Je reste bête devant l'écran de mon téléphone. Je ne savais pas trop quoi penser de tout cela. De cette conversation, de lui, des événements de ces derniers jours. Cette nuit j'avais encore pleuré toute les larmes de mon corps à cause de ma rupture, et pourtant, voilà que j'avais passé l'après-midi à discuter avec un inconnu, que j'allais le rencontrer, seulement quelques heures après son premier message, comme si c'était normal. Peut-être que ça l'était, après tout, il y avait bien longtemps que je n'avais pas cherché à rencontrer de nouvelles personnes, que nos intentions soient innocentes ou non, et peut-être que tous ceux de mon âge fonctionnaient comme ça. Pourtant, ça me laissait un petit sentiment de culpabilité. Est-ce qu'il n'était pas trop tôt pour ça, pour vouloir sortir, m'amuser, rattraper le temps perdu, pour vouloir penser à autre chose que ma rupture, pour vouloir fréquenter des gens qui ne me poseraient pas de questions là-dessus, ignorant tout du sujet ? J'aurais dû demander à Shannon avant de partir. Elle aurait peut-être eu quelques bons conseils à me donner.

Je n'avais aucune idée de ce qui m'attend ce soir, ni de si je suis vraiment prêt à ça d'un point de vue physique ou émotionnel. Je restais encore sensible à chaque contact, aussi innocent soit-il, et je ne parlais même pas de mon humeur qui jouait les yoyos depuis trois jours. Et puis je n'avais pas ma tête des meilleurs jours. Clairement, mes photos me mettaient bien plus en valeur. Pas de cernes, pas de strap sur mon arcade qui avait été ouverte et pas de bleus sur mon corps que je cachais avec des vêtements longs malgré la chaleur. Et en même temps, si ça se trouve, je faisais complètement fausse route et il ne venait pas du tout pour ça. Je me torturais donc pour rien. Heureusement, mon service ne tarde pas à commencer, me permettant de ranger toutes mes pensées torturées dans un coin de ma tête pour aller travailler, faire ce que je fais de mieux. Des cocktails. Et j'en oubliais presque le jeune homme jusqu'à ce qu'il passe la porte, me laissant quelques secondes sans voix à cause de la surprise. « Je ne sais pas, à toi de me dire, moi je suis nul pour retenir le visage des gens. » Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres. « Par contre, je suis très doué pour les cocktails. Qu'est ce que tu veux boire ? »

@Gael J. Dinkley après avoir terminé ta cigarette devant le lord hobo, tu l'écrasas sur la semelle de ta chaussure et tu la balanças dans un cendrier extérieur. tu pénétras dans le bar, ralentissant l'allure afin d'observer la décoration du lieu. t'avais presque oublié à quoi ressemblait le lord hobo tellement cela faisait longtemps que tu n'y étais pas allé. très industriel, très londres, tout ce que tu adorais. en tournant la tête, tu remarquas directement gael, qui semblait tout aussi charmant que sur ses réseaux sociaux. accoudé contre le comptoir, tu lui fis un signe de la main afin de capter son regard, tandis qu'un large sourire étirait tes lèvres. — tu vas me faire croire que tu ne te rappelles déjà plus de mon doux visage ? plaisantas-tu, une lueur malicieuse faisant pétiller tes yeux clairs. — en tout cas j'suis sûr de ne pas me tromper, assuras-tu. t'étais certain que c'était lui. et puis le sourire qu'il t'avait adressé montrait qu'il t'avait parfaitement bien reconnu. — je n'en doute pas ! et puis c'est ton boulot, ça serait inquiétant si ce n'était pas le cas, rigolas-tu doucement. — je ne sais pas si je t'en avais parlé mais je ne bois pas d'alcool, grimaças-tu légèrement. — j'sais pas si t'es apte à me faire un cocktail sans alcool ? un cocktail version mineur quoi, lui demandas-tu.

