Elle a ce sourire satisfait, lorsqu’elle sort de la bouche de métro, d’une Haiwee qui s’accoutume à cette vie, qui possède à présent des habitudes, ici. Même si ce qu’elle s’apprête à faire, elle ne l’a jamais vécu jusqu’à aujourd’hui. Elle marche ces quelques pas, guidée par la carte affichée sur l’écran de son portable, pour suivre le chemin de l’adresse qu’il lui a indiqué. Ses yeux jonglant, entre l’écran et l’envie de balayer les bâtiments, elle découvre encore, cette ville, elle l’adore, bien qu’elle soit sur Boston depuis deux ans. Trop rapide, le temps.
Et si elle voudrait son esprit apaisé, simplement heureuse grâce au fait de le retrouver, l’évidence est telle qu’elle éprouve et souffre au niveau de ses entrailles d'une appréhension mélangée à de l’excitation. Pour une fois, elle sait qu’elle joue avec le feu, qu’elle aurait certainement dû mettre ce chapitre dangereux derrière elle. Parce qu’il a piqué ses instincts sensuels. Mais ça a été plus fort le besoin de s'ancrer dans son réel. D’une puissance réinventée, de vouloir connaître qui il est. De s’y lier.

Alors c’est poussée par cela qu’elle a demandé aux quelques étudiants qu’elle côtoie. L’identité de l’homme appelé Xian qui se pourrait traîner dans l’Adam House un peu trop souvent. L’information sur le campus rapidement relayée, elle a appris son prénom et pseudo dans la foulée, avant que midi ne vienne à sonner. Et elle attendu comme une idiote pour poster. Afin de se manifester. A hésiter. Sans savoir. A ignorer les codes et les convenues qui se font lors de telles occasions. Passer pour la fille envieuse n’était pas dans ses intentions. Pourtant, il pourrait le croire, et ce à raison… Mais elle n’aura pas le temps d’y réfléchir plus que cela, car un « ding » sonore lui indique qu’elle est arrivée, et elle prend le temps de respirer, de poser son souffle sur une longueur d’onde inventée.

Bonne ou mauvaise idée… L’envie encore bien palpable à son sujet. Si non, elle n’aurait pas osé. Son doigt s’écrase sur la sonnette, et qu’un homme vient lui déverrouiller l’entrée. Une fonction qui doit lui être dédiée. Elle s’est galvanisée de ses idées d’amitiés, convaincue jusqu’à en déraisonner. Parce qu’elle l’a désiré, lui, en toute intimité. Alors elle se devait de venir pour y pallier. « Je suis une amie à Sheng. » elle prononce en un sourire, réalisant qu’ils ont un drôle de goût ses dires. L'employé l’accompagne après quelques mots jusqu’à l’ascenseur, boite dont elle a toujours horreur. Arrive finalement devant sa porte, elle remonte sa veste par le col, elle croit finalement qu’elles dégringolent, toutes ses belles paroles. Peut-être qu’elle est juste folle.     

Arrive alors, la délivrance de son passage dans l’ascenseur, elle en reprend son souffle, presqu’elle en a eu un haut-le-cœur, lorsqu’elle partira, assurément, les escaliers, elle empruntera. Et face à la porte qui est sans nul doute celle de son entrée, elle patiente sans pour autant s’annoncer, comme une biche qui vient de s’égarer. Pourtant ici, elle est différente, elle en prend petit à petit conscience, et elle n’est pas certaine que ça lui plaît.
Lorsque l’unique accès s’ouvre sur sa silhouette, et qu’elle esquisse un sourire, gênée, elle a perdu la candeur que par message elle se croyait maligne de prôner. Et pourtant, elle se doit de le reconnaitre, elle est tout bêtement contente d’être là. D’oser, une nouvelle fois.
Alors les prunelles de l’étudiant s’attardent sur sa personne, et son expression se fond en quelque chose d’un peu trop malin, en ce sourire taquin. Pas de robe, tu vois, c’est comme dans vos contes pour enfants, après minuit, tout est différent. « A défaut de coucher, tu mangeras bien avec moi, » elle plisse les paupières, le défie en un acte manqué, le jauge aussi, de haut en bas, comme si elle pouvait l'envisager, de coucher, selon la marchandise présentée, alors qu'elle l'a déjà ... aperçu dénudé. Et laisse glisser ses prunelles sur ses pieds déchaussés. En craque un sourire amusé alors qu’il se retourne pour l’inciter à le suivre à l’aide d’un ; « Allez » Et elle le suit, entre dans la tanière de l’ennemi.

