T'avais pas super bien dormi – ou tu t'étais pas super bien réveillé, tu savais pas vraiment. Mais tu te sentais fatigué, et totalement ailleurs. T'avais pas la tête à te concentrer sur les gens, les commandes, le reste. Tu voulais rester au fond de ton lit et attendre que le temps passe. Sauf que tu pouvais pas te permettre de manquer une journée de boulot. Ne pas avoir envie, ce n'était pas une bonne excuse et t'étais pas sûr que ton patron accepte et te pardonne. Tu ne voulais pas perdre ta place juste parce que t'étais fatigué – tout le monde était fatigué. Donc t'étais venu, t'étais là, derrière le comptoir. T'avais enfilé ton tablier, et il semblait toujours être un peu de travers. A chaque fois une collègue passait pour te le remettre mais à chaque fois il tombait. Tu te sentais un peu comme un poussin qui avait mal rangé sa coquille. T'enfilas ton plus beau sourire et la journée démarra – du moins tu espérais qu'il soit présentable et accueillant et tu démarras ta journée avec qu'une envie : qu'elle se finisse. Ce soir t'allais probablement rentrer, te doucher et te mettre directement au lit. La journée avait cependant démarré trop vite : t'avais à peine respiré que cinq personnes attendaient déjà – tu compris, à ce moment-là, que la journée allait être rythmée, et longue.
Mais tu faisais de ton mieux. Tu supposais. Tu avais loupé une commande, un peu plus tôt. Tu t'étais trompé. En y pensant tu ne savais même pas comment t'avais fait. T'étais clairement distrait aujourd'hui. Tu t'étais excusé jusqu'au départ du client, qui lui ne semblait pas s'en soucier plus que ça, patient et agréable, il t'avait simplement dit que ce n'était pas grave, que ça arrivait. Tous les clients n'étaient pas comme ça et tu lui en étais reconnaissant. A ta plus grande surprise, aucun autre incident eut lieu – tu eus même droit à un compliment d'une petite fille et ça te mit du baume au cœur. L'esquisse sur tes lèvres commença alors à se faire un plus douce, et naturelle. Un peu comme si t'avais oublié ta mauvaise nuit – mais juste un peu.

Jusqu'à ce que tu captes la silhouette d'un client. Ce n'était pas que tu ne l'aimais pas – okay c'était pas ton client favori – mais... vos échanges étaient toujours spéciaux. Ta journée semblait aller mieux et tu ne voulais pas tout rater avec lui. Tu ne voulais pas qu'elle soit plus longue encore qu'elle ne l'était, ou plus dure. Mais depuis sa dernière venue, tu le voyais différemment. Tu n'avais jamais compris – ou pas voulu comprendre ? Mais maintenant tu savais, et tu te sentais con. Con d'avoir été comme tu l'avais été avec lui. Tu aurais dû être plus courtois et clément. C'était pas que t'avais pitié, non, t'aimais pas ça, la pitié mais juste que tu pouvais comprendre. Tu compatissais : c'était difficile d'être différent, de sortir de la « norme ». Tu inspiras faiblement, et optas pour une esquisse fine mais sincère. Votre échange s'était bien passé la dernière fois alors... avec un peu de chance... « Bonjour », dis-tu, le coin de tes lèvres se levant un peu plus. « Qu'est-ce que je vous sers aujourd'hui ? Comme d'habitude ? », ta voix était plutôt douce, trop peut-être ? Tu ne mesurais pas réellement. Mais tu ne voulais pas faire de bêtises. « Vous allez bien ? Vous avez passé une bonne journée ? », ajoutas-tu, le visage penché dans un air finement concerné. C'était vraiment rare que tu discutes de ce genre de choses avec lui.  

