Le rendez-vous annuel était tombé et cette fois Kate devait répondre présente. Cela faisait deux ans qu’elle inventait des prétextes pour esquiver le week-end par crainte d’y trouver Baker, mais ça n’avait plus d’importance maintenant qu’ils s’étaient croisés dans l’obscurité du cabaret. Un duel où chacun avait su se servir de ses armes pour blesser l’autre, trop efficacement. Une rencontre très intéressante qui avait empiré les choses entre eux mais qui avait libéré Kate d’un poids. Elle ne craignait plus leurs retrouvailles. Aussi merdiques qu’elles aient été, elles étaient faites ! C’est le cœur alléger qu’elle aurait pu se rendre dans le Colorado mais il avait fallu qu’ils échangent ces messages virulents quelques jours plus tôt. De quoi freiner l’envie de partager un week-end en sa compagnie. Mais elle ne pouvait plus se désister et avait déjà confirmé à sa mère sa venue.

En arrivant au chalet, elle serra chaleureusement ses parents. Elle ne passait du temps avec eux qu’à l’occasion de fêtes familiales ou de réunions comme celles-ci. Habitants de l’autre côté des États-Unis, elle ne pouvait plus les voir aussi souvent qu’elle le voulait. Ses frères aussi s’étaient déplacés. Très proche d’eux, ils étaient les seuls qu’elle avait mise au courant des véritables circonstances de sa rupture avec Baker il y a deux ans, n’omettant aucuns détails, surtout pas la partie où elle aurait pu finir en prison si elle n’avait pas accepté de se livrer à avec un autre homme. Les rapports de la jeune femme avec les Ridley étaient bienveillants, elle restait proche d’Elora même si les deux femmes s’étaient forcément éloignées depuis qu’elle n’était plus avec Baker.

Après avoir échangé des banalités avec tout le monde et pris des nouvelles de sa famille, elle avait rangé ses affaires dans la chambre qui lui était attribuée puis s’était attablée avec son petit frère dans la grande pièce à vivre. Son grand frère passait des coups de fils dans la pièce voisine. Second de l’entreprise familiale, il travaillait trop et avait beaucoup de mal à décrocher, même au milieu des montagnes. Kate scrutait la porte d’entrée toutes les dix secondes, guettant l’arrivée du cadet des Ridley. Elle était stressée. Ils ne s’étaient pas revu depuis leur dernier échange au cabaret qui s’était soldé par les menaces du brun, elle appréhendait leur prochaine rencontre. Ferait-il une scène ? Resterait-il calme ? Elle n’en avait aucune idée. Le connaissant, elle savait qu’il pouvait devenir incontrôlable à tout moment. "J’ai encore gagné. C’est la cinquième partie que tu perds Kaitlyn !" Un puissance 4 entre eux, les quatre jetons rouges s’alignaient en diagonales. "Tu gagnes seulement parce que je ne suis pas concentrée. Et arrête de m’appeler Kaitlyn." Prénom de sa grand-mère paternelle qui lui avait été transmis, elle s’était créée sa propre identité sous le surnom de Kate. Tout le monde l’appelait ainsi, sauf ses frères quand ils cherchaient à l'embêter. "Détends toi, t’en as que pour deux jours." Dany, son petit frère, se voulait rassurant mais quarante huit heures près de Baker c’était beaucoup trop long pour que ça n’explose pas entre eux. Il n’imaginait pas les efforts que ce seraient de l’éviter dans le chalet, de ne pas participer à ses discussions, de ne pas le regarder. Elle misait sur l’ignorance mais pas sûre qu’elle tiendrait longtemps sans faire la moindre remarque. Elle avait tellement à lui dire… La porte s’ouvre brusquement et il apparaît, créant un courant d’air désagréable, marquant le début de ce long séjour. Son père un peu trop social et avenant se précipite pour le saluer et l’appelle. Une grande inspiration et elle se lève pour s’approcher de lui, espérant que ce soit leur seul échange verbal. "Bonsoir Baker." Le regard vissé dans le sien, elle tente de garder un air neutre. Pourtant la tension est palpable, elle voit dans ses yeux qu’il rêve de la réduire en cendre. Et peu à peu, il déteint sur elle, les flammes gagnant ses yeux transparents. Putain elle n’a toujours pas la certitude qu’il n’a pas baiser ces p… "Baker ! Ça fait un baille ! Comment vas-tu ?" La voix grave de John, son grand frère, résonne derrière elle. Il se place devant Kate, brisant ce lien gonflé d’animosité et de haine, évitant ainsi une altercation des plus violentes. Encore quelques secondes et elle lui hurlait dessus.

La suite de la soirée se passe normalement. Kate n’a plus adressé la parole au brun mais s’est couchée le cœur lourd.

