De retour dans mon royaume, je reprends aussitôt les rennes de la situation. Les crimes et les violences n'attendent pas. Ne prennent jamais de vacances. Et avec les tensions de la rentrée, force est de constater que le nombre de victimes se multiplient. A croire que l'été ne les a pas détendu. Je suis en consultation de médecine légale ce matin, recevant les victimes les unes après les autres. Femmes battues, violées, agressions à l'arme blanche, bagarres, toutes sortes de violences. Je regarde rapidement le planning, constatant qu'une infirmière vacataire m'est assignée pour la consultation. Chose que je déteste car elles ne connaissent pas mes procédures et ma façon d'exercer, j'aime tourner avec des titulaires de confiance, mais il faut croire que la Cadre n'a pas pu faire autrement avec le pool paramédical. Je grogne déjà. Voyant une jeune femme entrer dans la salle, je vérifie rapidement son identité sur son badge. « Bonjour Bisha, nous allons faire la consultation ensemble ce matin. J'attends de vous la prise des constantes, taille, poids, tension artérielle, saturation, analyse sanguine, et questionnaire préalable. Nous débriefons ensuite les observations et vous effectuez les transmissions , moi les rapports légaux. Des questions ? » Peu doux, trop professionnel, il n'y a que les rigides comme moi pour aimer partager mes tâches.

jour 1, prends ton shift, il est l’heure. direction la salle de pause pour voir les plannings, ont-ils été changé ? sans doute, puisque tu comptes une infirmière urgentiste de trop dans le vestiaire. essaye d’en savoir plus, mais elles sont comme toi, elles ignorent si y a du manque ailleurs, si vous êtes autant que ça. ça n’serait pas une mauvaise chose, c’est clair. au contraire, marre de courir, de manquer d’personnel, de galérer. simplement.
tenue enfilée, cheveux attachés en queue de cheval haute, stylos, montre, ciseaux et autres outils nécessaires accrochés à la poche qui se trouve sur ton sein. crocs aux pieds, gilet sur les épaules, cigarette et téléphone dans tes deux autres poches situées au bas de ta blouse. direction les plannings, médecin légale. ok clairement, tu pourrais être saoulée d’être bougée de ton service, à la limite si ça avait été en géronto, ou tout autre genre de service un peu plan plan, mais là t’es plutôt bien lotie. tu sais qu’il va y avoir des choses pas forcément agréable à voir, à entendre, mais t’es plutôt habituée à ce genre de truc. quelques patients qui finissent ici passent d’abord par les urgences.
seule crainte, les échos qui circulent sur le chef de service. le docteur jasinski, pas des plus tendre il paraît. de toute façon t’es là pour ça, tu fais tes heures, si ça se passe bien tant mieux, sinon, ce n’est qu’une journée, après tu retourneras chez toi.
face au médecin, tu lèves les yeux au ciel, sans blague, faut prendre les constantes ? tu l’auras pas deviné seule. « vous voulez que je rentre les paramètres dans l’ordinateur, je pense pouvoir m’en sortir » t’es loin d’être nouvelle, c’est loin d’être ta première entrée, ce genre de truc tu le ferais presque les yeux fermés si tu n’avais pas peur de viser au mauvais endroit lord de la prise de sang demandée.
une nouvelle arrivée, c’est le moment de lui montrer ce que tu vaux. qu’il te fasse confiance pour le reste de la journée, ce sera plus agréable de travailler dans ces circonstances. il peut te déléguer le boulot, sans problème. rapidement tu attrapes le tensiomètre, ton chariot de soin, tu viendras récupérer la chaise de pesée plus tard et tu files dans la chambre du nouveau patient. une fois les paramètres pris, tu notes tout sur une feuille. place les tubes à analyse dans un sachet, appelle l’accueil pour signifier que t’as besoin d’étiquettes puis tu l’enverras au labo.
de retour au poste infirmier du service tu te mets à ton ordinateur, y rentre toutes les nouvelles informations nécessaire pour une meilleure prise en charge, pour un meilleur soin. file toquer à la porte du médecin « c’est bon je vous ai rentré tout les paramètres de monsieur X, j'ai fait envoyé son analyse de sang au labo, il est chambre 44, et ça c’est son dossier » tu poses le fameux dossier sur son bureau, qu’il le feuillette, qu’il puisse voir par lui même à quel type de patient nous avons à faire.

