Elle avance totalement à tâtons, dans leur semblant de discussion. Car elle se dit que quoi qu’elle pourrait s’aventurer à prononcer, c’est contre elle qu’il irait le retourner. Anders, à son égard, n’a aucune compassion. Ca la change de toutes ses autres relations. « Je n’ai jamais sous entendu le contraire. Et ce n’était pas non plus ma question. » Les sourcils légèrement froncés, prête à lui répéter la teneur de ses propos, car elle est quasiment certaine que c’est bel et bien ce que c’était. Haiwee, elle n’y peut rien, elle est premier degré. Mais parce qu’il marque un arrêt afin de la laisser rentrer dans la bâtisse, sa langue, elle se contente de se heurter à l’émail de ses dents. « Je ne pense pas non plus que tu sois asociale. Ma question c’était de savoir qu’est ce que tu veux. De Harvard, de la fraternité. Quelle vie tu veux mener ici. » Elle lui en lance une œillade, l’air de lui balancer, qu’il n’avait qu’à préciser. Elle prend les mots à la lettre près, faute de son manque de connaissance en cette société. « Chacun à sa vision des fraternités, ses attentes. Certains les choisissent simplement par prétention, par vantardise. Je suppose que d’autres doivent penser que c’est le meilleur moyen de faire la fête. » Mais ce n’était pas ses raisons à elle, en début d’année, Haiwee, une fois le Summer Camp passé et son cœur brisé, elle voulait avoir des gens sur qui compter. « En ce qui me concerne… »

D’un regard, il renouvelle son intérêt, parce qu’il se décide à parler de lui, qu’il ne l’a jamais fait jusqu’ici. « J’ai fait ce choix parce que j’aime la cohésion qui règne ici. Surtout à la Currier. Un peu comme… Une immense famille. » Elle voit dans ses prunelles que c’était un désir profond, comme un besoin de pallier quelque chose qui aurait pu lui manquer, seulement elle ne dit rien, pour ne pas s’avancer alors que ce n’est qu’à peine qu’elle le connait. « Tout n’est pas tout le temps parfait, » elle redouble d’attention afin de l’écouter, elle boit la moindre de ses paroles, hochant le visage, comprenant ses images, « Une famille… T’as pas forcément envie de les voir tout le temps, mais ils sont là quand même. » Et peut-être que c’est la définition du mot famille qui est biaisée pour Haiwee. Parce que dans sa vie, sa famille, avant, ne la laissait que très peu respirer. Elle s’en triture le cuir chevelu de ses ongles, réfléchissant, au flot d’information qu’elle se doit d’assimiler, en dedans. « Qu’est ce que t’imaginais toi ? A quoi tu t’attendais quand t’entends le mot fraternité ? » Elle réflexionne, taciturne, elle fait du tri dans ses idées, dans ce qu’elle pouvait, avant, espérer. Qu’est-ce qu’elle est venue chercher au cœur de la Currier ? Si bien que plus elle cherche, moins elle le voit. A la lisière de lui confier qu’elle ne sait plus, qu’elle ne sait pas. Elle en pince ses lèvres tandis que ralentissent leur pas. « Parce que tu trouves qu'il y a une cohésion, toi ? » Haiwee, elle ne la voit absolument pas. Au contraire, elle trouve que les Currier passent leur temps à s'effacer... « Mais je cherchais une famille de substitution, oui. » Des gens qui auraient des idées semblables aux siennes. Liés par les croyances communes qui coulent dans leurs veines.

Oui, Haiwee, elle cherchait ça. Un endroit qu’elle n’aurait pas craint de considérer comme chez elle, de penser qu’elle y a sa place, que les différences, à la longue, toujours, s’effacent. « Des gens sur qui compter, » se sentir forte par le nombre faute d’avoir été brimée, « me sentir accepter, aussi, me faire une place ici, ressentir ce même esprit que durant le Summer camp, » lorsqu’ils se sont tous battus ensemble, même s’ils étaient différents, « J’espérais… » oublier les sentiments qu’elle éprouve envers Sheng, qu’elle endurent au quotidien, et parce que c’est un pêle-mêle dans ses songes perturbés, elle finit par avouer. « J’en sais rien. » L’esprit indubitablement incertain.   

