Before we all go under and fade out again | @Clary Killbane
Elève improvisée que tu représentes, je me surprends à être à l’aise en ta compagnie, bien que tu ne sois pas du tout de la même formation, ta curiosité et ta rigueur me suffisent amplement. « Tout à fait. Et l’important est de préserver une certaine intégrité du corps. » Je n’oublie pas les proches qui récupéreront cet enfant et cette enveloppe qui sera nécessaire à leur deuil. Chacun a son rôle à jouer dans la partie et je m’efforce de préserver le mien. Bien des humains vivent avec certains fardeaux, celui de perdre un enfant est sans doute le pire. De mon côté, je suis plutôt rassuré de ne pas avoir engrangé cette responsabilité. « On ne vit plus, on survit seulement. » Mentalement, je me repasse certaines situations, et comme une certaine lumière a pu s’éteindre des prunelles adultes qui ont vu perdre leur enfant. Il y a un mal indicible mais qui transparait. Fardeau silencieux et qui encombre, dont les autres s’apitoient volontiers. Mais après quelques temps, le mal est insupportable, on ne doit plus l’évoquer, alors c’est en silence que le poids s’abat mais que la traversée continue de s’effectuer. « Ah oui ? » Ébauche de sourire qui vient révéler mes canines. La lueur se veut amusée dans mes orbes, elle a souvent pour effet d’être un brin effrayante. On ne prête vraiment pas d’humour à mes apparences. Mes préférences allant vers un certain sarcasme que peu peuvent véritablement comprendre. Mais je ne doute pas que des surprises, tu en aies à révéler oui. « Par exemple ? » Allez, poussons un peu la confidence. Délions l’absurde dans la gravité, car nous professionnels mortuaires sommes capables des pires outrages en côtoyant toute cette misère, les limites ne sont pas aussi évidentes que pour le commun, elles s’avèrent bien plus ténues. « Avant ça, j’ai été médecin militaire, spécialisé en traumatologie. » C’est le hasard de mes expériences qui m’avaient conduit vers la médecine légale, mais je gardais toujours un certain goût pour ma première spécialité. Mon goût prononcé de solitude, m’avait tout simplement poussé à choisir durablement les morgues. On n’est pas embêté par les corps dépourvus d’âmes, elles ne font que revenir parfois dans vos rêves. Tout en discutant, nous poursuivons avec minutie l’examen, qui vient confirmer l’hypothèse des fractures. « Effectivement, il a été attaché. » Et le fait de ne pas pouvoir révéler l’ensemble des lésions est pour le moins frustrant. « Je ferai le lien. » Puisque nous sommes dans l’unité médico-judiciaire, mon compte-rendu passera directement aux autorités. Je poursuis ensuite l’examen, en examinant l’abdomen puis les différents orifices, malheureusement mes craintes se trouvent être confirmées. « Il y a eu des violences sexuelles. » Et j’effectue ainsi des prélèvements qui pourraient aider à trouver des pistes sur le tortionnaire. L’histoire que révèle ce corps est diablement sordide et dans le cadre de mes activités, affreusement banale en même temps. Enfin, j’inspecte le bas du corps, qui ne révèlent rien de particulier. « Nous allons procéder à l’ouverture du corps. » Et cela peut être compliqué à observer, alors je préfère prévenir.   

Before we all go under and fade out again | @Clary Killbane
 Je n’avais pas prévu d’être accompagné cette nuit. Et pour quiconque me connaît un minimum, trouverait la chose étrange, presque incongrue. Personne n’ose vraiment se glisser à mes côtés, sinon mes internes et parce qu’ils y sont obligés. Mais je suis un homme qui aime enseigner, bien que mes manières puissent paraître rudes. Elles ne sont que le reflet d’une éducation trop brutale. Cette jeune ambulancière éveille chez moi quelques relents de douceur, pour le moins inattendus. Peut-être qu’une partie de moi aimerait être comme elle. Porter encore une certaine candeur, une douce inconscience au cœur, mais surtout une certaine part de lumière. Ma part vampirique est irrémédiablement attiré par cette douce et enveloppante chaleur qu’elle transmet sans même le savoir. « De ne plus vivre ? » Je n’ai jamais vécu pour ma part. Ou alors trop vite, trop fort, trop brutalement. Les quelques parenthèses plus douces m’ont été arrachées, interdites. Tout en poursuivant ma démarche, je t’écoute me donner quelques détails sur ta personne. Mince sourire qui vient éclairer furtivement le marbre de mes traits. « C’est ridicule. Ne peuvent-ils pas adapter le véhicule ? » C’est même tout à fait discriminant, d’un regard, je viens parcourir ta silhouette, certes pas très haute mais pas non plus si petite. « J’aime la précision que requiert la médecine légale. J’aime aussi ne pas avoir à interagir avec les patients. » Trop d’humanité, c’est trop de violences en moi qui déborde. C’est réveiller mes démons mais aussi mes bien plus indicibles failles. Pour un homme qui n’a jamais vécu, quoi de mieux que la compagnie des morts ? « Oui l’inspecteur sera sans doute arrivé quand nous aurons terminé. » Ils connaissent bien les rouages et le fonctionnement de notre unité. Bien que je ne sois pas le plus aimé, je suis apprécié pour la qualité et la rigueur de mon travail, cela suffit. Quelques-uns sont cependant devenu des amis. Des Loups solitaires comme moi en somme. « Cela va lancer une alerte et j’espère qu’il n’y aura pas de modes opératoires similaires. » En général, ce genre de tordu aime reproduire ces horreurs. « Elle a tout à nous apprendre. Elle révèle tous les mystères. Elle règne sur nous mais elle nous apprend. » Et c’est aussi pour tout cela que j’avais choisi cette spécialité. « Nous sommes tout de même loin de votre volonté de vouloir sauver des vies. » Rictus provocateur pour ces héros dépourvus de capes mais que tu ne semblais néanmoins pas vouloir camper.