J'aime pas avoir une nouvelle et encore moins une remplaçante avec moi. Certaines sont compétentes mais d'autres carrément incapables et on sait jamais à l'avance. Bref, je consulte le logiciel de notre unité médico-judiciaire, commençant par les lits d'hospitalisation avant la consultation externe. Cette Bisha semble me prendre de haut. Et ça va pas vraiment me plaire. Certes, les constantes sont la base de leur métier mais certaines savent à peine prendre une tension donc bon. Je commence à lire quelques synthèses de prise en charge alors qu'elle revient avec les données du premier patient. « C'est bien, que pouvez-vous me dire de son état psychologique ? Communiquant, plutôt renfermé ? S'est-il laissé manipuler avec précaution ? Lui avez-vous parler d'un possible relevé d'empreintes, de la suite ? » En l'occurrence, cet homme avait été passé à tabac la veille au soir dans un bar avec une suspicion de violence sexuelle, son état de conscience à son arrivée aux urgences et les témoignages de ses amis pousseraient à penser à une utilisation de GHB, autrement connue sous le nom de drogue du violeur. La prise de paramètres vitaux est une chose importante mais ici nous explorons toutes les dimensions du patient.

dans tout les services de l’hôpital, à chaque fois, c’est la même histoire, quand on ne te connait pas, on te prends pour une incapable, on attends que tu fasses tes preuves, tu le sais parce que t’as vu tellement d’incompétents qui rajoute du travail que toi aussi maintenant tu agis de cette façon quand quelqu’un débarque aux urgences.
pourtant là ça t’énerve, parce que t’es de l’autre côté cette fois, c’est toi qu’on prend pour une incapable alors que t’as déjà tellement prouvé depuis ton arrivée au sein de l’hôpital. puis ses patients, avant qu’il les rencontre, le plus souvent, c’est avec toi qu’ils ont le premier contact.
— c’est difficile à dire, il semble minimiser son état, son mal-être, il parle mais il évite clairement de parler de l’agression. il nous a laissé faire les examens, mais j’avais l’impression d’avoir un robot face à moi, il est resté complètement stoïque. il essaye de nous rassurer sur le fait que ça va bien, mais au final c’est peut-être lui qu’il essaye de rassurer. il faudrait qu’il voit la psychologue, ça me paraît indispensable.
— j’ai eu l’impression qu’il était à l’aise d’être face à une femme. tu ne ressemblais pour le coup, absolument pas à ses agresseurs. un homme, quel qu’il soit, avait tout de suite déjà plus de points communs.
— pour ce qui est des empruntes, je lui ai parlé d’autres examens qui permettraient de retrouver ceux qui lui ont fait ça, il semble avoir peur, j’ai essayé de le rassurer comme j’ai pu, mais j’ai senti clairement de la crispation lorsque j’ai abordé le sujet alors j’ai préféré ne pas aller plus loin pour l’instant. ça se comprenait, ce genre d’examen était intrusif, que ce soit physiquement comme moralement, on ne pouvait plus rien caché à ce moment là, obligé de montrer ce qui nous provoquait la pire honte qu’on ne pouvait ressentir.

Ici on nous demande d'être autre chose que des techniciens. C'est l'ensemble de nos compétences qui sont mobilisées tant techniques qu'humaines et les patients qu'on rencontre, leurs histoires nous marquent. C'est un service éprouvant, qu'on déteste ou qu'on adore. Pas de place pour les opinions en demi-teinte, car travailler ici est confrontant. Je tiens donc à voir ce que tu as dans le ventre, ce que tu peux me dire part cette part plus tacite, plus fine et intuitive. Je suis satisfait et je réajuste peu à peu mon opinion. « Très bien, je pense que vous réaliserez avec moi l'examen dans ce cas, si vous êtes d'accord ? » Je ne veux pas le braquer mais au contraire lui permettre de coopérer au mieux. Ces agressions se multiplient sur la ville et je compte bien aider à coincer les coupables. « On va aller s'entretenir avec lui et on lui parlera de la psychologue. » La plupart des gens refusent d'emblée si on leur propose sans explications, de vieux préjugés sont encore tenaces par rapport à cette profession, à la vulnérabilité qui s'associe avec aussi. « Vous avez encore des tâches à effectuer ou on y va de suite ? »

une vraie passionnée par ton travail, tu avais toujours apprécier l’idée d’aider, de prendre soin. toute ta vie, dans ton quotidien, tu l’avais fait alors c’est tout naturellement que tu avais décidé cette voie là. infirmière aux urgences, une héroïne du quotidien. c’était peut-être égocentrique au final, mais ça te permettait de te sentir bien, en paix avec toi même. tu avais besoin d’aider les autres pour te sentir bien alors t’y mettais du coeur. et plus tu y mettais du tien, plus la satisfaction d’avoir pu aider était grande. bien sûr parfois, il y avait des moments de doutes, des échecs, et il laissait un marque à vie dans ton coeur, tu vivais avec ça, tu grandissais avec ça, tu prenais de la maturité de cette façon.
après ton débriefing au près du médecin, l’électricité entre vous s’était plus ou moins calmée, la tension était redescendue, tu savais ce que tu faisais et il pouvait te faire confiance pour le seconder. — oui bien sûr, on peut y aller tout de suite tu rapidement avais consulté les tâches à faire avant de t’occuper de ce patient et tout ça pouvait attendre, des papiers à remplir seulement.
— je vous laisse passer devant, j’vais rapidement appeler la psychologue, pour qu’on puisse debrieffer avec elle après, si ça vous va ? avant qu’elle le rencontre, vous deviez parlé des problèmes rencontrés lors des échanges, qu’elle puisse adapter son comportement au patient afin de ne surtout pas le braquer.

