L'anniversaire de Bree est passé et pourtant, au mois de janvier je n'ai pas été en mesure de lui acheter un cadeau. Trop de factures à la bourre, pas assez de shows... résultat, je me suis mis en quête de me vendre pour un show privé spécial et ô bonheur, je n'ai même pas eu de mal à en trouver un. Soirée privée étudiante en quête d'un danseur strip, je n'ai eu qu'à faire une démo rapide, à sortir mon sourire de lover et bim, affaire pliée. Pas besoin de déguisement pourri du genre flic ou pompier, je suis venu nature peinture, cheveux bouclés détachés, mitaines de cuir au main. La musique commence dès mon arrivée et, comme j'en ai le secret, je ne mets pas dix secondes avant de faire crier ces demoiselles... tellement facile. Un mouvement sexy et la culotte prend son indépendance ou porte plainte pour abus de non pudeur... facile. Comme à chaque fois, je donne le change, en m'accrochant au fait que je fais tout cela pour ma petite sœur. En soit, rien de bien complexe, surtout lorsque l'on ne distingue plus que des ombres ternes, sans couleurs. Hélas pour moi, j'entends une voix féminine percer la musique, et me donner une info à laquelle je ne m'attendais pas. Bordel de putain de merde que je jure en gaélique écossais afin de n'être surtout pas compris de quiconque. Je demande une pause avec mon plus beau sourire, et la reine de la soirée me l'accorde si je lui offre un baisemain. S'il n'y a que ça pour vous servir, Ma Dame... Avec ma voix de lover puissance mille, je la fais grimper au delà des nuages d'un effleurement de lèvres. Qu'est ce que ce serait si je faisais autre chose... mais en attendant, j'ai cinq minutes de paix. Suffisamment pour prendre Nadia par le bras et l'emmener au calme. Tu me fuis maintenant ? C'est nouveau, ça vient de sortir ! Un brin agacé je la lâche automatiquement, sans un commentaire sur sa couleur de cheveux. Et pour cause... je serais bien incapable de la voir.

Nadia, tout dans la dentelle - et c'est probablement la chose que je préfère chez elle - me crache au visage sans gant ni retenue. Fut un temps où je l'aurais extrêmement mal pris, mais pas ce soir. Je sais éperdument qu'elle a raison, que je pourrais simplement accepter cette main tendue... mais mon orgueil m'en empêche. Alors je soupire, non pas d'exaspération, mais plutôt d'impuissance. Ma situation n'est aucunement enviable, et je ne la souhaite à personne. Je croise donc les bras contre mon torse, un doux rictus prenant place contre mes lèvres. Je suis payé pour être maté justement, t'es au courant ? Ce genre de constat glisse sur moi sans obtenir aucune emprise, et ce depuis longtemps. Mais la sollicitude de Nadia fait fondre mon petit cœur entouré de glace ; ma meilleure amie sait y faire. Elle sait même exactement ce qui va me toucher ou même me faire réagir... en bien ou en mal. Et alors quoi, tu vas devenir mon portefeuille ambulant ? Putain Nadia, on en a déjà parlé ! Je ne supporte pas l'idée d'être redevable de quelqu'un. Quand bien même tu peux payer tout ce que moi j'ai du mal à payer, je refuse. Je ne sais pas si je pourrais te rembourser un jour et tu ne connais pas le monceau de factures que j'ai en retard... Et merde, vendu ! Tant pis, je donne le change en soupirant soigneusement. Mes factures d'hôpital s'amoncelle à cause de ma maladie, et bien que je sois boursier, il existe toujours des frais annexes dus à ma nouvelle scolarité havardienne. Je suis fatigué de tout ça... de compter sou à sou, de ne pas pouvoir offrir à ma petite sœur la belle vie qu'elle mérite. Ça me bouffe littéralement de l'intérieur. Ce show, c'est pour offrir à Bree un cadeau d'anniv' digne de ce nom ! Sans doute trouvera-t-elle mon ton sec et distant, mais je ne peux plus cacher ces choses à Nadia. Pas à ma meilleure amie...

Je connais suffisamment Nadia pour savoir que mon intervention risque de l'agacer. Non pas que je ne souhaite pas qu'elle rétorque, mais plutôt que ça me rends malade de dire non à une main tendue. Je sais pertinemment que ma petite sœur mérite mille fois mieux que le taudis dans lequel nous vivons actuellement... et putain, qu'est-ce que j'ai hâte de devenir officiellement médecin afin de dire adios à cette vie de merde. Tu lâches jamais, hein ? que je rétorque, plus amusé qu'autre chose. Nadia ne me regardera pas par gaîté de cœur, mais seulement dans le but ultime de m'offrir un pourboire que je ne pourrais pas refuser. Tout travail mérite salaire après tout, n'est-ce pas ? Ce n'est pas faire preuve de pitié ou de charité qu'encourager quelqu'un qui s'évertue à gagner sa vie. Honnêtement ou pas, là n'est pas la question. J'esquisse donc un clin d'œil amusé, acclamé par la foule féminine n'attendant qu'une chose : ma prestation. La musique commence, et le show prend place instantanément. Je perds la vue, oui, mais mon corps bouge avec aisance, sensualité et sex-appeal. Plusieurs demoiselles hurlent, certaines montent même sur la scène pour mieux être raccompagnées par ma personne en dehors. Je joue, m'amuse, donne le change. On pourrait croire que j'ai fait ça toute ma vie et que je pourrais continuer à le faire jusqu'à ma mort... mais non. La lumière tombe, la musique cesse et le charme se rompt, me laissant non pas essoufflé mais simplement en sueur. Un sourire plaqué sur mes lèvres, j'accepte une bouteille d'eau gentiment offerte par l'une des spectatrices, n'ayant cependant qu'une intention : retrouver Nadia. Je ne voudrais pas que ma meilleure amie pense que je la fuis comme la peste, car rien n'est plus éloigné de la vérité. Je devine plus que je ne vois sa longue chevelure, bien que la couleur m'échappe encore. Quelques rires çà et là me font comprendre que, d'ailleurs, quelque chose se passe avec ses cheveux... mais quoi ? Impossible de le dire. Je ne vais pas te demander ce que t'en as pensé, pas envie que tu me frappes ! que je me moque gentiment en lui donnant un petit coup de coude, non sans reprendre la seconde d'après : tu m'expliques pourquoi y'a des grognasses qui se foutent de ta gueule ? Sans le savoir, je me vends. Je vends ma cécité grandissante. Mais il est trop tôt pour regretter ma question.