Before we all go under and fade out again | @Clary Killbane
 Candeur qui s’échappe de tes pores. Je ne sais pas quoi penser de ta volonté de toujours voir le meilleur parmi l’horreur. Sans doute que je t’envie quelque part. Pour moi, le monde a toujours été plus sombre que lumière. Quelques halos par ci, par-là, auxquels me raccrocher, mais subsiste cette croyance tenace que je ne suis pas fait pour les nuances les plus claires. De l’existence, je n’ai toujours envisagé que les plus sombres misères. Mes prunelles claires s’égarent un instant sur tes traits encore jeunes, emprunts de cette force de toujours voir le meilleur. Comment fait-on pour voir le monde à ta façon ? « Quelles sont les choses les plus belles pour vous ? » J’aurais des difficultés à en faire part de mon côté, mais il y a bien quelques personnes, quelques situations que je puisse évoquer. « Alors tant mieux si le volant vous est interdit. » Si c’est pour les gens que tu continues à exercer ton métier, répandre cette lumière, cette envie de vivre. C’est à l’opposé de mes propres choix. Les sous-sols métalliques et aux lumières criardes ont enterré ma carcasse depuis longtemps. Je leur ai préféré les ambiances poussiéreuses et volcaniques de ma vie de militaire. Les gens, je ne sais pas faire. Il n’y a que dans la mort que je puisse les comprendre, incapable d’être chaleureux, de prononcer les paroles adaptées face à la détresse. J’ai toutefois l’aplomb nécessaire pour gérer la lourdeur des drames, les horreurs quotidiennes. Personne ne peut se vanter d’avoir vu mes larmes, ni même un quelconque sentiment, lorsqu’il s’agit de mon travail. Certains membres de mon équipe avaient même pris des paris sur ma nature humaines. Ces potins bassement humains m’avaient vaguement amusé mais ma priorité n’est pas ici. Je suis là pour aider la justice à avancer, pour nourrir mes propres ambitions, celle de m’élever et clamer une indépendance qui m’avait trop longtemps été refusé pour me ranger dans la tyrannie paternelle. « Et pourquoi pas ? L’acoustique est bonne je pense, même si je préfère le silence. » Vague rictus qui vient animer mes babines. Il peut être compliqué de percevoir les nuances d’humour sous mon froid sarcasme. Mais tu n’en as pas l’air de t’en émouvoir, ni même de t’en offusquer et cela me suffit. « Tout le monde n’est pas doué pour écouter. Voyez-vous, je le suis bien plus pour disséquer, analyser. » Faire parler les corps et les chairs mortes, plutôt que les eaux, la chair, le sang, surtout le cœur. C’est trop vivant. Trop incontrôlable, mais surtout trop pesant. « Il faut simplement reconnaître ce avec quoi on est à l’aise. » Et je n’avais eu aucune difficulté à le faire, là où nombre de mes confrères étaient simplement incapables de gérer les gens, mais s’obstinaient quand même. L’examen se poursuit naturellement. « J’espère que vous les aiderez alors. » Parce que j’en suis moi-même incapable. Leur apporter des réponses, sûrement, mais pas une ombre de réconfort. De façon surprenante, notre duo s’avère complémentaire. Prenant un scalpel, j’incise finalement le corps afin de m’attaquer aux organes et voir comment ce corps peut me parler de l’intérieur. L’odeur qui s’échappe est nauséabonde, parlante de la putréfaction en cours et difficilement supportable pour le commun. J’y suis pour ma part habitué. Je ne remarque rien de notable, à cette inspection, si ce n’est un volume trop important du foie, révélateur de certaines matières toxiques assimilées par l’organisme. Nous continuons l’autopsie par quelques échanges, quelques commentaires mais dans le silence la plupart du temps. Jusqu’à venir le moment de refermer. « Vous voulez recoudre ? » J’imagine que tu ferais cela avec un certain soin, une précision plus humaine. Bien que je ne sois pas doué pour parler, c’est avec une minutie obsédante que je m’efforce de rendre le corps aux thanatopracteurs, tenant à assumer parfaitement ma partie de travail, respectant celles des autres par mes gestes, plus que par mes mots. C’est à mes yeux, bien plus valable.