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Toujours attentive lorsqu’il reprend un discours, elle en esquisse un sourire, les souvenirs évoqués, le fait que malgré ses blessures il ait réussi à se sentir entourer. En un sens, ça fait plaisir à la doucereuse Haiwee. Parce qu’elle n’aurait pas aimé, même si elle ne le connaissait pas à l’époque, savoir qu’il ne l’était pas, aidé. Il y a tellement de gentillesse en elle, que sur l’instant, c’est tout ce qu’elle est capable de penser. Et de le croire, aussi, à dire vrai. Car pour une telle anecdote, elle ne voit pas quel serait son intérêt de lui raconter des mensonges sans sourciller.

Puis elle répond, un peu bancale, à ses questions. Lui dire qu’elle désirait une famille de substitution. « Pourquoi ? » un soupir s’échappe de ses lèvres, « Parce que la mienne était très présente dans ma vie et que ce n’est plus le cas depuis que je suis ici ? » Parce qu’elle a laissé derrière elle sa communauté, et qu’elle ne peut pas forcément les contacter. Un besoin viscéral de compenser. « Mais il y a plein d’autres façons d’en fonder une, en dehors de la fraternité. » Oui, dans le fond, ça, Haiwee, elle le sait. Parce qu’elle s’est tout de même fait des amies, dedans et hors de l’université. Elle s’était juste dit que la Currier vient la compléter. « Ca ne sera jamais complètement pareil. » Elle ne peut que l’approuver, en un soupir appuyé. Tandis qu’il continue sur sa lancée, parle du Summer Camp durant lequel, c’est vrai, elle avait eu la sensation de véritable exister. Pas de compétition, juste un besoin de s’amuser, d’invasion.

Et tandis qu’ils se retrouvent dans la cuisine de la maison, il vient proposer. « Thé ou café alors ? » le placard ouvert, elle se range de son côté, « Thé aussi, merci. » et l’écoute avec passion continuer. « Je sais que ça peut être déstabilisant, Harvard, les grandes villes, les fraternités… » Etrangement, il lui semble qu’Anders s’adoucit. « Mais tu finiras par trouver ta place dans tout cela. » Elle espère qu’il a raison, de tout son cœur, « Même si c’est moins facile que ce que tu espérais. » il faut croire que ça ne l’est jamais, « Même si ça prend plus de temps. Après, si tu ne te sens pas à l’aise ici, tu peux toujours partir et retenter quand tu te sentiras prête. » Il a raison, il n’y a, dans le fond, aucune obligation, il faut qu'elle abdique, si elle les quitte, elle ne risque pas d'être répudiée, pas comme avec sa famille si elle décidait de ne pas rentrer, « Ou peut-être essayer avec une autre confrérie. Ce n’est peut-être juste pas la bonne. Ça peut arriver de se tromper, mais il y a toujours un moyen de corriger les choses. » Elle en viendrait pratiquement à le trouver passionnant.

Alors elle rumine toutes ses paroles, en cherchant deux mugs dans le vaisselier, elle ne sait pas comment reprendre la course de ses pensées. « J'espère que tu dis vrai.,» Sa langue s’infiltre entre ses lèvres pincées, lui laisse le loisir de poser dans les tasses les sachets de thé. Pour venir, parapher à la force de ce qui tourne le plus dans ses idées. « Anders, tu veux faire quoi ? » Réalisant que ce n’est pas très clairement dit comme ça. « Dans la vie je veux dire ? » Et l’amérindienne se fend en un sourire. « Parce que tu es doué, pour les discours. » Pour s’exprimer, pour essayer d’éclairer les pauvres âmes en perditions, comme l’est la novice qui ne sait faire un vide complet dans les méandres de sa raison. « Tu devrais essayer d’être encourageant plus souvent. » Elle ose lui préciser, d’un ton amusé, absolument pas pour le tacler, mais parce que les derniers mots qu’il lui a confiés sont ceux dont elle avait besoin. Ceux qui lui font du bien.

