mon père, et son regard rempli de tristesse, de douleur... Il va mourir, il est malade, condamné trop tôt... On ne peut rien faire. On ne peut plus rien faire... Les larmes devraient brouiller ma vue, mais aucune ne coule, je ne peux pas pleurer, et j'en ai rien à faire, elles n'arriveront même pas à décharger cette douleur qui me perce le cœur de part en part, trou béant qui se forme en moi, alors à quoi bon les verser...

J'étais parti en colère, trop pour être rationnelle, il m'avait juste supplié de faire attention, il ne voulait pas que mon inconscience me coûte la vie. Mais c'était notre pacte, cette promesse que j'avais toujours tenue, la route n'était pas un terrain de jeu, alors je tiendrais parole...
S'il savait que sa fille était une habituée des courses de rue. Il en ferait une attaque... Mais j'ai juste hurlé "JE SAIS !" Avant de claquer la porte.
Même dans la vitesse, celle qui faisait pulser le sang dans mes veines, battre mon cœur plus vite, je faisais toujours attention. Au maximum en tout cas. Mais la course était finie, dans tous les sens du terme. Gagnée, argent empoché, glisser dans le petit endroit secret sous le tapis de sol côté passager, j'étais sur le retour. Mon casque en vrac avec mes gants sur le siège d'à côté... Je devais rentrer, affronter la réalité. La Dodge allait retrouver sa protection, sa cachette au fond du garage... Mais même si je devais rentrer chez moi, ce n'était pas la route que j'avais prise.
Il allait me laisser, nous laisser, nous abandonner... J'avais pris les routes de campagne, j'étais autour de la ville, pas très loin, je voulais juste rouler et oublier...

Regard qui s'ouvre, cri de surprise et coup dans le volant pour éviter ce chien qui divague juste en plein milieu de la route. Crissement des pneus quand j'enfonce la pédale de frein, tentant de piler, délaissant l'accélérateur... Bruit sourd, et voiture qui part en vrille. Je tente de rattraper la route, de trouver une solution, mais le fossé est là, trop tard. L'airbag se déclenche dans le choc, la voiture tourne plusieurs fois sur elle-même, se retrouvant sur le dos... Et moi, je suis toujours à l'intérieur attachée. "Aie..." Toux qui me prend et accentue la douleur. "Fais chier."

@Joshua Olson

Adossé sur le capot d'un pick-up, Joshua dégustait un délicieux sandwich à la dinde concocté par ses soins. Installé sur une colline dans la campagne voisine de Boston, où les buildings avaient laissé place d'abord à des ensembles pavillonnaires avant de dévoiler les premiers champs et petits bois, le militaire se laissait bercer par les bruits lointains de la ville. Sa journée avait été rythmée par des travaux dirigés dispensés aux premières et deuxièmes années, sur l'actualité diplomatique récente. Un ami sous-officier lui avait laissé un message sur une application chiffrée : « Qurayshi c'est pour nous ». Le temps d'un instant, Joshua s'en voulut de ne pas en être, il avait été de toutes les opérations spéciales majeures de ces-dernières années, ou presque. Mais cette idée lui passa vite. Être dans une petite chambre, assis sur un lit en toile à peaufiner son sac, ses armes, son gilet, ses optiques, tout cela avait quelque chose de relaxant dans son aspect mécanique. Ressasser son plan, s'assurer d'avoir brassé le maximum de cas non-conformes, revoir les procédures, et chercher toutes les failles à sa réflexion tactique, en revanche, était épuisant. Alors, aller faire un footing, à la lampe frontale se révélait être une grande source de sérénité. Et puis ce n'était pas la section dont il avait rendu le commandement, ni même la compagnie qui étaient déployés là. Il déculpabilisa vite.
Les arbres sans feuilles s'époumonaient dans le vent, s'agitaient timidement pour signifier leur présence, comme un enfant qui lève honteusement le doigt pour parler au milieu des adultes. L'officier ne sentait pas rouler sur sa peau le reflux incessant des vagues de fraicheur. Arborant un short et un collant de sport sur le torse, sa détente était au maximum, bercé par son propre mâchement de baguette. Sorti des fourrés, un chien s'approcha et lui fit des ronds de jambes, la queue joyeuse pour obtenir une caresse et surtout un bout de sandwich. Joshua mit un genou en terre pour caresser le dos et le plastron du berger australien aux yeux vairons, la bête portait un collier, probablement le chien d'un fermier voisin. Les animaux de ces gens étaient de nature très libérale souvent, à zigzaguer dans les champs de blé – en prenant soin d'éviter le tracteur –, à faire disparaître discrètement une poule. La baguette craqua et un bon morceau s'en détacha pour être saisi avec douceur par le chien qui, un peu ingrat, détala sans demander son reste. Quelques coups de dent plus tard, sa propre part était avalée.
Vint donc le moment de partir et de regagner son appartement en centre-ville, de corriger quelques copies, de préparer un cours. Joshua prit une profonde inspiration et s'emplit les poumons de cet air frais une dernière fois, comme s'il comptait perdurer avec le même jusqu'à sa prochaine sortie footing. En partant, le pick-up arracha quelques fumées de poussière et jets de gravier. La voiture regagna vite une petite route de campagne. Elle avait parcourut quelques petites centaines de mètres lorsque le conducteur aperçut le chien qu'il avait nourri peu de temps auparavant, mais il détalait à travers champs. Prudemment, animé par un pressentiment désagréable, Joshua continua sa route pour dépasser un léger virage à la visibilité réduite par des hautes herbes. La route se dévoilant, il aperçut une voiture sur le dos. La voiture resta là en warning sur la route, à une centaine de mètres du sinistre, pour avertir les autres automobilistes. Le militaire sortit et courut jusqu'au véhicule pour confirmer ou non la présence de gens à l'intérieur. Côté passager personne, mais une femme derrière lvolant. Il se plaqua au sol sans attendre mais voulait s'enquérir de l'état de la conductrice avant de tenter de l'extraire. «Madame, madame, ça va aller, est-ce que vous m'entendez ? Madame, est-ce que vous avez mal quelque part en particulier, est-ce que vous sentez tous vos membres ? »

