Journée éreintante. On se perd entre fiction et réalité, tous ces gens déguisés, habillés de faux sang et pourtant réellement agressés. Je déteste Halloween, je déteste qu'on vienne rire de ces horreurs parce qu'elles sont ma réalité quotidienne et que ce genre de journée ne donne que plus d'espace aux fous en liberté. Vic m'avait proposé une sortie ensemble mais j'avais finalement décliné me sentant trop fatigué et las pour être d'une bonne compagnie. Journée terminée et enveloppé par une nuit froide et crachineuse, mes épaules se perlent de gouttes mélancoliques et froides, fumée crachée par une gorge exténuée mais avide. J'ai envie de sa compagnie, de sa noirceur, de nos solitudes anciennes et familières. Elle me comprend presque mieux que personne. Elle est cet alter féminine, alors je lui envoie quelques messages en tant que Loup exigeant que je peux être, lui proposant de venir me rejoindre. Elle doit lâcher quelques plans en route mais c'est ainsi. Je vais sans doute rencontrer nombre de personnes déguisées et folles ce soir, et peut-être même que je pourrai oublier leur idiotie à son contact. Je dois parfois savoir entrer dans le jeu, et pour une fois, je veux renoncer à ma solitude. Ecrasant mon clope d'un pied nonchalant, je vois une voiture se garer non loin de là. Je n'effectue pas de geste, je suis reconnaissable et elle ne tardera pas à venir à ma rencontre.

Si j’apprécie l’invitation de Peyton à venir passer la soirée en sa compagnie et celle de plusieurs de ses amis, le cœur n’y est pas. Chacun des sourires livrés ce soir est un mensonge et lorsqu’il m’offre une porte de sortie, je n’hésite pas une seule seconde. Les sentiments de ma meilleure amie, que je risque de blesser, ne me traverse même pas l’esprit. En quelques minutes à peine, je suis dans la voiture après avoir prétexté vaguement une urgence personnelle “que je lui expliquerai plus tard”. Lui, mon urgence. Ma bouffée d’oxygène à laquelle je n’ai pas eu le droit depuis bien trop longtemps. Le chapeau de sorcière balancé sur le siège passager, je me passe les doigts dans les cheveux pour les arranger un tant soit peu et observe rapidement mon pâle reflet dans le rétroviseur. Je n’ai pas fait énormément d’effort, au-delà du maquillage smoky à outrance et de la robe noire de style gothique. Ça fera l’affaire, quel que soit le plan, s’il y en a un. Arrêtée à un feu rouge, un abruti saute sur le pare-choc de la voiture pour me faire peur et, alors que je l’insulte de tous les noms, je dois lutter contre l’envie de démarrer et lui rouler dessus. Mon calme à peu près retrouvé, je me parque à l’endroit où Albus m’a donné rendez-vous et sort du véhicule lorsque je le repère à quelques mètres seulement, abandonnant pour couvre-chef dans la voiture. « Très convaincant, le costume. » Dis-je avec ironie une fois à sa hauteur, alors que mes doigts agrippent sa veste pour appuyer mes dires. Il n’en porte pas, ce qui n’a rien de surprenant. Avec sa carrure imposante, je dois relèver la tête pour capter son regard et lui souffle un simple « Merci. » D’avoir appelé et de m’avoir offert mon échappatoire sur un plateau d’argent.
@Albus Jasinski

Je ne peux pas dire ce qui m'enveloppe lorsque sa silhouette au milieu de la bruine se dégage. Elle est cette présence familière, ancienne. Aussi tordue et bancale que je peux l'être. Un soutien indéfectible et une compréhension mutuelle dans nos maladresses car nous n'avons aucun don pour les habiletés sociales que requièrent la condition humaine. Mon visage se baisse à la rencontre du sien, je pourrais sourire mais je n'en ai pas vraiment envie, je me contente simplement de laisser mon regard partir dans le sien, ses mains qui agrippent les rebords de ma veste. Délicatement, j'embrasse son front, loup apaisé par la présence de son féminin parfum, qu'elle m'enivre, qu'elle me hante à nouveau cette tentation d'autrefois, devenu pilier de choix dans mes chaos. « C'était si terrible que ça ? » Mon bras passe autour de sa taille. Je sais comme parfois le masque peut tirailler, devenir inconfortable, comme on étouffe là, à prétendre que les choses suivent leur cours alors que la seule chose qu'on convoite c'est la fuite, la solitude et l'écho plein d'une âme qui résonne avec la sienne.