La vie était pleine de surprise, c’était le cas de le dire et probablement que si on avait dit à Jun Wan qu’il serait le personnage principal d’un quiproquo complet, il n’y aurait jamais cru. Son frère lui avait pourtant tout expliqué l’autre jour, comment il avait rencontré l’une de ses connaissances et comment ce dernier n’avait pas semblé convaincu au fait qu’ils étaient tous les deux des jumeaux. Le cascadeur ne s’en était pas formalisé plus que cela, se contentant de rétorquer ô combien le garçon était simplement un idiot et qu’il n’avait de toute manière aucune envie de se lier de près ou de loin avec celui-ci. La première impression n’avait pas été la bonne, les suivantes non plus et de ce fait, Jun Wan ne portait pas ce pauvre serveur dans son cœur. Hors, la question juste à se poser était, y’avait-il ne serait-ce qu’une personne qu’il appréciait sincèrement ? Oui, évidemment qu’il y en avait néanmoins c’était vrai également de dire que ce jeune homme n’aimait pas vraiment les gens. Loin d’être sociable, il était distant, froid, et la majorité du temps très désagréable. Ce n’était pas de sa faute si on l’avait formaté de cette façon, si on lui avait appris de ne jamais montrer ses émotions puis que son passif l’avait obligé à être méfiant de chaque nouvelle personne qu’il croisait. Il s’agissait là de son seul moyen de défense, c’était son bouclier et il préférait attaquer le premier, sortir les crocs pour se protéger. Yu Jin le connaissait, sûrement le pourquoi il avait toujours décrit son frère comme un garçon formidable, un garçon qu’il fallait parvenir à cerner pour entrevoir ce qui se cachait derrière toutes ses barrières. Bien sûr que non, il n’était pas méchant, il avait le cœur sur la main cependant d’un naturel maladroit, il ne se comportait pas souvent correctement. Quand il s’agissait des relations sociales, il avait plus tendance à les fuir qu’à tenter de les affronter et apprendre à échanger les autres.

Le pourquoi, lorsqu’il s’était retrouvé face à ce serveur, prêt à commander, il n’avait pu s’empêcher de le dévisager devant une réaction que lui ne saisissait pas. Qu’est-ce qui lui prenait d’être si agréable tout à coup ? Certes, c’était la norme de devoir être aimable et souriant quand on travaillait toutefois Jun Wan le voyait, ce n’était pas que ça. Et maintenant qu’il y repensait, ce que lui avait raconté son jumeau lui revenait soudainement à l’esprit. Blasé par cette constatation, le cascadeur n’avait pu que soupirer avant de lever les yeux au ciel. « Depuis quand on demande à un client comment a été sa journée ? » Son ton était froid, bien plus encore. « Je ne crois pas que cela vous regarde. » Pas du tout. Est-ce que cet imbécile était vraiment aussi con que ce qu’il laissait transparaître ? « Je vais vous prendre un café latte. » En somme, oui, comme d’habitude seulement cela semblait lui fatiguer les lèvres de le dire à haute voix. Ce garçon n’était pas son pote, pas même une vulgaire connaissance, c’était juste un abruti qui n’était même pas en mesure de discerner la réalité.
 

Déglutissant doucement, tu restas interdit quelques secondes – et peut-être un peu plus pâle que tout à l'heure. T'avais pas vraiment de justifications en tête, t'étais pas du genre à poser ce genre de questions. Enfin à lui poser ce genre de questions. D'habitude tu te contentais de le saluer parce que c'était plus poli et c'était tout. Tu ne faisais pas de petites conversations. T'osais pas vraiment – tu te faisais remballer, la preuve. Mais t'avais été surpris la dernière fois – agréablement surpris. Vous aviez parlé. Normalement. Et il t'avait répondu. Normalement. Il n'avait pas soupiré, ni râlé, rien. Il avait été souriant et chaleureux et ça t'avait tellement perturbé que t'avais pensé à lui durant plusieurs jours. Votre conversation avait été moins formelle et plus... normale ? Humaine ? Tu t'étais senti un peu déboussolé au début avant d'être pris dans le fil des mots. T'avais pas raconté un roman mais tu avais conversé plus sereinement avec lui. T'étais écouté, et peu importait ce que tu disais tu voyais qu'il tentait de comprendre ou de savoir. Et c'était agréable de se faire comme un humain que comme... comme quoi au juste ? Il te voyait comme quoi, là ? Tu te raclas quelque peu la gorge, baissant le regard dans un petit « Désolé » et tu hochas légèrement le visage. T'osais pas vraiment dire que le type de la dernière fois te manquait mais... il te manquait. Tu te sentais idiot là. Mais tu voulais faire des efforts. Tu devais prendre sur toi. T'étais pas un monstre... – tu savais pas si tu voulais te le prouver ou le prouver aux autres. Même à ceux qui ignoraient tout de toi. Tu préféras alors supposer que sa journée avait été mauvaise, d'où ce côté-là de sa personnalité. Ca paraissait plus logique. Et s'il ne voulait pas en parler, tu ne pouvais pas le forcer après tout. T'étais que le serveur, et lui le client.

