Tout juste revenu de Londres, je ne peux pas dire que mon humeur soit au beau fixe. J'ai été trop absent de mon service ces dernières semaines et je dois être redoutablement efficace sous peine de perdre ma couronne. La meute a les instincts tenaces. Et je vois déjà quelques rôdeurs s'approcher. Loup paranoïaque, loup distrait par ses aventures féminines, par les fantômes éthérés du passé et désormais muets. Je grogne, renfrogné, oubliant presque que ce matin j'avais un cours à donner. Le prestige se marque sur les épaules d'initier la future élite du monde à la découpe des corps, à la lecture précise des mécanismes agoniques, mais c'est dans mes quartiers que j'aimerais présider à cet instant. Le staff se déroulera bientôt et je veux absolument être présent. Regard mécanique et huilé vers les rouages de ma montre de luxe, en bon maniaque du temps et du contrôle, je réalise avec satisfaction que je dispose d'une bonne heure avant le début de cette réunion. Je gagne donc le couloir d'un pas pressé pour m'y rendre, scrollant mes derniers mails, je prête guère attention à la Demoiselle en furie qui fonce droit sur moi. Tout juste le temps de m'interroger face à ces nuances rosées dans les mèches, lueurs d'un passé innocent laissé en Egypte quelques mois plutôt, une blessure muette, fardeau supplémentaire, qui pèse bien plus que ma raison ne veut l'admettre. Mes sourcils se froncent lorsque la silhouette me percute, j'aurais juré qu'elle était une vision blafarde de mon imagination. « Je ne peux pas vous reprocher pour avoir fait la même chose. » Je me baisse pour t'aider à ramasser les feuilles et bloque pour de bon sur ton visage. Le sang semble se perdre en dehors de mon visage, les absinthes se figent sous le coup de ce que je pense être une hallucination. Phalanges qui viennent reposer contre ton visage et tu ne comprendras sans doute pas ma réaction. « Clary ? » J'en suis pourtant persuadé, pour en compter un tas dans mes placards gelés, les morts ne reviennent pas à la vie.

Je ne suis pas partisan de ces histoires mystiques. Cartésien de la première heure, mon raisonnement exige toujours une forme de logique, de pragmatisme. L'absence de maîtrise m'horripile au plus haut point. Pourquoi ne pas sortir les encens et les boules douteuses de plastique tout de suite ? Pourtant, force est de constater que je ne maîtrise rien en cet instant. Ni même mon regard qui t'accroche pour se perdre dans les méandres du passé, ni mes phalanges qui viennent effleurer ta peau inconnue et pourtant familière. Je n'étais pas amoureux d'elle et pourtant l'amour et la tendresse que je lui portais n'avaient jamais été aussi sincères. Elle était cette part lumineuse qui venait épouser parfaitement mes noirceurs, cette légèreté capable d'insuffler un peu d'élan sur le poids de mes épaules. Tu semble si similaire que... son prénom avorte entre mes lèvres. Celle dont je n'ai plus vraiment parlé depuis si ce n'est à Dwayne. « Etrange oui... » Mes sourcils se froncent, comme surpris par la propre course de mon battant. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas résonné d'un tel vacarme. « Albus. » Je reprends mes esprits. Tu n'es pas Clary. Juste une femme qui lui ressemble. « Pardonnez ma méprise. » Je viens lisser la veste de mon costume, reprendre un semblant de vertical dans la staure, parer les remparts, combler les béances d'un surplus d'orgueil.