« Je sais.. » Oui je savais, je savais que j’aurais dû être prudente… Ce n’était pas pour rien qu’avant le départ d’une course, je devenais une autre, je me laissais envahir par l’adrénaline oubliant ma vie jusqu’au moindre petit détail, que je faisais le vide total dans mon esprit… Et pourtant là, conduire de nuit sur une route comme celle ci, mon esprit pris de part en part, avec ses pensées qui tournaient en rond comme un mec a bout de souffle sur un vélo d’appartement, essoufflé, à deux doigts de tomber dans les vapes. Ses larmes qui ne sortiront jamais, ce coeur qui se serre de savoir que mon monde entier allait s’écrouler… Non j’aurais pas dû, oui je savais, mais… L’erreur était faite.

Les tonneaux avaient entraînés la voiture dans le champs en contre bas. Et j’étais totalement à l’envers. « Merde.. » Je parlais, j’étais consciente, j’avais les yeux ouverts.. Premier constat. Plus de peur que de mal… A moins que ? … Je bougeais mes doigts de pieds, pas de soucis, pas de douleurs autre que mes muscles qui avaient du se contracter pendant les tours de ma Demon. « Fichu clébard. » J’étais en colère… Pas contre lui. Non contre moi…
Plus rien d’allumer, tout était éteins sur le tableau de bord. Je regardais vers mon téléphone. Explosé. « Mais c’est super, comme si j’avais besoin de ça… » Aie. Mon cou me tire, encore une tension due au choc? Peut être mais je n’ai pas le temps de voir venir qu’une voix m’interpelle.

Je tourne la tête vers l’homme près de la voiture. « Je suis consciente, je vous entends..J’ai juste mal aux côtes, c’est normal avec la ceinture, mes pieds bougent.. Mais … Elle est dans un sale état hein? Je vais jamais pouvoir la réparer… » J'arrivais à parler, malgré mon souffle court, et mes douleurs dans le thorax. C'était le but d'une ceinture de sécurité, et je priais pour qu'elle ne soit pas coincée. Ma voiture, c’était tout ce qui m’importait, j’allais de voir la remorquer, discrètement en prime, sans que mon père ne se rende compte de rien.. « Je dois me détacher, et sortir... On doit pas reste là si jamais il y a une fuite. »

