Après plusieurs mois, me voilà de retour à Boston, mais cette fois-ci, je ne suis pas là juste pour quelques jours. J'ai acheté une maison sur Newbury, mais je dois patienter le temps d'avoir les clés. En attendant, je passe par le bureau du Doyen. Je lui dois des explications après mon départ précipité en début d'année scolaire, mais je dois aussi leur rendre les livres que je n'ai jamais pris le temps de leur rendre.
L'entretien avec le Doyen fût plus long que long que prévu, assez fastidieux et plein de reproches. Ce que je comprends parfaitement pour une université aussi prestigieuse qu'Harvard. Pour une fois, je ne suis pas montée sur mes grands chevaux, et je l'ai laissé mener la discussion. La route prise avec mes livres, direction le bâtiment de la médecine. Je ne peux m'empêcher de caresser mon ventre bien arrondit, trop arrondit en fait, début du huitième mois, forcément que cela se voit bien comme il faut. Je raconte à mon bébé, chaque coin où j'ai des souvenirs, les bons comme les mauvais. J'espère aussi qu'il y a des choses que qu'il ne fera jamais dans ta vie, qu'il ne reproduira pas les mêmes erreurs que sa mère. Je marche lentement, je prend le temps de me balader au sein de l'université, je passe devant la pforzheimer, mon ancienne confrérie, le sourire aux lèvres. Enfin ça faut le dire vite, je m'arrête un instant, prenant appuie contre un arbre. Quelques douleurs, rien de grave. Je sais que je prend des risques, mon col est légèrement ouvert, mais je ne peux rester allonger à attendre que le temps passe jusqu'à la fin de ma grossesse, même pour la santé de mon bébé bien que je veux le garder à l'intérieur le plus longtemps possible.
Je reprend ma route, quelques minutes plus tard, pour enfin être dans le bâtiment d'études de la médecine. Mes meilleures moments clairement. Je passe par le secrétariat et je rend tout : livres, badge, et signature sur des formulaires comme quoi je n'appartiens plus à l'université en tant qu'étudiante. C'est fini.
Nous sommes dans l'heure du midi, les étudiants pour la plupart sont partis manger. Et moi je profite d'un moment d'absence de la secrétaire pour me faufiler dans une salle d'amphithéâtre pour m'asseoir, profitant d'un dernier instant de ses sièges qui font mal aux fesses quand on y passe une après-midi complète mais des cours des plus passionnants à écouter. Je regretterai peut être un jour de ne pas avoir continuer, seulement j'aime ma vie aujourd'hui. « Je te promet mon bébé qu'un jour tu ressentiras la même joie que moi j'ai eu à m'asseoir sur ses sièges à côté de ton père. » William et moi étions dans la même promotion de médecine. Je me perds dans mes souvenirs ne faisant pas attention au temps qui passe, les mains toujours sur mon ventre, bébé me donnant des coups.

Je me dirige avec un certain entrain jusqu'à l'amphithéâtre où je vais passer le plus clair de mon après-midi. Mon sac en bandoulière blindé de bouquins - en braille notamment - je sais pertinemment que je suis très, très en avance mais je n'en n'ai cure. Je veux pouvoir pénétrer dans l'amphi et choisir ma place sans avoir à stresser comme un malade. Le bruit brouille tous mes repères, et je me prends cinquante fois les pieds dans les escaliers de l'immense salle sonore lorsque je ne suis pas autant en avance comme aujourd'hui. Dans le silence le plus total je pénètre dans ce lieu, un sourire de contentement sur mes lèvres. J'allais descendre progressivement lorsqu'une voix féminine parvient à mes oreilles, me stoppant net. J'ai beau réfléchir, chercher, je ne la connais pas. Difficile de bouger sans lui faire peur - le parquet de ces maudits amphis est douloureusement sonore - aussi je demeure droit comme un i pendant une à deux minutes. J'ai l'air de jouer les stalkers sur le retour et cet état de fait me dérange... c'est probablement la raison pour laquelle je me racle discrètement la gorge avant d'avancer, précautionneusement, dans les marches. Je voulais pas espionner... que je lance comme ça, d'une voix neutre, contraint de descendre marche après marche à la lenteur d'une tortue de mer sur le sable. Je suis désolé, je peux pas voir où vous êtes. Moi c'est Simba, je peux essayer de partir pour vous laisser ? Ma franchise m'étonne moi-même. Je ne sais même pas pourquoi j'en fais preuve aussi naturellement, sur cette vérité que je cache pourtant à tous mes proches depuis si longtemps...

Perdue dans mes pensées, caressant tendrement mon baby Prince, je n'entends pas de suite que quelqu'un arrive dans l'amphithéâtre. C'est quand j'entends ce râlement de gorge que je tourne enfin la tête vers cette personne. Sur l'instant, je reste muette, ça fait tellement longtemps que je ne t'ai pas vu Simba. J'aurai aimé répondre que ce n'est rien, ou alors juste ne rien dire et m'éclipser, mais c'est déjà ce que j'ai fait il y a plus d'un an et demi, quand j'ai arrêté de te donner des nouvelles. Cet été 2019 aura été marquante pour nous deux, même si ça n'a jamais été sérieux entre nous, on a passé de long moment ensemble d'amusement très agréable. Quand j'y repense... mais tout s'est compliqué ensuite avec Ross, mon père, et ensuite William est entré dans ma vie. Il n'y avait pas de place pour toi à ce moment là dans ma vie bien trop complexe. C'est quand tu me demandes si tu dois laisser la place, je comprend qu'il est temps de répondre. « Non reste tu as ta place plus ici que moi. » Je suis d'ailleurs assez surprise que tu me parles comme à une étrangère. Je me souviens de tes soucis de santé, de ta malvoyance, mais peut-être que tu as préféré ne pas te souvenir de moi. « C'est Camille, Simba. » Je me présente comme si je voulais remettre les choses dans leur contexte, est-ce réellement nécessaire ? Je fini par me lever, je ne sais trop quoi faire, peut-être que tu mérites des explications. Mais à l'époque, j'étais beaucoup plus jeune et égoïste, seule mon monde m'importait. Même envers mes frères, j'ai été odieuse. J'avais cette impression constante qu'en tant que Princesse tout m'était due, mais aussi que personne ne pouvait comprendre ce que je pouvais vivre avec cette pression qui émanait autour de moi. En gros, j'étais une autre personne. « Je vais te laisser tranquille si tu veux. » Bon je pourrais aller plus vite pour sortir, si une boule de dix kilos ne pesait pas sur mon ventre, et je dois reconnaître que mes pas se font lourds et bruyant également. En même temps, il faut dire que ce vieux parquet de l'amphithéâtre n'a jamais été très silencieux, il était impossible d'arriver en retard discrètement à un cours ici. Encore un bon souvenir ici.