Tu peux m'couvrir? Je reviens dès que je peux. Et il avait foncé vers la porte de service, à l'arrière du bar, pour s'évader, pour s'amouracher d'un semblant de liberté, les responsabilités et obligations gardées captives de l'autre côté de la porte, là où le poids d'une vie misérable l'attendait. Dans un coin sombre, se nichait un collègue, cigarette au bec, la fumée lui lacérant les narines de son odeur âcre et de son goût cancérigène. La pause-clope est terminée, allez dégage. Grommellement qui s'échappe des lèvres abimées par le cylindre de papier qui se consume une fois au sol. Ouais, bah t'aurais au moins pu prendre le temps de le jeter dans un cendrier. Connard. À diriger inlassablement, sans raison valable, la colère d'une existence qu'il maîtrisait mal, voire pas du tout. Le gamin déguerpit, sans oublier de lui cracher sa haine au passage. Et Saem s'abandonnait dans la solitude, dans les bras d'une obscurité qui, chaque soir, l'enveloppait un peu plus, l'accueillant en son sein pour mieux l'y conforter, enfant brisé par la dureté du jour. Eh, te voilà Langford. Il l'avait reconnue sans la (re)connaître. Démarche mal assurée, errant à la manière d'un animal blessé à l'arrière du bar. Et il s'approche pour l'accueillir, la recueillir, telle une fleur fanée.

@Maï Linh Langford

encore un rejet. encore un. tu les accumulais. sans en comprendre la raison.  tu ne t'y attendais pas. surtout venant de sa part. alors que tout allait bien si entre vous. d'un seul coup, il a replacé cette barrière. t'empêchant de la franchir. te forçant à reculer. et t'éloigner. tu sombrais. petit à petit. t'enfonçant progressivement dans cette noirceur qui te tendait les bras. empruntant ce sombre chemin qui se refermait derrière toi. sans aucune issue de secours. sans aucune échappatoire. un appel à l'aide lancé à ce bel inconnu. sans espoir qu'il vienne à ta rescousse. qu'il vienne te récupérer avant que tu ne bascules complètement. définitivement. tu erres dans la nuit. le palpitant éreinté par tant d'émotions. t'avais fait l'erreur de t'ouvrir à lui. d'oublier un court instant ton passé. ces chaines qui te maintenaient prisonnière de cet amour tragique. désormais tout était clair. dans ta tête, dans ton esprit. t'étais vouée à être seule. vouée à être rejetée. à être abandonnée. fatiguée de faire des efforts. fatiguée d'essayer de comprendre. ayant simplement cette envie de lâcher prise. tes pas ont fini par te conduire jusqu'à lui. il t'attendait. ses bras ouverts, invitation à le rejoindre. c'est ce que tu fais, sans attendre. te réfugiant contre lui. tes mains qui viennent saisir sa veste. geste mal assuré. le corps qui tremble. "j'ai tenu ma promesse..." faisant allusion à ce pacte scellé entre vous. aller à son encontre dès que t'en sentais le besoin. dès lors que ça devenait vital.

@Saem Bae.

é c o r c h é s, d'une vie qui les malmène sans répit. Brûlés vifs, d'un poison qui les consume, qui se répand dans leurs veines abîmées par un coeur défaillant. Saveur acidulée de la haine, de l'abandon, du rejet et de la solitude, goût abject qui reste en travers de la gorge. Espoir, mot interdit, maudit par les (trop) nombreux échecs qui martèlent le quotidien, s'acharne à les détruire chaque fois un peu plus, à faire voler en éclats les dernières convictions d'un bonheur pourtant éphémère et illusoire :: coup de grâce. Et les barrières s'érigent pour mieux prévenir la chute, pourtant inévitable. Certains trouvent réconfort à les défier, à vouloir les franchir, certains s'ameutent à leurs pieds, tandis que d'autres, comme Saem, préfèrent s'en éloigner pour mieux se protéger.