Tu redressas le regard vers lui, te mordant légèrement la lèvre et hochas à nouveau le visage. Tu allas préparer sa commande, quelque peu anxieux. Tu pouvais presque dire que t'étais traumatisé de la fois où tu t'étais trompé... enfin non, t'étais resté traumatisé – il t'en fallait peu, oui. Mais la journée s'était plutôt bien passée malgré tout alors tu supposais qu'elle continuerait dans le même sens. « La machine est... un peu lente aujourd'hui... », commentas-tu, tentant un semblant de conversation. Même s'il n'avait pas semblé réceptif au départ, tu pouvais quand même tenter... Tu te raclas à nouveau la gorge, clairement gêné. « S-si vous voulez, nous avons de nouveaux biscuits à emporter dont des gaufres au caramel... », peut-être qu'il n'aimait pas le sucré. Tu l'observas en silence... il allait dire qu'il préférait le salé, pas vrai ? Pour te contredire, ou dire que ce que tu proposais était ridicule ou que t'étais ridicule... Tu te mis à fixer la machine, espérant qu'elle aille plus vite parce que tu la trouvais étrangement longue d'un seul coup. « Vous... rentrez du travail ? », tu savais pas pourquoi tu posais la question.... tu savais que t'allais te faire remballer.

Jun Wan n’avait pas l’intention de changer parce que son vis-à-vis se méprenait à son sujet et le confondait avec son frère. Qu’est-ce que lui y pouvait si le jeune homme était idiot au point de croire que Yu Jin lui avait raconté n’importe quoi et qu’il était en réalité malade psychologiquement ? C’était désespérant et le cascadeur n’avait pas le temps, encore moins l’envie, de jouer ce genre de comédie. Donc il était resté fidèle à lui-même, froid et désagréable, en espérant avoir rapidement sa boisson qu’il avait commandé ; il ne souhaitait pas lui faire la conversation ni même commenter sa journée, cela ne le regardait pas le moins du monde. A ses excuses, Jun Wan s’était contenté de le fixer neutrement, patientant en silence. Sauf que le serveur semblait à nouveau avoir du mal avec la machine aujourd’hui et lui ne put qu’en soupirer en plus de lever ses yeux au ciel. Est-ce qu’il le faisait exprès ? Peut-être était-ce un moyen pour ce garçon de l’embêter et de se venger de son mauvais comportement. Non parce que pour qu’il se trompe à chaque fois que c’était lui qui le servait, c’était à s’en poser sérieusement la question. « Je vous ai demandé un café latte, pourquoi est-ce que vous voulez me vendre autre chose ? » Avait râlé le cascadeur, comme toujours. « Vous peinait déjà à me faire un simple café et vous croyez qu’en me proposant autre chose, ça va changer la donne ? » Une tête à claque. Pour sûr que Jun Wan était cet exemple même du client lourd qu’on préfèrerait ne pas avoir dans son bar, bien que cela dépendait qui il avait en face en vérité et comment on le traitait. La première impression qu’il avait eu avec son vis-à-vis n’avait pas été des meilleures, elle ne l’était toujours pas en ce jour et de ce fait, il n’éprouvait pas une folle envie de faire preuve de courtoisie.

Et le garçon persistait à vouloir lui faire la discussion, ce que lui ne saisissait pas le moins du monde car il lui avait clairement fait comprendre ne pas être là pour ça. Probablement que ce serveur était masochiste et qu’il aimait se prendre des vents en pleine face, ce n’était pas croyable autrement. « En quoi ça vous regarde ? » Avait-il soufflé, agacé « Concentrez-vous sur ce que vous faîtes au lieu de parler. » C’était tout à fait son droit d’être stressé hors ce n’était pas en discutant avec Jun Wan qu’il parviendrait à se calmer. Pas du tout. « Ce n’est pas parce que vous avez rencontré mon frère qu’on est pote maintenant, donc arrêtez cette comédie. » Une nouvelle fois, on répétait à ce jeune homme qu’ils étaient des jumeaux et le cascadeur se fichait royalement que ce dernier le croit ou non. En tout cas, ce ne serait pas faute d’avoir essayé de le lui faire comprendre et si le garçon était trop idiot pour s’en apercevoir, ce n’était pas son problème.

