Tu n'es jamais retournée à San Francisco tout comme je ne suis jamais retournée en italie. « T'aimerais ou tu t'en fiches ? » Je suis assez curieuse sur ce plan, même si plus grand chose te rattache à cette ville, est-ce que t'aurais plaisir à la retrouver ou est-ce que la nostalgie serait trop grande ? « J'aimerais bien retourner en italie mais je sais pas comment je réagirai, ça a dû beaucoup changer et en même temps ça coûte un bras d'aller en Europe. » Et on le sait, les pompiers ne gagnent pas si bien leur vie. J'adore voyager mais je n'ai pas les moyens de le faire comme j'aimerais. Je comprends que toi aussi, puisque apparemment tu as dû enchainer les heures à l'aquarium pour te payer ce séjour au ski. Je souris doucement. « C'est le principal, dommage que parfois l'argent soit pas plus facile à gagner. Y'a un pays qui te ferait rêver ? » J'imagine naturellement qu'il serait bordé d'océan et que c'est l'eau qui t'y attirerait plutôt que la terre.

Sirène étrange, pourtant si douce en apparence. On ignore les tourments par lesquels tu es passée. Le corps ne semble pas en porter les marques, le visage garde de cette lumière, innée, spontanée. Lorsque mon propre corps s'érafle, parle de ses cicatrices, des ridules imprégnées au coin des paupières, les larmes que mes saphirs ont bien trop versé. Solaire mais sombre, toi tu as su te séparer des ombres, rien n'en témoigne. Si ce n'est notre conversation, ces échanges plus profonds que l'apparence d'un simple passé. « Le temps adoucit les peines. » Et le cliché semble énorme. Force est pourtant d'en constater la véracité. « Et je sais aussi que parfois, retourner sur ses pas et revoir le décor de façon apaisé, n'aide que mieux à avancer. » Mais il faut y être prête. Un instant, mes yeux se perdent dans le bal des passants pressés et frigorifiés au dehors, comme si chaque parcelle de mon corps et de mon être profitait de cette suspension dans le décor, dans le temps, prunelles qui viennent de nouveau amarrer à la douceur de tes paupières. « Je ne suis pas encore retournée à Redding. Mais j'espère un jour pouvoir le faire. » Lieu où j'ai perdu ma meilleure amie, mon seul repère en ce monde avec Dwayne. Il y était retourné lui, à sa façon, il avance. Avec rage, avec la glace colérique perforant le cœur, mais il avance. Sans moi et pour elle. « C'est vrai, tu me l'avais déjà dit dans ta chambre. » L'Océanie, les requins et c'est ce qui est venu expliquer mon maigre présent. « Je rêve de l'Ecosse. » Contrées sauvages, légendes, magie, abrupte de la nature environnante. « Et l'Islande aussi. » Esprit qui s'égare déjà entre des volontés multiples, toujours trop curieuse, empressée de découvrir ce que les années à l'ombre m'ont interdites. « Et paradoxalement, le Moyen-Orient. » Joues qui rosissent malgré moi devant l'étrangeté du propos et plus encore de la source.

Le passé... plus précieux cadeau mais aussi ultime fardeau. Les phalanges s'en trouvent parfois encombrées, l'âme désespérément écorchée, les émotions culminent à l'évocation de ces moments furtif, images prises en suspens, révélant les plus doux et les plus tristes moments. On apprend. Chaque jour, à apprivoiser toutes ces sensations, à maintenir la ligne vers le futur, à vivre au présent. Cela semble si facile dans les livres, mais la réalité est toute autre. C'est une lutte de chaque instant. Et la douceur de ton visage ne saurait parler ces tourments au premier abord. Pourtant, comme la plupart des humains, tu en portes ton lot. Peut-être davantage encore lorsqu'on connaît ton jeune âge. « Oh tu y es allée ? Raconte-moi ! » C'est pour la beauté âpre des paysages qu'on rencontre cette île, nature sauvage, nature indomptée, imparfaite et puissante. L'Islande savait révéler tout ce type de sortilèges, une magie naturelle. Et sans que je ne puisse le maîtriser, mes joues s'étaient mises à se colorer à l'évocation de ce moyen-orient. « L'Ecosse, ce sont les paysages, la mythologie qui m'attirent là bas. C'est un pays très riche en terme de culture mythologique, et surtout très naturel. Le Moyen-orient, c'est un carrefour culturel, religieux, c'est le berceau de notre humanité... » Un sourire se dévoile à mes propos, berceau désormais épris de violences, une terre qui s'était toujours vu déchirée au gré des querelles humaines. « Et j'ai rencontré une personne qui m'a encore plus donné envie de m'y intéresser. » Je l'avoue humblement, cela n'a fait qu'exacerber ma curiosité envers cet endroit.

Ton enfance elle semble bien différente de la mienne, bien plus exotique et libre et pourtant, je ne l'envie pas spécialement. J'ai plutôt de bons souvenirs de la mienne, tout avait été plutôt simple jusqu'à mon débarquement en Californie... « Trop bien, ça avait l'air dingue ! » De quoi donner la passion des voyages, l'envie d'en explorer toujours davantage, je peux que comprendre à mesure que je te connais davantage. « Hum... » dis-je en riant légèrement, les joues encore plus rosies. « Je ne sais pas encore vraiment, c'est pas si évident entre Eric et Ariel, mais je pense qu'il y a un peu de ça oui, on verra par la suite. » On avait dépassé le stade amical c'est une évidence, du moins, dans mes ressentis me concernant, mais je ne savais pas encore ce qu'il en était pour lui... Je porte une dernière fois la tasse à mes lèvres histoire de terminer ma boisson et prendre congé comme il se doit. « Je vais y aller Joyce, donne-moi de tes nouvelles si tu as envie ? Ce sera toujours avec plaisir ! »