Je suis toujours un peu tendu quand on met une remplaçante dans mon service. Il a des exigences particulières. Comme tu viens des urgences, je me doute que tu as l'habitude de voir ce genre de choses puisque vous effectuez ce premier tri. La Cadre sait d'ailleurs qu'elle doit éviter mais là avec la fin d'année, même moi je ne peux pas y échapper. Heureusement, tu fais assez vite tes preuves, me démontrant que tu peux avoir une analyse assez globale de la situation. « Très bien. » Je désinfecte mes mains avant de commencer à me rendre vers la chambre. « Oui appelez-là, bonne idée. On gagnera du temps. » Finalement, t'es prometteuse et je vais même songer à te débaucher. Rendu devant la porte, je frappe doucement et attend que la voix m'invite à entrer. J'approche le patient en me présentant comme le Chef de service, dialogue avec lui quelques instants en lui assurant que l'infirmière va revenir, nous nous entretenons ensemble avec lui, revenons sur les évènements et finalement celui-ci préfère que nous réalisions l'examen tous les deux. Une fois sorti de la chambre, nous échangeons avec la psychologue pour le debrief' qui le prendra en charge avec une thérapie adaptée. « Merci pour ce patient Bisha. Vous n'avez jamais songé à l'UMJ ? » Je souris pour la première fois de la journée. Je sais repérer les bons éléments.

bisha était contente de son travail accomplie, contente de recevoir un peu de gratitude de la part du médecin qui au départ semblait bien hostile. une nouvelle fois elle avait su montrer ses capacités à ses collègues, elle avait sur être efficace et utile, surtout, elle pensait avoir accompli sa mission auprès du patient. elle s’éclipsait un instant pour appeler la psychologue, les informations données, quelques instant plus tard elle imitait jasinski, toquant doucement, attendant un instant, puis poussant la porte de la chambre, elle se mit dans un coin. hochement de tête à l’égard du médecin pour lui signifier que le coup de fil était passé. l’entretien se déroula doucement, bisha se voulait rassurante, tentant du mieux qu’elle pouvait de rassurer le patient sur les examens. le jugement des coupables l’aiderait dans sa reconstruction, mais pour ça il devait les aider, leur permettre de réaliser tout les examens nécessaires au bon déroulement de l’enquête. évidemment, elle avait agi dans la plus grande douceur qui lui avait été possible d’avoir, pas dans l’idée de le braquer, elle n’était pas psychologue alors s’arrêtait simplement à ses capacités.
une fois sortis de la pièce, un débriefing, et puis elle le suivait dans le couloir. un rictus s’échappait, elle hochait la tête, elle ne pouvait pas accepter le remerciement, elle n’avait fait que son travail. — j’ai encore des choses à voir et à vivre aux urgences, mais j’apprécie travailler ici alors qui sait peut-être un jour, sourire toujours accroché au visage. ça pourrait être une belle opportunité, pour plus tard.

Je sais être impartiale concernant les nouvelles recrues. Je m'en tiens aux faits, aux compétences, pas aux rumeurs ni aux premières impressions. Si beaucoup me reprochent ma froideur, on n'a jamais remis en question mes compétences, bien au contraire. Et je pense que les membres de mon équipe sont plutôt fiers de me côtoyer au quotidien. Le travail dans mon service reste rigoureux, exigeant et organisé, mais je sais aussi reconnaître les qualités de mes recrues, loyal à ma façon. Je tiens donc à souligner les qualités que j'ai observé chez toi. « J'appuierai votre candidature si toutefois vous souhaitiez faire de nouvelles vacations ici entre deux gardes aux urgences. » Chaque chose en son temps, et je sais comme l'étoffe du héros peut parfois être plus confortable lorsqu'on vient le soir se confronter à son reflet. Sauver le monde, reste une illusion, mais toutefois en accord avec ton jeune âge et ta volonté, je ne viendrai pas t'en blâmer. Puisque tu sais aussi encaisser les actes moins glorieux, évoluer au gré de la misère humaine et des injustices. « Continuons, si vous le voulez. »La tournée des patients est loin d'être terminée et sans doute que nous enchainerons la journée sans même nous en apercevoir.

oserait-elle s’imaginer ici ? en regardant autour d’elle, elle savait qu’elle s’y sentirait à sa place, véritable caméléon elle s’adaptait très, trop parfois, rapidement aux environnements qu’elle fréquentait, dans lesquels elle se trouvait. elle hochait la tête, un sourire aux lèvres, elle appréciait le geste, elle appréciait qu’il cherche sa présence dans son service, elle avait l’impression d’avoir réussi sa première mission. — j’apprécie, c’est très aimable à vous, je pense que vous me reverrez bisha n’était pas du genre à cracher sur des heures supplémentaires, surtout si elle se sentait bien à l’endroit où elle exerçait, alors pour sûr, elle irait voir la cadre du service, proposant ses disponibilités au besoin. bisha jetait un coup d’oeil sur la relève de la veille, — j’ai pas encore eu le temps de tout lire, alors je vous suit, quel patient devons-nous aller voir ? dit-elle en reposant le paquet de feuille. elle s’en voulait de ne pas être arrivée plus tôt, elle aurait dû, au moins pour se briefer sur les patients déjà présents dans le service.