 

Effectivement. Pourquoi tu lui proposais autre chose ? Pourquoi tu parlais de cookies, de gâteaux, des gaufres ? Pourquoi tu gardais pas le silence en préparant son café comme tu devrais supposément le faire ? Comme tu le faisais généralement toujours ? Selon les clients. Tu parlais, parfois. Tu papotais, plutôt. Quand les clients te faisaient la conversation en attendant que tu finisses de tout préparer. Certains se trouvaient être plutôt bavards et tu comprenais, ça faisait passer le temps plus vite et vous aviez l'air moins cons, aussi, à simplement vous regarder le temps que la machine fasse son œuvre. T'aurais dû te douter qu'avec lui ça ne te fonctionnerait pas. Tu lui avais jamais vraiment fait la conversation, alors pourquoi commencer maintenant ? Parce que tu voulais faire des efforts, tu voulais te montrer plus gentil, plus ouvert. Tu ne voulais pas d'arrêter aux premiers jugements que t'avais pu avoir sur lui. T'étais mal quand on te jugeait sans te connaître, quand on s'arrêtait à certains détails sur toi sans aller plus loin et qu'on te catégorisait comme ci ou comme ça à cause de ceux-ci. Tu voulais faire des efforts, et il était vrai que votre dernière rencontre t'avait ouvert les yeux. Ce moment où il avait été plus bavard, plus avenant, plus ouvert, aussi. Il était de retour sous son masque habituel, et ça te rendait nerveux. « Désolé », articulas-tu rapidement. « C'est juste... », ce qu'on te demandait de faire, aussi. De proposer d'autres produits. De ne pas te contenter de ce que le client voulait. Ton patron voulait du chiffre. Mais ta phrase fut bloquée et tu clignas les paupières avant de te mordre la lèvre et te détourner le regard. T'osais pas imaginer ce que ça pouvait donner si on l'insultait : t'avais simplement rater son café la première fois et voilà comment il te parlait... t'aimerais pas être face à lui si ça avait été pire, honnêtement.

Tu lui lanças un regard, ouvrant la bouche pour finalement ne rien dire. Tu te mis alors à fixer tes mains, te mordant la lèvre ou te pinçant les lèvres pendant que tu attendais. Ta journée aurait pu être bonne mais voilà qu'il était venu et que tout était redescendu. Ta journée était foutue, ton moral aussi. Tu redressas subitement le visage à ses mots, fixant le vide comme si la réponse était inscrite là, dans l'air et qu'elle te narguait. Son frère ? Tu l'observas en silence pendant de longues secondes. « Votre frère ? », tu clignas des paupières, penaud, tes doigts massant l'arrière de ton crâne alors que tu mimais un air perdu. Un petit « Oh mon dieu » brûla contre tes lèvres, tes yeux s'écarquillant quelque peu. « Yu Jin est... votre frère », et les mots pesèrent soudainement sur tes épaules. T'étais décidément trop con. Une sorte de rire nerveux secoua ton corps et tu te concentras sur la boisson. Ca expliquait bien des choses – ça expliquait pas pourquoi t'étais aussi bête par contre. « Désolé », dis-tu à nouveau. « Vous... pourrez lui passer le bonjour ? », même si tu savais déjà qu'il allait te répondre qu'il ne le ferait pas. Et même s'il disait oui tu savais qu'il ne le ferait pas. Tu tentais quand même. Il te manquait en fait, son frère. Attrapant la boisson dans un soupir discret, tu la déposas devant lui, indiquant le prix, les joues rosies par la honte de t'être trompé et d'être aussi con. « Désolé pour l'attente » que tu susurras sans oser relever le regard.

C’était sincèrement à se demander si ce serveur était idiot ou s’il le faisait exprès. Jun Wan ne comprenait pas pourquoi il s’attelait autant à lui faire la conversation et non, ce n’était pas parce qu’il avait rencontré Yu Jin que ça changeait quoi que ce soit. Encore moins qu’il se soit mépris sur la situation. Le cascadeur n’en avait que faire de ses raisons, il souhaitait simplement avoir son café tranquillement puis pouvoir retourner vaquer à ses occupations. L’agacement se lisait distinctement sur ses traits et même les excuses de son vis-à-vis n’étaient pas suffisantes pour l’apaiser. Ce garçon était juste un imbécile, c’était tout ce que le jeune homme en retenait et peu importait si ça ne faisait pas plaisir. Il n’avait jamais cherché à être apprécié de toute manière. Jun Wan était sûrement l’abruti dans l’histoire, il était celui qui ne prenait pas en compte ce que pensait les autres puis restait braquer à la moindre occasion. On l’avait forgé ainsi, il n’y pouvait rien et il préférait être détesté qu’aimé en réalité… Il n’avait pas assez confiance aux gens pour croire en leurs bons sentiments. Hors son vis-à-vis était énervant, il n’avait de cesse de l’interroger sur ce qui ne le regardait pas et parce qu’il en avait assez de cette situation, l’autre garçon n’avait pu que hausser le ton un peu plus fort.