Before we all go under and fade out again | @Clary Killbane
Parsème quelques miettes de bonheur sur la froideur de mon derme. Rappelle-moi l’indicible, ces quelques bribes que j’ai pu toucher des phalanges mais jamais vraiment connaître. A quoi cela ressemble la douceur ? L’absurde inattendu de la joie ressenti là, dans le vide du sternum. Mes absinthes contemplent silencieusement tes expressions plus enfantines, douces à l’évocation de ces simples bonheurs. Partie de moi plus avide, presque animale qui envie silencieusement ton apesanteur à ces simples mots. « Ce sont des ressentis oui. Kinesthésie au premier plan. » analyse scientifique de choses qui ne peuvent tout simplement l’être. Ces choses-ci m’échappent. Mes propres sensations ne sont rattachées qu’aux violences, aux chairs douloureuses, au sang glacé par l’effroi, bouillonnant simplement de colères, souffle souffreteux de l’ardeur des mortiers, gifle acéré des explosions, et le ferrailleux du sang en bouche. Les cris, les coups. La solitude surtout. Point de caresses, point de soleil, une seule obstination lunaire à mes errances. « Vous arrivez tout de même à maintenir les apparences et à ne pas tourner de l’œil. » C’est déjà une prouesse à laquelle la moitié de mes internes ne peuvent pas prétendre. Suffisamment pour te démarquer sous mon regard. Mon sort impitoyable s’avère plus clément, étonnamment, en ta présence. « Incroyable non, mais surprenant oui. » dis-je tout en effectuant la continuité de mes gestes, mes sourcils s’arquent dans la manœuvre. « Je n’apprécie guère la compagnie habituellement. » Aligne les pièces mystérieuses du puzzle, comprend par cette simple formulation que ta compagnie est somme toute appréciée dans mon antre. « La vie n’offre que rarement des miracles, elle est bien plus généreuse lorsqu’il s’agit de malheur. » Si on me dépeint comme impitoyable, attendez de vous confronter au sordide de l’existence. Elle est clémente parfois à l’aube de nos jours, mais elle révèle toute sa noirceur à mesure que le temps passe. Rappelant à chacun de nous, l’inéluctable sort. La solitude mordante. Autant s’y préparer de suite, ne pas être surpris, tel est ma règle. Je n’ai jamais rien attendu d’autre. « Avoir des éléments concrets, les aideront à avancer sans doute. Il y aura un but à atteindre, une énigme à résoudre. » Presque une consolation que cette mort ne soit pas le simple fruit d’une idiote chute. Ainsi est la vie, elle donne aussi vite qu’elle reprend, en un clignement d’œil. « Vous vous débrouillez bien, vous pouvez toutefois serrer davantage les bords. » Cet enfant n’aura plus mal, autant s’appliquer sans prendre garde à une possible douleur, elle sera ainsi égale aux autres, un maigre fantôme témoignant de l’absence de vie dans ce corps. Ta voix s’élève entre les murs froids et métalliques, mélodie un brin mélancolique qui vient dépeindre l’absence, la solitude, mais aussi le soutien doux d’une autre présence. Soutien auquel je n’ai jamais voulu prétendre, mais le moment est à la fois morose et tendre. Reconnaissant le mélodique de ton timbre, moi qui l’applique obstinément une fois l’aube venue au manichéen de mes touches. Secret gardé pour les visages humains, cette part plus douce qui vient hanter mes jours, pour faire oublier le vide de mes nuits. Cet art pratiqué loin du courroux paternel, que ma mère avait tacitement soutenu. Seul courage dont elle avait su faire preuve. Il m’a toujours détesté, il ne m’en haïrait que plus, et ainsi sa honte s’était marquée dans la glace de mes chairs. Emprise à laquelle je n’échapperai jamais. « Bien. Je vous laisse aller parler aux parents. Vous pourrez les envoyer dans mon bureau ensuite Clary. Merci pour cette collaboration. » Formel toujours. Muraille obstiné face à ces pulsions plus humaines.