Un sentiment de culpabilité habitait tout son être, si il avait gardé le chien auprès de lui plus longtemps, la voiture serait passée sans le rencontrer, peut-être aurait-il dû le mettre dans sa voiture pour le ramener à la maison la plus proche. Par sa faute, une bagnole de course avait fini dans le fossé après des tonneaux et une jeune femme se retrouvait prisonnière de la cage de taule. Extraire vaille que vaille des personnes enfermées dans un véhicule, il l'avait déjà connu dans une opération le long du lac Tchad contre le Jamaat Ahl Al-Sunnah Lil Dawa Wal Jihad ou un véhicule blindé nigérian avait sauté sur un engin explosif improvisé. La confection défectueuse et le déclenchement prématuré avaient soufflé le véhicule et sacrément endommagé l'avant sans pour autant tout détruire. Les hommes à l'intérieur, légèrement blastés et sonnés avaient dû être retirés en vitesse, car dans ces cas le risque est la présence d'un autre explosif ou une attaque armée complexe dans la foulée. Par chance la guerre était loin, pas de soldats criblés de boulons après une explosion de Humvee à Kirkouk, pas de chair brûlée après celle d'un JTLV à Hérat, personne à désincarcérer sous un moteur.

Parce que l'adrénaline le déridait et parce qu'il n'y avait rien de raisonnable à accentuer la gravité de la situation, Joshua s'osa à sourire alors qu'après avoir ouvert la portière il se mit à ramper sur le dos pour atteindre la ceinture de sécurité. Celle-ci bloquait un petit peu. Il se redressa légèrement, les muscles tendus tous azimuts pour empêcher la jeune conductrice de tomber une fois détachée. « J'ai connu des véhicules en pire état... Je pense qu'elle est récupérable... Mais elle se souviendra de la cascade que vous lui avez fait faire. Tenez vous bien à moi pour ne pas vous faire mal. » La ceinture finit par rendre les armes et l'officier amortit la réception de la sinistrée. Lentement, en veillant à ne pas brusquer le corps peut-être traumatisé de la jeune femme, Joshua les extirpa du véhicule, un bras ceinturant la jeune femme, les jambes cramponnées au plafond pour donner de l'impulsion et sortir. Un fois sur le sol un peu retourné, sans lâcher la conductrice, Josh se redressa en une flexion simple et la porta une vingtaine de mètres en arrière, un peu à l'écart de l'axe goudronné. « S'il y a un fuite ne vous inquiétez pas j'ai un extincteur dans la voiture.» Délicatement, le militaire la déposa au sol, adossée contre un tas de terre assez meuble, puis il se redressa. « Je vais aller récupérer ma trousse pour les premiers bobos, je vais appeler les secours ne vous inquiétez pas je m'en occupe. Je reviens tout de suite, mais avant que je parte est-ce que vous avez quelque chose dans la voiture qu'il faut que je récupère pour vous ? »

« Tant que j’arrive à la faire remorquer chez un ami, ça ira… Mais j’aurais jamais dû conduire ce soir. » Je pose mes bras sur l’homme, le tenant pour pouvoir être extraite de la voiture sans encombre. Pourquoi, c’était toujours à moi que cela devait arriver. L’esprit occupé, la ligne était pourtant droit, le temps pas terrible, mais j’aurais dû l’éviter, j’avais eu le temps, mes réflexes étaient excellents… Mais j’avais l’esprit embrouillé. Mon père, sa maladie, apprendre ça alors que plus rien n’est possible, Iwan avec qui j’avais perdu ma virginité, ami, crush, mais surtout cette chose importante que je ne lui avais pas dit… J’aurais dû. Et ce chien, pourquoi les gens ne les faisaient pas dormir sur le canapé la nuit plutôt que dehors hein ?

Des grimaces de douleurs quand je tombe vers l’homme, il amortit la chute, et je ne veux pas laisser paraître ma douleur. L’homme m’entraîne bien plus loin que la voiture. Je peux voir que les roues en l’air comme ça, elle n'a pas l’air si terrifiante, mes concurrents auraient bien ri. « Il vaut mieux, au cas où… » On ne savait jamais, en plus, c’était une voiture avec un moteur modifié, j’en prenais soin, mais les pièces étaient bien plus fragiles.