Même si je prétends ne pas être physionomiste, je l'aurais reconnu sans problème. Déjà parce que les photos de ses réseaux étaient authentiques, mais en plus, parce qu'il était vraiment mignon à regarder. Une pensée qui, combinée à ses taquineries, tire un peu mes joues vers le rouge. Même si ce n'était pas la première fois que je m'avouais ce genre de choses mentalement, le fait de ne plus avoir à le refouler faisait ressortir une timidité différente de celle que je me connaissais déjà. Quoiqu'il en soit, je hoche la tête avec un sourire. Sa confiance et sa bonne humeur étaient contagieuses. « Peut-être bien. Et peut-être aussi qu'il faudra que tu reviennes régulièrement pour être certain que je ne l'oublie pas à nouveau. » Ce qui n'arriverait pas aussi rapidement que je pouvais le prétendre. Après tout, on croisait énormément de monde ici, et pourtant, il y avait des visages dont je me souvenais d'une soirée à une autre. Et les circonstances de notre rencontre étant encore plus exceptionnelles à mes yeux, c'était certain que je n'oublierais pas son visage de sitôt.

Je lui propose un verre, souris à sa remarque. Peut-être que j'allais attendre un peu avant de lui dire que ça ne faisait que quelques mois que je travaillais ici.  Même si ça ne faisait pas grande différence. J'étais un employé sérieux, et j'avais rapidement appris les gestes de la profession, guidé par mes collègues. Alors j’étais devenu plutôt bon dans ce que je faisais, même si ça n’était pas mon domaine de prédilection. Que je cherchais toujours. « Non, tu ne m’avais pas dit, mais ce n’est pas un problème. » Je lui réponds avec douceur, pour ne pas qu’il pense que je me permets de juger ce choix. Chacun était bien libre de faire ce qu’il voulait. Même dans un lieu comme celui-ci. On pourrait croire que l’alcool coule à flot, ce qui n’est pas complètement faux, mais les personnes qui ne consommaient pas d’alcool étaient plus nombreuses qu’on pouvait le croire. « Il y a des choses auxquelles tu es allergique ? Des saveurs que tu n’aimes pas ? » Ca serait bête de l’empoisonner dès notre première rencontre.

« Je suis curieux de savoir comment tu comptes te rendre inoubliable au milieu de tout ces gens. » Sourire taquin, il ne me faut que quelques secondes pour que la chaleur dans mes joues grandisse, me forçant à détourner légèrement le regard. Je n’avais pas l’habitude de ce genre d’échange, de ces plaisanteries ambiguës, surtout avec un homme. Ou alors c’est parce que je n’y prêtais pas attention auparavant. C’était tout aussi possible. Il faut dire que je m’étais interdit tellement de choses, même simples, par pur sentiment de culpabilité, injustifié. Je croyais la jalousie de Dahlia normale, même si tout le monde avait tenté de m’ouvrir les yeux là-dessus, et pourtant, je me rends compte qu’il n’y a pas forcément de mal à plaisanter avec les gens, ni à accepter leurs compliments. Ceux du jeune homme ne me laissent d’ailleurs pas indifférents. J’ai l’impression d’exister soudainement après des mois à m'être fait discret, transparent, invisible. Surtout ici, où j’étais toujours resté professionnel et en retrait. C’était comme une lente et douce renaissance, dans tous les aspects de ma vie. Ce qui m’intimide un peu, ce que je ne veux pas montrer. Alors lorsqu’il se tourne vers la salle, je prends une grande inspiration pour essayer de faire le vide dans ma tête et ne pas laisser ses mots me rendre confus.

Sourire toujours sur les lèvres malgré tout, j’attrape un verre vide que je pose devant moi, commençant déjà à attraper quelques ingrédients pour lui préparer un cocktail, sans indication particulière, le jeune homme me laissant carte blanche, à partir du moment où l’alcool n’entrait pas la recette de sa boisson. « Zut alors ! On m'avait dit que mon sourire et mes beaux yeux seraient suffisants. » Moue légèrement boudeuse, ça m'amuse de propager quelques clichés et de faire croire qu’être mignon pouvait être suffisant dans ce métier. Ça devait surement aider pour certain, mais je suppose que ça ne serait pas suffisant si je venais à faire n’importe quoi. Je m’affaire à préparer sa boisson, l’observant du coin de l'œil par moment. J’avais quand même un peu la pression. Surtout que je me sentais observé. Cocktail terminé, je décore le verre d’un petit parasol en papier et d’une petite brochette de bonbons avant de le déposer sur le comptoir. « Voilà. Ananas, passion, grenadine et citron, pour te préparer à tes futures vacances dans les caraïbes. »

