5 Mai 2021 - 20h30

Mains sur les genoux, légèrement pliés, je prends une grande inspiration. Ok Anders, d'abord tu te calmes, puis tu réfléchis, ensuite tu le retrouves et après tu l'assassines. Bon plan ! Je me redresse et quitte la chambre, assez furax, pour faire le tour de la maison, une seconde fois, par acquis de conscience, même si je doutais que cela change quelque chose. Johan n'était nul part il y a cinq minutes, et nul doute qu'il n'allait pas soudainement réapparaître comme par magie. A tous les coups ce petit con était sorti sans prévenir et c'est pour cela qu'il ignorait mes messages et mes appels, pourtant suffisamment insistants pour les remarquer, même en étant occupé. Là c'était volontaire, et c'est ce qui me faisait le plus bouillonner. Qu'il veuille sortir n'était pas un problème. Ce qui l'était par contre était que je ne sache pas où il allait. Quant à la soirée que j'espérais passer tranquillement après une bonne journée de révisions et une bonne séance de sport, je pouvais lui dire adieu. Je remonte dans ma chambre, récupère quelques affaires dont mon casque pour me préparer à ressortir. J'irais plus vite à fouiller la ville en moto qu'en voiture pour le retrouver. En quittant la maison, je demande à tous ceux que je croise s'ils savent où il est, l'air de rien. Personne n'est véritablement certain de sa réponse, mais au moins j'avais des pistes.

Casque enfilé, moto chevauchée, je démarre et mets les gaz pour aller fouiller les lieux que l'on m'avait suggérés. Guidé par les indications de mon téléphone via une oreillette, je mets moins de temps que prévu pour arriver aux différentes adresses, les deux roues me permettant de gagner du temps lorsque la circulation est trop dense. Sans parler de ma tendance à rouler au-dessus des limitations de vitesse. Et tant mieux si je pouvais gagner du temps sur ce genre de choses, parce que trois bars fouillés plus tard, je n'ais toujours pas retrouvé cet emmerdeur de Petit Prince. Arrivé à la quatrième et dernière adresse évoquée par celles et ceux avec qui on partageait le même toit, je descends de ma bécane avec une aisance déconcertante lorsque le moteur termine enfin son rugissement. Casque en main, je rentre dans l'établissement, observe toute la foule présente, priant mentalement pour y distinguer la silhouette de Johan. S'il n'était pas là, c'était foutu, je n'arriverais pas à le retrouver. Alors je prends le temps, progressant entre la masse humaine, ne loupant aucun recoin avant de le reconnaître plus loin parmi un petit groupe. Je me rapproche, le visage fermé malgré le sentiment de soulagement en moi. Arrivé à sa hauteur, je pose ma main sur son épaule, exerçant une légère pression dessus. « Tu m’expliques ce que tu fous là ? »

@Johan de Monpezat

Avoir un garde du corps. Entre nous, c’est assez pesant. Parce que tout est épié puis remonté a la Couronne. On se sent oppressé, bien que nous ait éduqué avec ce doux rêve que la richesse rend libre. Hors, on le sait, ce n’est guère le cas. Cela dit, pour mon cas, j’ai hérité de mon - ancien - meilleur ami. Et clairement, je m’éclate à le faire tourner en bourrique. A sa première prise de fonction, j’évitais. Je ne voulais pas qu’il se prenne des reproches par la Couronne. On s’est rapproché, je me suis confié, fantasmé par moment - lui dites pas. Puis, durant mon « année de soins », j’ai moins vu sa frimousse. Enfermé, je me suis questionné. Lui qui savait tout, où était-il ? Pourquoi il ne bravait pas la Couronne pour moi ? Etait ce nombriliste ce genre d’exigence ? Possible. Il venait irrégulièrement. Jamais suffisamment à mes yeux. Puis il est parti et la rancune s’est logée en moi. Depuis, oui je me venge. Jamais rien de sérieux. Lui comme moi etions attendus au tournant. Mais je ne manque jamais d’idees pour le tourmenter - un peu. Invitation à aller boire un coup. Il se pourrait - par inadvertance - que je sois parti sans lui. Sans rien dire. Victime de mon jeu favori ; tu me trouves en combien de temps ? C’est donc posé à siroter ma limonade que je l’attends gentiment, prenant part aux discussions. Une heure plus tard, pression sur mon épaule. Voix tranchante qui se fait entendre. Je me defais de sa prise lui offrant un majestueux sourire. « Je bois une limonade fraîche et toi ? » Insupportable que j’etais. Voix qui s’abaisse et se rapproche de lui. « Tu as mis plus de temps que la dernière fois. Tu te ramollis. » Sarcasme. Il me retrouve toujours, je m’inquiète jamais. « Que veux tu boire ? » Innocence sur le bord des lèvres, comme si, je ne l’avais jamais emmerdé.