Lorsque mon dos se cale contre le tas de terre, je grimace de nouveau. « Non. Non pas les secours, s’il vous plaît, ça va, c’est juste quelques égratignures. » Sur mes joues, du à la vitre explosé. Et mes côtes qui me serrent un peu, le choc avait du tendre tous mes muscles. « N’appelez pas les secours, vraiment, je… Je ne veux pas. » Je n’ai pas les moyens. Mais je n’osais pas le dire à l’homme. « Mon portable. Même s’il est détruit, il y a ma puce dedans... Et.. Il y a une enveloppe sous le tapis passager. Je… Ne regardez pas dedans, mais je dois la récupérer . » Ok, ça faisait complètement la nana mystérieuse voir très louche, mais je devais récupérer ses billets, j’en avais besoin, et j’avais gagné cette course… « Merci... De m’avoir sorti de là. »

Un sourire pour dédramatiser, un mot détaché, c'était un réflexe chez lui. « C'est pas la meilleure idée que vous ayez eu madame. Mais on peut pas toujours être au top. » Une belle bagnole comme ça ne pouvait être que la possession d'une passionnée, et les premiers mots de l'accidentée ne fit que renforcer son intuition. Josh la regardait en détail, son visage, ses réactions et cherchait à traquer la moindre faille qui aurait pu signifier un évanouissement prochain. Les bases du secourisme au combat lui étaient utiles, après une plaie soufflante, un choc, la pose d'un garrot et une extraction sous le feu il était convenu de rester surveiller le blessé pour s'assurer que la situation reste sous contrôle. La jeune femme semblait tenir le coup et paraissait plus mal en point pour sa voiture que pour son état personnel. Un rictus désolé s'afficha sur son visage à entendre la jeune femme refuser l'aide des secours. L'officier avait entendu trop de fois des gens, rougir et refuser une main tendue pour des raisons personnelles. Et il s'était résigné à garder la main tendue sans chercher à connaître le dessous des histoires. « Bon... alors je vais continuer de vous garder à l'œil et si vous commencez à divaguer je serai obligé de les appeler. »
Conforme à son crédo, sans chercher à connaître les tenants et les aboutissants de l'histoire, le militaire partit en quête des objets demandés par la rescapée et sans perdre une seconde, il s'engouffra dans la voiture. Le portable fut la première chose sur laquelle il tomba. Le truc était miraculé, hormis une craquelure sur l'écran, il avait tenu le coup, en tout cas il s'allumait. Il avait probablement dû rebondir sur quelque chose de mou, peu être l'airbag. En revanche l'enveloppe fut plus compliquée à trouver puisque durant le tonneau, le tapis de sol avait bourlingué et laissé l'enveloppe partir. Joshua dut se faufiler entre deux sièges pour la retrouver coincée entre les armatures. Sans l'ouvrir, il la mit avec le portable dans sa poche et sortit du véhicule. Alors qu'il se redressait, une voix masculine et rauque retentit derrière lui, slalomant à travers champ. « Hé ! Hé vous avez besoin d'aide ? ». Josh se dirigea vers l'homme qui émergeait du champ, recouvert de terre sur son bleu de travail et sur le visage. « J'ai vu mon chien débouler comme un diable au ranch et j'étais sûr qu'il avait fait une connerie, je peux faire quelque chose pour toi fiston ? » Un coup d'oeil sur la jeune femme un peu en arrière, et à voix basse il répondit au fermier. « Merci beaucoup monsieur, je crois que ça va aller, je vais me débrouiller avec elle, mais est-ce que vous avez un gros véhicule pour retourner la voiture, j'aurais du mal à faire une manoeuvre de force propre avec ce que j'ai sous la main. » « Pas de problème mon gars, je vais voir avec mes fils. » « Encore une chose monsieur, vous nous aidez déjà beaucoup mais on pourra laisser la voiture chez vous et la récupérer plus tard ? » Le fermier le fixa, un regard entendu entre les deux hommes parfois rugueux et que l'amour de la terre partagé rapprochait instinctivement. « Elle sera dans la grange fiston, je reviens » Il disparut au trot dans son champ pour aller chercher de l'attirail et de la main d'oeuvre.

Pendant ce temps, Josh retourna vers Angèle après avoir récupéré sa propre trousse pour désinfecter les plaies superficielles. Agenouillé auprès d'elle, il lui tendit ses biens. « Tenez madame, le portable un peu fissuré, l'enveloppe non-ouverte comme convenu. Bon en attendant de sortir votre voiture de là je vais nettoyer un petit peu ce sang, ça risque de piquer mais je sens que vous en avez vu des pires, rien qu'aujourd'hui. » Joshua ouvrit sa trousse et en sortit du coton imbibé qu'il porta délicatement aux petites entailles.