La franchise du jeune homme me fait sourire. Visiblement, il n’avait pas réfléchi à une technique particulière pour me séduire - si tel était réellement son but - mais ça l’empêchait pas de se montrer confiant pour graver son image dans mon esprit. Idée qui attise ma curiosité et mon intérêt. C’était la première fois que je me faisais vraiment draguer pendant mon service, et que j’étais aussi réceptif au charme de qui que ce soit depuis bien longtemps. Il se montre tout aussi franc lorsqu’il annonce songer à revenir, que le cocktail soit bon ou non. Quelque part, ça me flatte et je pense que cela peut se voir sur mes joues, mais en même temps, la pression gagne un peu de terrain. J’aimerais qu’il soit satisfait de son cocktail, qu’il n’ait pas l’impression d’être venu pour rien, et aussi pour qu’il puisse avoir conscience d’un de mes rares talents. Son sourire et son clin d'œil continuent de faire chauffer mes joues, ce qui me force à détourner la tête et à me concentrer sur ma préparation. Je ne sais pas si cela se voit vraiment, mais j’ai l’impression que mes joues se sont transformées soudainement en radiateur. Le verre déposé devant lui, je lui en annonce tous les ingrédients, espérant avoir fait le bon choix. J’encaisse rapidement sa commande avec la carte qu’il me tend avant de revenir vers lui. Mes yeux ne quittent pas ses lèvres du regard alors qu’il goûte à la fameuse boisson colorée. Le silence s’installe, je relève mes yeux vers les siens attendant sa réaction. La tension monte, c’était bien la première fois que j’étais si stressé par un cocktail que j’avais préparé, mais elle disparaît instantanément lorsque le verdict tombe. Un large sourire prend place sur mes lèvres illuminant mon visage. « Se pourrait-il que tu viennes de trouver ton bar favori dans toute la ville ? » Lueur taquine dans le regard, je m’appuie sur le comptoir. « En même temps, ça se comprend. Les cocktails sont excellents, et celui qui les prépare, adorable. Comment ne pas aimer cet endroit ? » J’en fais peut-être un peu trop mais ça me faisait du bien de retrouver un peu de confiance en moi, en ce que je faisais. « Tiens, ne soit pas surpris par le prix, j’ai fait un petit geste. » Je lui rends sa carte et son reçu. Bon, ce n’était pas énorme, mais c’était aussi ma façon de le remercier d’être venu, d’apporter ce quelque chose en plus à mon service. Même si j’aimais travailler ici, il est vrai que ça faisait longtemps que je ne m’étais pas amusé ainsi.

Le cocktail fait son effet, et la réaction du jeune homme, ma fierté. Même si je n’étais pas son créateur, barman mais pas mixologue, j’étais quand même content d’avoir réussi à cerner ses goûts et d’avoir préparé quelque chose qui lui avait plu. « Tout est dans l’harmonie et le dosage. On ne dirait pas comme ça, mais parfois, certains ingrédients sont faits pour s’accorder. » Tout comme les gens, mais ça, je me retiens de le dire devant lui, encore trop gêné d’assumer l’entièreté de mes pensées. Mais ça viendra peut-être un jour, si je continue de le voir. S’il revient. Ce qu’il a l’air prêt à faire, même si je n'ai pas encore marqué suffisamment de points pour faire du Lord Hobo son bar favori. « On en a plein, tu sais, des cocktails sans alcool. Je pourrais t’en faire découvrir un nouveau à chacune de tes visites. Continuer à te surprendre. » Ce que je ne me croyais plus capable de faire depuis bien longtemps, et pourtant, voilà que certains traits de mon naturel revenaient au galop. Son regard dans le mien, je souris, les joues encore rougies par son compliment. « Merci. » Que je prononce doucement, l'éloquence soudainement coupée par la timidité. Je le laisse siroter son verre, vérifiant autour de moi que je ne manque pas à mes obligations malgré tout. « Hm. Huit ou neuf mois je crois. Mais avant ça, je travaillais déjà pour un restaurant. » Et encore avant ça, j’avais enchainé bien d’autres boulots. «  Et toi, c’est ta combientième année à Harvard ? Tu te plais dans tes études ? » J’étais toujours curieux de rencontrer des étudiants, de comprendre ce qui les avaient poussé à faire ce choix. Pourquoi les études, un domaine en particulier, Harvard ? Pour la dernière, j’avais une idée de la réponse, car Harvard était sans conteste une des écoles prestigieuses du pays, mais pour le reste, chacun avait une raison qui lui était propre.