Si après cela, le serveur persistait à croire que Jun Wan avait un trouble de la personnalité, ce dernier ne pourrait définitivement plus rien lui. Il le qualifierait véritable d’idiot et pas dans le bon sens du terme malheureusement. « Oui, mon frère. » Avait-il soufflé avant de lever ses yeux vers le ciel. Ce mec était long à la détente dit donc, ce n’était pas croyable. Waouh, c’était la première fois qu’il rencontrait un tel individu, il avait un peu pitié de lui malgré tout. « En quelle honneur ? » Avait aussitôt rétorqué le cascadeur, toujours aussi froid. « Pourquoi est-ce que je le ferais ? Vous l’avez rencontré une fois, il n’est pas votre pote. » A dire vrai, il n’aimait pas ce genre de comportement. Il n’aimait pas les personnes trop intrusives et il s’en méfiait toujours un peu plus. Qu’est-ce que ce garçon espérait obtenir de son jumeau ? Au vu comment Jun Wan le regardait, il n’était pas très réceptif aux propos de son interlocuteur. « Merci. » Lui avait-il cependant répondu par politesse, son ton restant neutre, tandis qu’il payait sa boisson. Est-ce qu’il pouvait y aller maintenant ou le jeune homme face à lui comptait encore l’importuner ?


 

Tu te sentais con. Non, pire que ça, t'étais con. Comment t'avais pu croire quelque chose d'aussi gros au lieu de te contenter du plus simple ? Mais si tu l'avais fait, la réalité aurait été la plus dure pas vrai ? C'était toujours l'inverse. Tu ne savais pas pourquoi tu étais parti dans un truc aussi difficile, dans un sujet aussi délicat au lieu de voir ce que tu avais devant le bout de ton nez. Peut-être qu'au final tu voyais les choses plus noires que tu ne le croyais. A voir le pire à chaque fois, à ne pas penser aux mots faciles et aux conclusions faciles. T'étais parti loin, tout seul. Tu ne pouvais même pas dire que personne ne t'avait prévenu : tu avais tous les indices sous les yeux et t'avais choisi de ne pas les voir. T'étais vraiment con... Et gêné. Terriblement gêné. Tu ne savais pas comment tu arrivais encore à rester là. T'avais juste envie de te planquer sous le comptoir et de ne plus sortir avant au moins quelques années. La honte. T'avais la honte. En plus de passer pour un total idiot tu passais pour.. un total idiot en fait. Déjà qu'il ne t'appréciait pas de base, t'étais pas sûr qu'il apprécie que tu le penses malade en plus de tout ça. T'allais être placé dans la catégorie des gens à éviter et c'était embarrassant et aussi un peu blessant. Mais c'était ta faute – puis, aussi triste à dire que ça puisse paraître, t'étais presque habitué à ce qu'on t'évite, à ce qu'on ne t'apprécie pas. T'étais habitué à être ignoré, rabaissé. A ce qu'on te dise des choses dures.
Ca ne rendait pas toujours les choses plus simples à entendre, néanmoins.

« Oui... », susurras-tu. Son frère. Tu t'humectas les lèvres, honteux, sentant une chaleur frôler tes joues, ta nuque. Sentant ton cœur s'emballer un peu à cause du stress, de ton erreur. Tu ouvris la bouche à sa question, remontant le regard vers lui – mais aucun mot ne vint. En quelle honneur ? Par politesse, tu supposais, tout simplement. Un souffle coupé vint mourir contre ta bouche alors que tu baissais le regard, jouant nerveusement avec tes doigts. T'avais l'impression d'être un gamin qu'on grondait alors que t'essayais juste de rester poli. Mais il avait raison et son frère n'était pas ton ami. A part tes colocataires et Jiwoo, tu n'en avais pas beaucoup. Tu supposais qu'ils étaient les seuls à te supporter. Peut-être parce que la plupart d'entre eux ne connaissait pas ton secret. Jiwoo était la seule. « Désolé », répétas-tu encore une fois, gardant les prunelles basses, avant de te pincer les lèvres. Tu savais, pourtant, que tu n'aurais pas dû tenter de faire la conversation. Ca finissait jamais vraiment très bien. Tu fis un léger signe de tête, fixant le comptoir, soufflant un « Passez une bonne journée » plus machinale et automatique qu'autre chose, pour le coup.