J’ai bu. Encore et toujours. Comme d’habitude. Je gère tellement mal les choses que je préfère soigner le mal par le mal, c’est plus facile. Résumons : je suis fiancée, j’ai passé une nuit de rêve avec mon amie d’enfance, j’ai reçu une très belle bague de fiançailles, j’ai participé à ce fichu concours de t-shirts mouillés durant lequel toutes mes angoisses ont menacé de refaire surface et, pour couronner le tout, mon faux fiancé (qui m’insupporte grandement) a débarqué à Boston hier, pendant le concours ; et nous sommes retombés dans nos habitudes une fois la nuit bien entamée, évacuant chacun de notre côté un bon nombre d’émotions pesantes. Je suis allée courir ce matin avant mon premier cours, mais ça n’a pas suffi à calmer tout ce qui bouillonne au fond de moi – surtout que ça s’empire avec chaque sms envoyé par cette idiote qui me sert d’amie d’enfance (oui, la même que celle qui m’a fait passer une nuit de rêve). Alors je suis sortie quelques heures plus tôt, et j’ai bu quasiment toute la soirée. Sauf que là, ça ne passe pas. Je maudis cette poisse qui semble graviter autour de moi depuis quelques jours. Parce que pour une fois, je n’ai dragué personne étant donné que mon fiancé est de retour. Mais non ! Il faut que mes médicaments réagissent mal à l’alcool, qu’ils me donnent sacrément mal à la tête en plus d’une sale envie de vomir. Alors je sors de là, titubant, talonnée par un jeune homme fort sympathique et charmant qui, cependant, n’arrive pas à se mettre en tête que non, je ne suis pas en forme pour le ramener ce soir dans mon lit, contrairement aux dernières fois où nos chemins se sont croisés. Que non, je ne veux pas qu’il me plaque au mur et me bouffe le cou de cette manière. Que non, je ne veux pas qu’il passe ses mains de goujat sous mon haut, encore moins sur ma poitrine. Et je me sens mal, faible, molle, au point que je n’arrive pas à le repousser. J’ai l’impression d’avoir une montée de fièvre, de souffler des mots incompréhensibles que je ne peux même pas entendre à cause de cette sensation assourdissante dans mes oreilles. Et j’ai toujours envie de vomir, avec un abruti de première collé à moi, persuadé qu’une énième nuit passée ensemble se profile. Ah. Ça m’apprendra à aller m’amuser avec n’importe qui à plusieurs reprises.

J’essaie de reprendre mes esprits, j’essaie de me concentrer sur ma respiration. Je tourne la tête quand il se penche pour m’embrasser, mais il me saisit rapidement le menton pour me forcer à lui faire face et me voler un baiser. C’est beaucoup trop fougueux pour mon état actuellement bancal. Ça me fait tourner la tête, mais pas dans le bon sens du terme. J’ai plus l’impression qu’il me prive d’oxygène, celui que je cherche désespérément pour me sentir mieux.
« Non, sérieusement… Pas ce soir… »
Ma voix est faible – peut-être trop pour lui. Il ne m’entend pas, ou alors il est trop aveuglé par ses envies, trop enveloppé par la petite bulle qu’il vient de créer autour de lui. Bulle que je veux éclater pour qu’il me foute enfin la paix, pour que je puisse aller tituber ailleurs. Bulle qui finit bel et bien par éclater, mais ce n’est pas parce que j’ai réussi à l’engueuler, ni à le repousser comme j’aurais pu le faire si seulement je n’avais pas bu à foison ce soir. C’est une inconnue qui l’interrompt, qui arrive à briser l’emprise qu’il a sur moi depuis trop longtemps déjà, me permettant de souffler un bon coup. J’ai l’impression que mes jambes se transforment en coton, que mes bras deviennent lourds. Je la remercie silencieusement quand ses mains viennent soutenir mes épaules. Cette fille me tient en place. Elle est comme mon point d’ancrage en cette soirée où rien ne semble aller. Elle est cette petite lueur d’espoir qui fait croire à mon esprit embrumé, intoxiqué, qu’il n’y a pas que des requins infestant ce monde. Elle m’emmène je-ne-sais-où, mais j’avoue avoir baissé ma garde et la suivre aveuglément, profitant de remplir mes poumons d’air frais pour essayer de réoxygéner ce cerveau qui me fait défaut à l'instant T. Je m’accroche à cette inconnue, me sers d’elle comme un soutien pour pouvoir poser un pied devant l’autre correctement. Un vrai boulet. Mais je ne dis rien jusqu’à ce qu’elle nous installe sur un banc, ayant préféré reprendre mes esprits tout doucement. Une fois assise, je remonte mes manches et passe mes mains dans mes longs cheveux, dégageant mon visage pour sentir encore plus d’air frais sur ma peau. Elle s’adresse à moi, mais il me faut quelques longues secondes pour être sûre de retrouver ma voix.
« Non, ça va… Je ferme les yeux et soupire longuement, les mains plaquées sur mon front humide. Reprendre ma respiration est quelque chose de laborieux, et j’ai sacrément envie de vomir. Je… ah. Je m’éclaircis la voix tandis qu’une de mes mains cherche la sienne, à tâtons. Je me maudis, d’être comme ça, de chercher à avoir une quelconque forme de soutien. Ce n’est pas dans ma nature. Je n’ai besoin de personne. Mais je me sens tellement mal que ça prend le dessus sur tout ce qu’on a pu m’inculquer depuis que je suis petite. Merci, tu es gentille… Est-ce que tu veux bien rester ? Ça ne va pas trop… »
Et je n’ai pas envie d’être seule – mais ça, je ne le dis pas. Jamais. J’ai beau être soûle, j’ai encore un minimum de fierté. Même si elle risque d’en prendre un coup, vu les nausées qui me secouent l’estomac. Franchement, je dois être toute blanche – ce n’est certainement pas beau à voir.