Et parce qu’elle aime le fait qu’il le soit, Haiwee se défait de ses all star délavées, elle se positionne à égalité. D’un naturel qui la rend certainement plus belle, elle les délaisse, ses chaussures, dans l’entrée, retire le cuir de sa veste, pour ne rester qu’en débardeur foncé, repliant l’habit sur son bras, tandis qu’elle contemple l’habitacle, ça et là. Elle garde son blouson, en protection, contre son décolleté, autant que le silence conservé dans le fond de sa gorge qui ne veut se dénouer. Et la surprise fixée sur ses traits, s’aventurant dans son univers décoré. Bien qu’elle devine qu’ils se dirigent du coup vers la cuisine, elle a des envies d’explorer. De comprendre. De questionner. Non pas sur le repas, mais bel et bien sur tout ce qu’elle voit. Il y a des reliques, et des symboles, qui ne devraient être là « Comment tu … ? » as obtenu tout ça. mais l’interrogation ne s’achèvera pas, puisqu’elle relèvera les yeux vers lui, amarré à son plan de travail, elle en humidifie sa bouche de sa langue durant cette fraction de seconde pendant laquelle elle le détaille. « Alors, tu cuisines ? » Elle pose sa veste sur la table après s’être approchée à pas feutrés. « On apprend à se connaître, tu vois. » quelque chose dans ce goût-là. « Et ça, » elle désigne d’un doigt, sous verre non loin de là, de l’autre côté, un totem. « ce n’est pas à toi. » Car elle connaît la tribu amérindienne l’ayant pour emblème.      

« On dirait. » Il répond sans la faire attendre une seule seconde, et Haiwee se doit de mordre ses lèvres pour ne pas sourire, pour rester sur sa propre longueur d’onde, et ne pas se mettre à songer, au fait que ça pourrait lui plaire, sa façon de prononcer « on dirait », avec cette nonchalance, cet acte répété du couteau prolongeant son poignet.

Le regard praliné de l’amérindienne se défait de lui, tandis qu’elle observe les objets qui se trouvent dans son appartement, certains, elle saurait les qualifier, d’autres pas, elle s’imagine des civilisations qu’elle ne connaît, jusqu’à désigner celui qui fait écho à sa forêt. « Si » L’expression de la douce se fronce, prête à réfuter à le contredire, si besoin, parce qu’elle n’en démordra pas, même si ça ne vient pas des siens. On ne touche pas à la culture des amérindiens. Bien trop longtemps bafoués, pour n’en rester que des réserves dans lesquelles on a cru bon de les parquer. Et le couteau se plantant la ferait presque sursauter. « Mais tu as raison, il jure ici. » Elle incline son visage, quelques instants, le regarde, puis tout en le secouant, elle reporte son attention sur les reliques de valeur qu’il semble collectionner. Elle ne peut nier la différence, et plus encore que son appartenance, c’est pour cette raison que le totem lui plaît. Parce qu’il n’est pas comme tout ce qu’il a ramené jusque-là.

Alors il s’accoude sur son plan de travail, et dans ses yeux, elle pourrait jurer voir, l’étincelle qu’elle a su lire hier soir. « Tu veux le récupérer ? » En écho dans son esprit, elle entend encore sa façon de prononcer le fait que lorsqu’il agit ce n’est que pour gagner quelque chose. Comme il a cru bon de le faire au sujet de sa robe. « Ce n’est pas le mien. » Elle ne le revendiquera pas. Et elle a compris, oui, qu’avec lui, rien n’est gratuit. « Le notre comporte le Nunyenunc et un serpent. » Afin d’illustrer ses dires, Haiwee se décide à défier les limites de la proximité. Elle franchit ces quelques mètres qu’elle n’aura pas gardé bien longtemps comme distance de sécurité.

Ses doigts accrochent ce qu’elle porte autour du cou, qu’elle avait retiré hier, acte qui aurait certainement fait grincer les mâchoires de ses pairs. Elle se penche, trop près, face à lui pour le laisser observer le totem qu’on lui a donné, pour qu’elle ne se perde pas à les oublier. « Là, tu vois. » Elle souligne l’oiseau tonnerre de ses doigts, « Nunyenunc, » poursuit et tapote le serpent, « Le clan, » car son peuple s’appelle comme ça, pour eux, « et là, c’est moi. » Le troisième animal, « La colombe. » La paix, l’amour, et l’avenir de sa tribu, malgré ce que le monde est devenu. Toujours proche, le collier entre les doigts, elle relève les yeux vers lui, sans peur, « Alors, tu es un voleur ? » plus que pour la cuisine, là, elle cherche les nuances de ton cœur.       

L’instant se décompose comme les notes d’une mélodie tapées avec délicatesse sur un clavier. Elle en retient son souffle même alors qu’il détaille de ses yeux ce qu’elle garde précieusement contre elle, un bout de là-bas, pour ne pas oublier, qu’elle y retournera. Et bien qu’elle soit possiblement partie trop loin, au moins elle ne s’est pas mise à déblatérer sur le destin, puis à dire vrai, elle s’en fiche, elle ne regrette pas de lui avoir dit, de partager un bout d’elle avec lui.

