Les souvenirs se heurtent dans mon esprit. Nos souvenirs, d’années qui semblaient remonter à une éternité. Une éternité sans toi, deux années beaucoup trop longues, sans ma meilleure amie, l’un des piliers de ma vie, avec qui j’ai grandi, avec qui j’ai compris certaines choses. Je souris à tes mots, secouant ma chevelure de droite à gauche. ”Et c’est mon métier de faire poser les gens, alors tu seras magnifique…” Magnifique parce que je veux que tu réalises à quel point j’ai progressé, à quel point j’ai appris à observer, à exalter l’infime beauté de chaque individu. Un grand sourire illumine mon visage à ces quelques mots. ”Et je t’y suivrais… Sentir que plus rien ne nous oppresse, qu’il n’y a plus cette pesanteur au-dessus de nous, c’est un sentiment que je n’avais que lorsque les cieux s’offraient un nous, que personne ne pouvait nous atteindre là-bas. La lumière douce de ces nuits passées à observer l’infini, dans une parenthèse hors du temps, me manquait, mais sans toi, la saveur de ces moments n’aurait jamais été la même. Et enfin, tu contournes le comptoir en zinc et je sens la chaleur de tes bras autour de mon corps. Je fais de même et dans ce silence soudain, je sens une larme rouler le long de ma joue, pour cet instant que j’espérais sans jamais le voir venir, assaillie par tous ces souvenirs de nos années lycées, de rires et de larmes. ”Tu m’as manquée Lyra…” arrivé-je à souffler après un long silence.

La complicité revient entre nous comme si elle ne s'était jamais perdue. J'ai hâte de pouvoir te retrouver plus régulièrement, d'orner notre quotidien de nouvelles aventures communes, à commencer par la photographie qui est ton art de prédilection. « Naturellement. » Sourire qui vient accompagner mes propos, car tu sais rendre les choses belles, et laisser entrevoir la lumière dans les brisures les plus profondes. Tu sais exploiter la beauté, même là où elle est insoupçonnée et je t'ai toujours admirer pour ce talent. « Comme avant. » Mes yeux se perdent un instant dans le puit de nos souvenirs communs. Certains difficiles, d'autres plus légers, mais toujours avec cette sensation de faire front face à l'aube de nouvelles promesses. On ignorait encore nos destins, les adultes qu'on serait, c'était l'espace de tous nos possibles. Finalement, je contourne le bar pour venir te retrouver, familiarité de l'étreinte qui vient me réconcilier avec mes racines. Je comprends à cet instant que tu es la pièce du puzzle qui me manquait. Part d'un passé que je viens désormais accepter. Parce qu'avat de me faire souffir, il m'a construit. « Toi aussi. Tellement. » dis-je en sentant l'émotion m'envahir à mon tour, mais je tiens bon. « Donne-moi ton numéro. » Et je ne manquerai pas de te proposer de nouvelles pages au chapitre maintenant que je m'y sais admise et même désirée.

Chaque moment passé me revient, nous avions tellement partagé durant de nombreuses années que je savais que je n’aurais pu t’oublier. Mais me tenir face à toi, dans ce bar, ton lieu, ton univers, me rassurait quant à ce que tu étais devenue, que tu n’avais pas totalement disparue. Je hoche la tête à tes mots. Oui, comme avant, comme si ces deux années ne nous avaient jamais séparées. Retrouver une part de mon adolescence, la personne avec qui j’avais grandi, si loin d’ici, pour pouvoir nous retrouver dans le futur. Alors les émotions sont plus fortes que moi, et une larme coule le long de ma joue, alors que tu te contiens, et je n’ose plus dire un mot. Mais je réalise enfin quand tu me demandes mon numéro, me défaisant de cette étreinte, fouillant dans mon sac. "Ca fait assez impersonnel… Mais je te donne ma carte…?" Après tout, mes coordonnées se trouvaient bien dessus. "Et puis comme ça tu auras tout…" Ça me faisait tellement étrange, de me tenir face à toi ce soir, après deux années si longues...

Beaucoup d'émotions ce soir, beaucoup de ce passé qui nous rattrape. Longtemps, je me suis entêtée à le fuir, trop blessée, trop écorchée de ces maux qui m'avaient sauté à la gorge, presque tué sans que je ne puisse rien y faire, sinon survivre, m'obscurcir pour tenir bon. Te voir revenir, c'est accepter cette part de douceur, cette part de bonheur qui se conjuguait désormais au passé et ne plus être en colère face à elle. Beaucoup de choses se sont passées ces derniers mois, et je suis en quelque sorte apaisée. Prête à accepter ce passé dans tous ses contrastes, mais surtout avancer. « Merci. C'est surtout pratique. » dis-je avec un petit sourire, impressionnée par le professionnalisme que tu mets en œuvre. Tu as toujours été déterminée et ambitieuse, si bien que je ne suis pas étonnée. « Je ne manquerai pas de te faire signe. » Je suis pas prête de te lâcher, maintenant que je t'ai retrouvé. Et le reste de la soirée se passe tranquillement avant que tu ne prennes congés et que nous nous retrouvions à nouveau.