A l’instant où mon regard croise le sien, je me sens mieux. Je ne dirais pas plus légère mais à ma place, alors que cette soirée m’a donné l’impression de n’avoir rien à faire là. Ignorant dans un premier temps sa question, je me laisse aller contre lui et m’imprègne de son odeur à la fois familière et rassurante. « Non. » Je réponds honnêtement, consciente qu’il n’y a aucune explication logique à ce sentiment étranger en présence de personnes que je connais pourtant bien. « J’avais juste aucune envie d’être là. » Aucune envie de sourire et célébrer les défunts, accoutrée d’un déguisement ridicule. Halloween est pourtant une fête que j’apprécie particulièrement, mais le cœur n’y était pas cette année. « T’as l’air fatigué. » Ce n’est pas une question, je constate juste ses traits tirés sous les yeux, qui ne parviennent pas à altérer sa beauté. Outre son âme qui fonctionne tel un aimant sur la mienne, je peux encore voir pourquoi c’est lui que j’ai choisi pour faire exploser mon mariage en mille morceaux. « Qu’est ce qui te ferait plaisir? » Plaisir n’est peut-être pas le mot adéquat mais s’il a fini par me joindre, après une longue journée, il y a peut-être quelque chose que je peux faire pour rendre cette soirée plus supportable.

Rassuré de savoir que tu n'es pas si mal en point, je comprends parfaitement par tes dires cette envie qu'on ressent de s'échapper du monde. « Je vois. » et c'est le loup solitaire que je suis, que tu as choisi pour seule compagnie. Je suis flatté, je l'admets, me parant avec une joie silencieuse dans mon orgueil. De nos vestiges passionnés, il reste ce lien solide, profond et tacite depuis toutes ces années. « Comme souvent oui. » J'enchaine les heures sans compter, les violences sans protester, habitué à écouter mon mental plutôt que mon corps, sourd aux maltraitances que je le force à endurer. Mais la fatigue passe, comme le reste. Je réfléchis quelques instants à tes paroles. Ce qui me ferait plaisir ? Ta compagnie est déjà suffisante mais j'ai bien conscience qu'on ne peut pas errer dans cette voiture de la sorte. « Une soirée dans un endroit posé avec de la bonne musique et des gens fréquentables. » Regard qui s'incline sur ton accoutrement, lèvres pincées. « Mais tu risques de faire intrusion dans le lisse du décor. » Rictus qui se peint sur mes traits. « Et toi, de quoi as-tu envie ? » Parce qu'on trouvera tous les deux, quelque chose qui nous correspondra.

Lèvres pincées lorsqu’il affirme qu’il n’est pas plus fatigué que d’habitude, je me retiens de lui sortir le discours de la femme-médecin, qui aimerait le voir prendre un peu mieux soin de son corps et son âme. Nous sommes tellement mal placés pour tenir ce genre de propos alors que nos gardes requièrent un maximum de concentration pour un minimum de sommeil. En silence, mon pouce glisse doucement pour suivre le contour de ses cernes, avant d’appuyer à nouveau ma tête contre son épaule pour avancer de quelques pas. Où ceux-ci nous conduiront, c’est une autre question. « Quelle est ta définition de fréquentable ? » Je demande avec un sourire amusé, avant de lever les épaules à sa remarque sur mon accoutrement. « C’est Halloween, Albus. S’il y en a un de nous qui détonne ce soir, c’est toi. » Lui, seul américain qui a choisi de ne pas revêtir la peau d’un autre pour la soirée. Regarde autour de nous, il n’y a que des fous. A l’arrêt pour réfléchir à sa question, je me pose devant lui et l’observe en silence, venant me mordiller l’intérieur des lèvres. Pas suffisamment inconsciente pour lui faire part du fond de ma pensée, je me contente de lever les épaules nonchalamment. « Je te suis. Le drink ? Ou tu as une meilleure idée ? » Ca m’est égal, tant qu’il y a de quoi s’enivrer et anesthésier tout ce qui peut venir parasiter ce petit monde.