Tension qui avait fortement monté pendant la dernière heure, je pouvais sentir mon sang pulser le long de mes tempes, entendre les battements de mon cœur comme un bourdonnement dans mes oreilles. Être le garde du corps d’un prince n’avait rien de reposant, ça je le savais déjà lorsque j’avais signé, et je pouvais l’accepter. Ce que j’acceptais moins et ce qui me rendait déjà moins enclin à faire des efforts de souplesse, c’était que le dit Prince se foute de ma gueule et décide de jouer à cache-cache dans toute la ville. A croire qu’il n’avait pas conscience du danger, des conséquences s’il venait à lui arriver quelque chose. Et je ne parlais pas seulement des conséquences professionnelles pour moi, mais aussi de celles sur sa santé, la mienne, de ma culpabilité à savoir que mon meilleur ami avait été en danger sous ma surveillance. Non, vraiment, il y avait tellement de conséquences qui pourraient découler d’une telle négligence de ma part, mais lui ne voulait pas le voir, et préférait jouer au con. Ce qui intérieurement me faisait bouillonner. N’importe lequel de mes autres potes aurait pris un tacle pour cela, mais avec lui, je ne pouvais pas me permettre.

C’est donc de la façon la plus sobre possible que je lui fais comprendre ma colère, par une pression soutenue sur son épaule ainsi qu’un ton glacial. Une prise dont il se dégage avec un sourire narquois, insupportable pour moi dans ce genre de moment. Il était fier de lui, de m’avoir fait courir partout pendant une heure. Ses mots font grandir l’amertume en moi, de savoir qu’il comptait les minutes, mais pas pour les mêmes raisons que moi. Plus de temps que la fois précédente, c’était souvent le cas, un problème. Une heure pour intervenir, s’il lui était arrivé quoique ce soit, c’était beaucoup trop long. Il commençait à trop bien connaître la ville à mon goût, ce qui allait finir par devenir un problème si ça lui permettait d’échapper si facilement à ma surveillance. « Ça n'a rien de drôle Johan ! » Colère qui siffle entre mes dents alors que son visage est encore proche du mien. Suffisamment pour lui mettre un coup de tête si j’en avais eu envie. Si j’avais pu… « Tu sais ce qu’on risque si ça venait à se savoir ! » La couronne m’avait déjà écarté une fois pour avoir failli à ma mission, je ne pouvais pas prendre le risque qu’ils jugent que cela avait eu à nouveau lieu. Je ne voulais pas le perdre une nouvelle fois. « Rien du tout, on rentre. Maintenant ! » Mon regard se plante dans le sien et ma main se referme sur son bras pour lui faire comprendre que cette décision n’était pas ouverte à la discussion. Qu’il le veuille ou non, dans moins de cinq minutes, je l’embarquais et le forçais à quitter le bar.

Il est grognon le garde. Et je ne me départis pas de mon sourire. Déjà pour ne pas avoir honte en public. Mais il semble s'en foutre royalement. Je pose ma main sur la sienne, pouce caressant le derme. Le surprendre par ce geste. Et me dégager, du mieux que je le peux. Je sens bien que les regards se posent sur nous. Et je n'aime pas trop être dans la lumière. Alors, je me penche, chuchotant au creux de son oreille. S'il te plait, retiens toi et comporte toi comme un être civilisé. Je finis mon verre et je discute avec tout ce beau monde. Et ensuite, je dis bien ensuite .. Tu pourras jouer les rustres et m'emporter loin dans ma tour. Maintenant, va te détendre au bar, prends ma carte, ce que tu veux. Mais cesse ta comédie. Voix basse qui se fait malgré tout, tranchante. Je me détourne de sa personne pour tenter de reprendre la discussion.

Il éprouve un plaisir non dissimulé à me voir enrager de la sorte, et en dehors d'attiser encore plus ma colère, cela m'attristait. Parce qu'à une époque, on avait été ami lui et moi, suffisamment pour se faire confiance, pour essayer de faciliter la vie de l'autre au maximum. A une époque, il m'aurait expliqué ses plans pour ce soir, et je l'aurais laissé y aller, lui laissant bien plus d'espace que ce soir. Je me serais installé plus loin dans le bar, voir même, j'aurais attendu dans une voiture dans la rue pour lui laisser encore plus d'intimité. Mais désormais, monsieur préférait jouer avec mes nerfs, me faire tourner en bourrique. Ce qui marchait bien, trop bien, mais qui avait aussi de sérieuses conséquences sur mon humeur et ma santé mentale. J'étais constamment dans l'angoisse qui lui arrive un truc quand il jouait à ça, et l'angoisse, c'était dangereux chez moi.

Déstabilisé par son contact sur ma main, je le relâche en fronçant le regard. Ses lèvres se rapprochent de mon oreille. De loin, on pourrait suspecter des mots délicats, intimes, échangés entre nous, mais il n'en est rien. Ca n'a rien de privé, c'est juste qu'il s'amuse encore. Je regarde ma montre. « Tu as encore une heure. Pas une minute de plus. » A contre coeur, je suis bel et bien obligé d'abdiquer. Après tout, ce n'est pas moi qui donnait les ordres, je n'en avais pas le pouvoir. Comme je ne pouvais, en réalité, pas non plus le traîner dehors par la force sans provoquer un incident diplomatique. Et il le savait.

Sans plus insister, car je savais le débat clos, je le laisse retourner auprès de ses amis tandis que je me m'installe au bar, avec un café. Pas question de consommer de l'alcool alors que Petit Prince se baladait presque librement dans les bars. Je devais rester lucide, maître de mes capacités, en état d'intervenir si quelque chose d'inattendu ou dangereux survenait. De ma position, je continue de le surveiller du coin de l'œil, tout en repoussant poliment les femmes qui m'abordent pour me convaincre de leur offrir un verre. Je n'étais pas là pour ça ce soir.

FIN