La douleur se réveille.
Les traits du visage se tirent pour décrire l’émotion, la douleur qui fait tressaillir les membres, le souvenir qui se ravive. Cette clavicule n’est pas soignée, pas complètement, il le sait et son corps ne cesse de lui rappeler tous les jours. Jamal soupire. Se demande pour combien de temps il en aura encore. Recalé à l’administratif pour quelques temps, il avait insisté pour revenir à la caserne, plusieurs semaines en Californie loin d’ici avait suffit à plomber son morale, l’ambiance des lieux et les collègues suffisent pour lui redonner un peu de baume au cœur malgré le deuil récent qui plane constamment, mais chacun et chacune en a conscience, ce métier est dangereux. Le bruit des sirènes, des chaussures qui grincent sur le sol du garage, les extincteurs qui claquent et les échelles qui brillent, oui, sa place est bien ici. Malgré les nombreuses années passées dans cette caserne, il est certain que sa place n’est pas ailleurs et que ce choix est parfait pour lui.

La douleur s’estompe.
Un mouvement de l’épaule pour s’assurer que tout va bien. Un semblant de sourire apparaît lorsqu’il se rend compte que son corps lui octroie une pause et ses yeux se replongent sur le dossier qu’il vient de prendre. « Killbane ». Indécis. Elle pourrait correspondre, elle pourrait s’intégrer, mais est-ce qu’elle aimerait vraiment ce métier ? Cette ambiance ? Cet affront à la mort de chaque instant ? Ce n’est pas une partie de plaisir pou lui que de traiter ce genre de dossier, mais quitte à devoir se taper les papiers, autant le faire bien et pour connaître une personne, le mieux est de la rencontrer. Il en avait parlé à sa collègue, Luz, qui avait été sans appel « Elle sera parfaite, faut juste lui donner une chance » Les mots font du sens, il avait eu cette chance à l’époque de pouvoir intégrer cette grande famille et ces idéaux alors que son propre casier judiciaire était loin d’être clean. Une personne, un mentor lui avait ouvert la porte, l’avait accueilli et inculqué ce sentiment si fort que l’on ressent à chaque fois qu’une intervention s’enclenche. Il ne pourra jamais le remercier assez. Une chance. Tout le monde peut en bénéficier, encore faut-il s’engouffrer dans les portes ouvertes.

14h15
« Hey le secrétaire ! Ton rendez-vous est là ! » Il déteste qu’on l’appelle ainsi, surtout dans cette période où il n’a qu’une seule envie, aller au combat contre les flammes ! Le regard noir en direction de son collègue en dit long, il ne dit rien, se limite simplement à lui jeter un t-shirt dans la tronche, seul objet qui lui tombe sous la main en sortant des vestiaires pour se diriger vers l’accueil. « Bonjour Clary, je suis Jamal ! On a échangé par téléphone hier. » La main se tend chaleureusement même si la carrure est imposante. Jamal tente un sourire pour la rassurer, lui montrer qu’il n’est pas un fou, ou pas trop. Un geste mécanique, sa main vient retrousser la manche de son uniforme. « Je te propose un petit tour dans la caserne pour te faire visiter les lieux avant de commencer l’entretien dans le bureau. » Même si la journée portes ouvertes a déjà eu lieu, voir cet endroit sans tout le brouhaha et lors d’une journée banale est sûrement la meilleure façon de se rendre compte de la situation. Ici, pas de bling bling, mais seulement la simplicité des personnes qui bossent ici.

- Bonjour.. Monsieur ? Ravie de vous rencontrer. En personne, je veux dire. Il a envie de lui indiquer que le prénom suffit, mais il n'ose pas, ce n'est pas sa tasse de thé l'administratif, le recrutement, les nouvelles recrues, tout cet univers et encore moins les entretiens. Le bureau de manière général ne lui apporte rien, lui, il a besoin d'être sur le terrain, mais la situation l'en empêche et il se doit de réaliser ses tâches. Il se souvient de Luz qui lui avait bien indiqué de bien se comporter, de faire bonne figure et de ne pas avoir de préjugés. Ce n'est pas son style, mais il n'est pas non plus bien accueillant au premier abord, peut être. Il fait un effort et tente un sourire chaleureux qui ressemble plutôt à deux lèvres qui se mordillent et terminent en moue peu adéquate. Ce n'est pas un homme qui a des difficultés en société, rassurez-vous, bien au contraire ! Il ne se sent tout simplement pas adéquat dans le rôle de prendre une décision sur l'avenir, ou non, d'une personne. " Enchanté Madamoiselle Killbane, je suis content que vous ayez réussi à vous libérer. " Montrer du respect, mettre de la distance, cela semble aider la candidate alors il se plie au jeu. ils font comment les capitaines d'habitude pour ce type de rendez-vous ? Il n'y a aucun manuel ou de mode d'emploi, un vrai challenge !

« Je te propose un petit tour dans la caserne pour te faire visiter les lieux avant de commencer l’entretien dans le bureau. »- Avec plaisir. Ca fait longtemps que vous êtes pompier ? Et avant qu'il ai pu répondre elle se confond en excuse. Jamal sourit. Franchement. " Ne t'excuses pas, tu as le droit de poser toutes les questions que tu veux ! " En plus de montrer l'intérêt qu'elle porte, la curiosité qu'elle a, cette première impression est très bonne et il prend plaisir à répondre. " Depuis Juin 2013, je vais bientôt fêter mes 10 ans à ce rythme. " Avec un mélange de fierté et de mélancolie avec ce coup de vieux qu'il se prend dans la face.

En traversant un couloir, ils arrivent dans l'espace principal où trône deux camions brillants et sur équipés, quelques collègues s'assurent que le matériel est opérationnel, une habitude que l'on prend rapidement ici. Si on est pas sur le terrain, on se prépare pour y aller. Alors que le Carreirao ouvre une porte d'un des deux camions, il invite la candidate " Monte ! Que tu voies ce que ça donne de là haut ! " Il attendit quelques secondes avant que la jeune femme beaucoup plus petite que lui se hisse jusqu'au cuir des sièges. " Je ne connais pas du tout la date de création de cette caserne, mais il faut que tu saches une chose. " Il marque un temps de pause. " Être pompier ce n'est pas un loisir que l'on fait de temps en temps, c'est un vrai engagement. Et je dois savoir si tu es prête à t'engager réellement. " Les yeux fixent le visage de la candidate. " C'est presque comme un mariage. " Une passion. Qui inonde et habite chaque parcelle, chaque goutte du sang qui traverse le corps.