Un film d’horreur proposé pour passer la soirée, ça aura peut-être au moins l’avantage de te faire oublier pendant un instant la douleur de ta perte et l’absence forcée de Nabil. Un McDo pour noyer ta peine, tu proposes à Basile de se joindre à toi mais seules les frites semblent l’intéresser. Ton nez relevé de l’écran de ton téléphone, presque outrée par sa réponse, tu le fixes avec insistance. « T’es sûr ? Parce que je te laisserai pas mes sandwichs. » Non, tu partages pas. Le McDo c’est beaucoup trop sacré à tes yeux pour laisser à quiconque le droit de toucher à ce que tu comptes manger. Ton index glisse à nouveau sur l’écran avec rapidité et, une fois ta commande bouclée, tu regardes Basile. « Juste des frites, t’es sûr ? Dernière chance pour changer d’avis. » Parce que t’as la dalle et que tu vas pas attendre une minute de plus pour valider ta commande.

Il a pas tort Basile, au contraire : t’as jamais partagé ta nourriture, surtout quand il s’agissait de McDo. Éventuellement avec Rose depuis qu’elle est capable de manger des repas solides mais avec personne d’autre jusqu’à présent. Bien trop sacré à tes yeux. Un mince sourire qui s’affiche sur tes lèvres à ses paroles, t’hoches la tête. « Tu me connais bien. » Mieux que personne, si peu étonnant. Quand il te confirme qu’il veut rien de plus que des frites, tu valides enfin ta commande en priant tous les dieux que celle-ci arrive en moins de dix minutes tant ton estomac risque de gargouiller durant le film. Tu te cales un peu plus dans le canapé quand il te demande finalement si tu veux un plaid ou un oreiller. « Je veux bien, oui. » Tu seras mieux mais t’es pas à l’abri de t’endormir après avoir mangé vu ce que tu t’es commandé.

Le film commence et, l’écran rivé sur l’écran de ton téléphone, t’en oublies presque de regarder alors même que c’est toi qui as demandé à voir ça. La commande validée, ton ex-mari s’assure désormais du fait que tu sois installée confortablement ; et, à cet instant, t’es envahie par cette étrange sensation que tu préfèrerais de loin chasser. Mais t’en dis rien ; pas un mot ne sort de ta bouche lorsqu’il dépose l’oreiller derrière toi et la couverture à côté. « Ouais, merci. » T’es mieux installée, y a pas à dire. « Ça me va. » que tu rétorques quant au fait que son gardien se chargera de prendre ta livraison. Le film se poursuit et tu restes les yeux rivés dessus sans un mot de plus jusqu’à ce qu’enfin la sonnette retentisse. Et, comme si t’étais chez toi, tu fais soudainement un bond du canapé pour aller ouvrir et récupérer ta commande que t’es déjà pressée de dévorer. Un remerciement au gardien et tu refermes derrière toi pour revenir t’installer, étalant ton repas sur la table basse et déposant les frites devant Basile. Assise en tailleur sur le sol, t’attrapes ton premier burger pour te l’enfiler à toute vitesse en regardant à nouveau le film, la douce sensation de retomber dans cette adolescence que tu regrettes parfois.

La douleur instantanément effacée par l’arrivée de ta commande, le cœur qui tambourinerait presque à l’intérieur de ton thorax pour quelques crocs de ces succulents sandwichs, tu t’installes au sol comme t’en avais tant l’habitude autrefois, sans aucun chichi. Et, quand tes dents se plantent dans ton Big Mac, t’étouffes un rire à la remarque que te lance ton ex-mari. T’es pas certaine de réussir à ne rien salir et peut-être même que tu le feras exprès d’ailleurs ; mais, avant de lui répondre, tu te dépêches de mâcher pour avaler cette première bouchée. « Je sais pas. Telle mère, telle fille, il paraît. » que tu finis par répondre en lui lançant un ricanement presque machiavélique alors que t’enfournes à nouveau le repas dans ta bouche.

Un sourire machiavélique qui se dessine sur tes lèvres à sa remarque quant aux cheveux gris que lui donnera Rose, tu n’ajoutes rien de plus, profitant de l’instant pour engloutir ton repas en regardant le film d’horreur choisi. Et, dès l’instant où ton repas est terminé, sur le canapé hissée du bout de tes bras, tu ne tiendras pas bien plus longtemps avant de t’écrouler de sommeil. Toi qui prévoyais de rentrer chez toi après ça, tu te retrouves à te mentir à toi-même, une couverture disposée sur ton corps par Basile.