Mais lorsqu’elle lui demande s’il est un voleur, elle n’a pas de mal à constater son expression soudainement changée, il en perd ses airs railleurs, se ferme en quelques teintes d’aigreur. Peut-être qu’elle a touché une corde sensible sans même le remarquer. Ce n’était, pour elle, pas une critique, pas un reproche, juste un moyen de déterminer qui il est, puisqu’elle n’a comme aspiration ce soir, que celle de l’apprendre, au-delà de l’attraction physique… De leur aparté dans cette chambre. « Je vais là où les autres ne vont pas. Je prends ce qui ne manquera plus à personne, ce qui est oublié. » D’accord. Il voit le monde, alors. Il explore. Il cède à ses envies tandis qu’elle la frustration la dévore. « Un verre ? » Elle hoche la tête, à ses réflexions encore…

Il se retourne, et elle aussi, sauf que son regard n’est plus le même sur cet endroit, à présent, elle s’essaie à imaginer tous les lieux qu’il a du parcourir afin de collecter tout ce qui peut se trouver ici. Mais entendant les verres s’entrechoquer dans son dos, elle se retourne pour le voir s’approcher à nouveau, parafant ces gestes par des mots. « Alcool de riz. De mon pays. J’espère que ça n’offensera pas Nunuqou.» Maligne, elle plisse les paupières, elle laisse glisser un sourire sur ses lèvres. « L’offenser, non. » Elle formule alors que ses doigts s’enroulent autour du shooter qu’il vient de remplir. « Mais, » elle débute alors qu’elle le soulève jusqu’à sa bouche entrouverte, « de ta part, je risque quoi ? » en buvant cette chose-là ?

Elle entend son cœur battre dans sa poitrine, parce qu’elle sait qu’elle ne va pas patienter d’avoir sa réponse pour, justement, s’y risquer. Comme hier soir, elle lui prête cette confiance aveugle couplée à son envie de vivre sans être effrayée. Parce que sinon elle sera passée à côté de tout, quand sa pénitence s’en viendra à s’achever. Alors elle boit, d’un trait, elle avale l’alcool qui se met à la brûler. Reposant le verre face à lui, à l’instant où son autre paume se pose sur sa poitrine comme si ça pouvait apaiser sa trachée. « La limite, c’est trois. » Verres, cela va de soi.       

« De moi. Rien. » Très bien. Même si elle n’est pas convaincue que ce le soit, très bien. Haiwee a beau ne pas connaître tous les codes et les ressentiments, elle sait, que son « rien » ne lui convient pas. Sans trop savoir où elle voulait, vraiment, en venir en lui demandant cela. Mais elle n’a toujours pas envie de réfléchir, elle voudrait ne pas analyser pour une fois. Elle se donne, juste un peu, le droit.

Et c’est dans cette optique qu’elle boit le premier verre, qu’elle se galvanise d’une confiance avec laquelle elle apprend encore à faire. Ses doigts accrochés à la peau de sa gorge tandis que l’alcool est en train de l’embraser, elle a l’esprit qui va certainement s’embuer. « Trois ? » Il répète alors qu’il prend à son tour le verre, le porte à ses lèvres, sur lesquelles le regard d’Haiwee vient à glisser. Cette bouche qu’hier elle a désiré, et elle se flagelle afin de mettre cette pensée de côté. Ou bien même l’éradiquer. A la faveur de ce mouvement d’hésitation, qui fait qu’elle laisse se détendre les traits de son expression. Jusqu’à ce qu’il boive, et que la langue de l’amérindienne se perd sur son inférieure, elle tente de réprimer son air mutin, tentant de voir si lui aussi essaiera d’apaiser le passage de l’alcool avec ses mains. Mais il n’en fera rien, conserve ses airs malins. « Trois ?  Sure ? » Faute de ces deux années qu’elle a passées ici, Haiwee, ses limites, elle les a appris. Elle se sait en capacité de supporter trois cocktails, et bien qu’elle ait compris que l’alcool de riz ce n’est pas pareil, elle l’invite, d’un mouvement de ses doigts qui la quittent, à remplir à nouveau, le verre de son liquide aussi limpide que de l’eau. Presque au point de lui souffler « ne me sous estime pas », mais elle préfère mordre le bout de sa langue car elle sait que ce ne serait que de l’esbrouffe dans ce cas. « Trois. » à son tour de répéter, d’acté la suite de la soirée.

Tandis qu’il exécute sa volonté, elle garde ce sourire léger, et se décale un peu sur le côté, elle observe ce qu’il avait entrepris avant qu’elle ne fasse irruption chez lui. « Et on mange quoi ? » elle demande en lui lançant une œillade, de biais. Et sous le son de sa réponse elle vient récupérer le verre, elle y enroule ses doigts, elle ne le boit pas encore, elle laisse le droit au premier de faire son effet, avant de demander, parce qu’elle ignore combien elle peut, dans son univers, s’y infiltrer, « Ca te dérange ? » si elle prend le temps de les observer, toutes ces reliques qu’il a récupéré, de sa main libre, elle souligne vers ces dits trésors, son intérêt. « Enfin, » elle réalise, « t’as besoin d’aide ? » après tout, elle a toute la soirée pour lui demander les détails des endroits qu’il a exploré. Le monde, elle le veut si fort, Haiwee.