Les bras monstrueux se referment sur la fleur fanée, des larmes s'échappent, quelques sanglots peut-être qui remuent le corps frêle, fragilisé par les aléas d'une vie (con)damnée. Défenses érigées ébranlées par les origines d'une peine qui lui échappe. Saem s'offre en bouée, se dévoile protecteur malgré sa dualité. Et tu as bien fait. Deux inconnus qui se heurtent dans une souffrance qui leur est commune, bien que différente. Affection qu'il transmet dans une étreinte chaleureuse, souffle sur elle la force qu'il aurait aimé avoir pour lui-même. Je préfère te savoir ici, qu'alcoolisée quelque part, au bord du gouffre. Gouffre métaphorique et littéral, parce que l'animal qui n'a plus rien à perdre n'hésitera pas à se sacrifier.

@Maï Linh Langford

douleur lancinante qui martyrisait ce coeur déjà bien ébranlé. fissuré depuis un an et demi. venant de te prendre en pleine face un énième abandon. t'avais arrêté de compter. le coeur qui saigne. qui crie au désespoir. qui ne supporte plus cette souffrance sempiternelle. tu t'enlises dans ce calvaire. sans aucun espoir de t'en sortir. aucun espoir d'espérer une fin heureuse. condamnée à cette solitude éternelle. les larmes qui coulent le long de ce visage dévasté. espérant qu'elles emporteraient avec elles ta peine. sentant poindre en toi tes derniers secondes de joie qui semblaient déserter ce corps malmené. les lippes réprimées, demeurant fermées. tes bras accrochés à sa veste. désespérément. seul réconfort que tu t'octroyais. contact qui t'apaisait, qui te rassurait. en quelques secondes. étreinte que tu prolongeais. l'envie d'être contre lui. et ne plus bouger. juste profiter égoïstement de cette douceur qu'il t'offrait. "j'ai envie que ça s'arrête..." tu lâches la voix brisée. poigne qui se renforce. priant pour qu'il ne recule pas. qu'il accepte de te soutenir. de t'aider à te relever. et t'empêcher de sombrer encore plus profondément. "je veux pas m'imposer ni t'embêter. mais là tout de suite, me lâche pas saem..." un supplice qui filtre tes lippes. une demande incongrue envers un inconnu qui venait à l'instant d'apporter en un court instant toute la douceur que tu recherchais.
@Saem Bae.

J'te lâche pas, Langford. il hoche la tête, parce qu'il la connaît, cette envie presque désespérée que ça s'arrête. c'est qu'il a flirté avec elle si souvent, jusqu'à vouloir la faire sienne, s'en amouracher, se perdre dans ses bras. cette impression que le monde s'écroule. la mort en âme-soeur, la vie en martyr, la survie en automatique. les perles salées qui s'épuisent au bord des joues, au coin des lèvres. coeur en lambeaux, les souvenirs terribles de ce qui avait été beau autrefois et de ce qui blessait maintenant, de ce qui existait autrefois, mais qui semblait inaccessible maintenant. il pouvait ressentir la détresse, comprendre l'agonie, les élans destructeurs, la d o u l e u r. derrière eux, des voitures fuient, des voix s'accentuent pour s'éteindre plus loin, au détour de la ruelle. et lorsqu'il sent que les sanglots s'estompent, c'est l'inquiétude qui vient s'imposer naturellement sur ses traits cernés, à la vue des grands yeux noisette voilés de larmes qui le toisent. il y reconnait sa propre souffrance, son propre combat, éternel et incessant. ses doigts viennent se perdre dans la chevelure ébène, geste délicat qui le surprendra après-coup. ils ne se connaissent pas, et pourtant, il parvient à percer les mystères de son âme d'un simple échange de regards ténébreux. Tant de souffrance... c'est une constatation, bien plus qu'une question. il n'attend guère de réponse, à une remarque aussi intime. deux inconnus qui se heurtent et se trouvent, car même dans le chagrin, on peut recueillir un brin de douceur.

@Maï Linh Langford