Alors que mes phalanges parcourent les chairs flétries, voici que la jeune fleur que tu es m'expose cette part de vie à laquelle je n'ai pas été convié. Cela sonne comme une grande aventure, un moment initiatique où la solitude borde avec reconnaissance la conscience, de ces prises de lucidité que notre vie est courte mais aussi essentielle, simple. J'aimerais trouver l'apaisement que tu décris dans tes propos. Ce père mystérieux, je lui peins des allures de sorcier, chamane de sa tribu, homme entre les deux mondes. Je connais un peu ces cultures, tout comme tout ce qui touche à la mort, mais je ne m'y intéresse pas vraiment. Je suis un homme pragmatique avant tout. Essentiellement sombre. Point de père fantasque et lumineux dans mon échine, seulement une réalité abrupte qui est venu me donner des coups, l'amertume aux lèvres et la rouille du sang sur ma muqueuse. Si certains sont élevés dans le coton, moi j'ai été exposé au maussade et à la misère humaine dès le berceau. Mais je ne m'apitoie pas sur ça. J'avance. Je n'ai jamais eu le choix. «  ça a eu l'air de te faire du bien en tout cas. J'imagine que tu le reverras ? » Racines avec lesquelles tu souhaites renouer, desquelles sans doute tu te nourriras lorsque moi je tente de couper ces fils qui m'enserrent encore parfois le gosier. « Je suis heureux pour toi. » Mes billes métalliques se relèvent sur ton visage, le sourire se dévoile, furtif mais sincère. Heureux de ton bonheur, de ceux que je suis tout simplement incapable d'offrir. J'ignore encore pourquoi ta présence tient à rôder ici, mais je suis bien trop égoïste pour venir m'en plaindre. Je poursuis les étapes, récolte les informations nécessaires avant de te questionner intimement. Ce ne sont pas le genre de questions qu'on pose, mais j'ai appris à ne pas m'embarrasser de ça, encore moins dans mon royaume. « Je n'y tiens pas. Mais je suis lâche, alors je la laisse décider de me maintenir ou non. » Epaules qui viennent se hausser. La mort viendra m'embrasser, fatale. Que ce soit ici, ou dans les rangs militaires, maintes fois je lui ai échappé, mais une fugue reste une fugue alors... « J'essaie de me rendre utile en attendant. » Et de m'élever parmi les misérables, obtenir une couronne sur ma tête animale. Ça peut sembler puéril mais c'est là un objectif comme un autre. La puissance est l'inverse même de la mort. « Comme tu voudras. » Tête qui s'incline puisque tu souhaites rester là. J'approche donc le scalpel pour procéder à une incision sous-mandibulaire, ouverture nécessaire pour ôter le larynx, la langue, l'œsophage, ainsi que la trachée et les carotides. « Je pense qu'il s'est empoisonné, les prélèvements dans cette zone me permettront de mieux déterminer la substance, les sucs digestifs détruisent souvent une bonne partie. » Minutieux toujours, je tiens à rentabiliser au maximum mes gestes, que l'autopsie ne soit pas réalisée pour rien et que les proches et la justice puissent avoir les réponses. Je prélève donc tout ce qu'il me faut. Enfin, je me prépare pour la dernière étape. A l'aide d'une scie circulaire, je viens habilement découper la boîte crânienne afin d'extraire l'encéphale et la dure mère. Dernières analyses nécessaires pour mon rapport. « J'imagine que tu voudras m'aider à tout remettre en ordre ? » Sourire qui vient se dessiner sur mes lippes. Parce que tu es plus douée pour construire, sauver, soigner, et surtout réparer. Quand moi, je ne suis habile que pour détruire.

Mon regard se perd un instant à imaginer mon chamane imaginaire dans le chaos bostonien. « Bien. » Point de commentaire inutile, point d'exclamation, cette partie là de ton histoire t'appartient et je ne viendrai sans doute pas m'y immiscer ou avoir un quelconque jugement là dessus. Je me contente simplement du fait que tu sois toujours en vie, apprivoisant cette nouvelle puisqu'elle est encore étrange à mes yeux, tout comme ce baiser que vous avons échangé encore quelques instants plus tôt. Es-tu digne de confiance Clary ? Je ne sais pas vraiment. Tu fais partie de ces âmes libres, lumineuses, lorsque moi je me promets simplement aux tombeaux. Je viendrai te flétrir et pourtant mon désir vampirique m'ordonne l'inverse. J'acquiesce simplement à ton remerciement, préférant me concentrer sur la tâche que j'ai commencé à entreprendre. On dit que les morts peuvent attendre mais en l'occurrence dans mon domaine, elle est soumise à certains impératifs. Les gestes et la procédure s'enchaînent donc, tandis que tu ne perds pas de ta dignité malgré l'horreur de la cérémonie. Nombre des internes se sont évanouis, on rendu leur tripes, ou ont tout simplement dû quitter la pièce les premières fois. Mais je sais que tu es suffisamment solide pour le supporter, ayant déjà partagé ce cérémonial avec toi, une fois. « Il a été retrouvé seul à son domicile, la procédure exige d'être complète lorsque cela arrive, d'autant plus qu'il n'y avait pas de signes externes. » Intoxication médicamenteuse, externe, il fallait pouvoir donner des réponses à la justice et à la famille en l'occurrence. La procédure se termine et vient le processus de restauration, naturellement, tu m'y aideras, puisque tu es tout simplement douée pour ça. La sobriété vient emplir mes entrailles mortifères habituellement, seuls résonnent les bruits de ma voix énumérant la procédure où celui des instruments d'autopsie, mais toi, tu es ainsi, proposant de laisser résonner la douceur entre la froideur des parois. « Avec plaisir. » dis-je tout en m'attaquant au crâne du défunt, recollant les os, puis avec dextérité, je viens recoudre les chairs, le visage reste très important. Ta douceur est un cadeau dont je ne peux pas me priver, peut-être même que ta voix qui résonnera ici viendra marquer cette réalité que j'ai encore bien du mal à apprivoiser.