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Une chose est certaine au milieu de ce piètre chaos, c’est qu’elle ne s’attendait pas à ce que la conversation prenne ce chemin-là. Ce détour que prend cette relation, à en venir au fait, de lui dire qu’elle espère qu’il dit vrai, alors qu’il y a quelques minutes à peine, il était à deux doigts de l’engueuler. Ca fascine encore plus la Haiwee que de le constater. Comment les choses, dans ce monde, n’ont de cesse d’évoluer. « Je n’ai pas de raison de mentir. » Mais c’est justement ça, qui lui plaît, qu’il fasse autant preuve de sincérité. Qu’il ne prenne pas des pincettes afin de s’exprimer. Que tout semble naturel, incalculé. « Enfin, je sais que les expériences à Harvard divergent pour chacun, mais il n’y a pas de raison non plus pour que tu ne t’en sortes pas. » Un léger sourire étreint les reliefs de son visage, une énième fois. Elle opine, elle approuve et elle espère à nouveau, aussi facilement, comme le font les enfants. Elle possède un cœur indéniablement innocent.

Si pur qu’elle en vient à le questionner, lui demander ce qu’il compte faire, lorsqu’il sera grand, comme s’ils ne l’étaient pas déjà. « Ah ! » Il entonne en tant que marque de compréhension, si bien qu’elle patiente calmement afin d’obtenir sa vérité, le connaître lui, aussi bien que ses projets. « Je ne sais pas trop. » Elle en pince ses lèvres, parce qu’elle entend à la perfection un écho en elle faute de sa réflexion. Elle non plus, elle ne sait pas. Pourtant elle cherche plus fort qu’on ne le croit. « Je crois que j’ai juste envie de… de préserver ce qui existe. » Elle apprécie sa façon de l’articuler, se laisse surprendre par le fait qu’une chose telle que celle-ci elle l’a déjà prononcée. Préserver le monde, tout ce qu’elle peut aimer. La vie, l’humanité. « Je trouve un certain apaisement à réparer ce qui peut l’être, à essayer de donner aux choses une seconde vie. Parce que… Je crois que je suis passé par là aussi. » C’est un regard bienveillant qu’elle pose sur lui. « Il n’y a de bons orateurs que s’il y a des oreilles attentives pour les écouter. » Elle en craque un petit rire à l’instant où l’eau est à température, touchée par la faible louange cachée derrière ses dires.

Entre ses doigts elle récupère la tasse qui lui est attitrée, elle laisse la chaleur de l’eau réchauffer ses mains, sans avoir eu conscience avant cela qu’elle pouvait avoir froid. « Plus attentives, tu ne trouveras pas. » Parce que comme elle commence à boire son thé, qu’elle aurait probablement dû laisser un peu plus infuser, elle s’abreuve des paroles et des secrets qui lui sont confié. « Si je m’en sors avec… » elle fait un mouvement de son bras, en arc de cercle pour représenter un tout, « Harvard etcetera. » tout ça, à s’adapter, à se sentir à sa place dans cette société. Se fondre dans cet univers auquel elle a, tant de fois, rêvé. « Je viendrais t’aider, » à rendre les choses meilleures, à faire du crochet sur les cœurs, « à réparer les choses. » Elle boit une autre gorgée, qui lui consume quelque peu la trachée, « à les préserver. » Petite amérindienne qui souhaite si fort se battre pour la liberté. « Merci de… » les mots se perdent à force de se mélanger, elle en est gênée. « Pour le thé. » les minutes précieuse que tu lui as accordé.

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