***

"Aujourd’hui j’explose mon record les gars !" Au sommet d’une des nombreuses montagnes qui entouraient la station, Dany prend déjà les paris sur le temps qu’il mettra à dévaler la pente. Si les parents avaient préféré passer la journée au spa, leurs progénitures comptaient glisser sur la poudreuse malgré la tempête qui était annoncée. Le ciel était couvert, le vent soufflait fort mais pas assez pour les arrêter. "Moi je parie que tu t'exploses la jambe." Il lui répond le majeur en l’air ce qui l’a fait rire puis s’élance entre les rochers suivi par John puis Kate. Elle se forçait toujours à ignorer Baker. Pour le bien de tous il valait mieux qu’ils ne s’approchent pas, pourtant il était avec eux sur le sommet de la montagne et ça ne lui facilitait pas la tâche. Elle savait qu'ils ne pourraient pas tenir une conversation sans s'insulter.

Kate avait choisi le snowboard, il lui rappelait le surf qu’elle avait l’habitude de pratiquer quand elle était plus jeune sur la côte californienne. Elle slalome entre les rochers, évite les crevasses. Ce n’était pas la première fois qu’ils descendaient cette montagne, le chemin était quasiment tracé. Brusquement une bourrasque de vent la pousse dans le dos, la neige tombe de plus en plus abondamment et commence à créer un voile blanc opaque. La voilà la fameuse tempête. Elle va trop vite et n’a presque plus de visibilité sur ses trajectoires. Elle ferait mieux de s’arrêter maintenant pour éviter de finir au fond d’un fossé. La jeune femme dérape sur la droite, rate son dérapage et finit à plat ventre dans la neige à l’entrée d’une grotte. Ils en avaient repéré plusieurs les années précédentes, elle avait la chance d’en avoir retrouvé une rapidement. Pas le temps d’avoir mal, elle se précipite à l’intérieur. "John ? Dany ?" Un bruit derrière elle la fait sursauter et elle se tourne. Baker. Il ne manquait plus que ça. "Tout va bien ? Tu sais où sont les autres ?" Son animosité envers lui était loin d’avoir disparu mais elle n’avait pas le temps de se disputer. Pas quand elle n'avait aucunes idées d'où était les autres et surtout ses frères.

@Baker Ridley-B.

Pas un mot, pas un regard, un léger basculement du corps pour seule salutation. Elle ne sait pas quoi penser. Réponse dénuée d’intérêt, était-elle devenue insignifiante à ses yeux ? Elle aurait préféré qu’il lui hurle dessus, transparaissant un brin d’émotion. Rien. Pourquoi cela la touchait tant ? Pourquoi maintenant alors qu’elle s’était passée de lui pendant deux ans ? Des questions dont elle a peur de connaître les réponses et qu’elle se force à enfouir profondément dans une partie de sa tête. Pourtant ce sont les mêmes qui hantent sa nuit, la faisant cogiter sur un homme qui ne serait plus jamais sien, dont elle avait trahi la confiance pour se protéger. Un geste sage et pourtant si destructeur.

***

L’esprit jeune et intrépide, ils s’étaient accordés pour descendre la montagne malgré la météo annoncée. Une tempête de neige ce n’était pas rien et pourtant ils dévalaient la pente, inconscients du danger qui se préparait. Bien vite rattrapée par les éléments, Kate s’était déportée sur la droite pour trouver un abri, chutant au passage. Rien de trop grave si ce n’est son poignet qui lui faisait un petit peu mal. Mauvaise réception. La grotte est vide. Elle appelle ses frères, aucune réponse. La neige tombait trop fort pour partir les chercher. Elle ne pouvait pas rester bloquée seule dans cet endroit, heureusement elle avait de la compagnie. Baker. De leur petit groupe, il était le dernier avec qui elle avait envie de passer du temps mais c’était toujours mieux que de faire face à la solitude, même plusieurs heures. Immédiatement, elle cherche des nouvelles de ses frères. "aucune idée non. personne était autour de moi." Évidemment, il n’en a pas. Elle n’avait pas son portable sur elle, et puis même si elle le possédait le réseau ne passait pas en haute montagne. "et je suis pas prêt de les revoir puisque la tempête va s'empirer et qu'on y voit pas à un mètre." Elle pose un regard inquiet sur le voile neigeux. Ils sont en sécurité, elle essayait de s’en convaincre mais elle n’était sûre de rien et ça la tuait de ne rien pouvoir faire si ce n’est attendre, avec Baker. Génial. Il passe près d’elle et c’est seulement là qu’elle remarque la tâche vermeil sur sa tempe. Il ne semblait pas s’en préoccuper, préférant poser ses fesses dans le fond de la grotte, à l’abri du vent. Au cours de leur relation elle avait pu comprendre qu’il était doté d’une bonne résistance à la douleur, alors elle ne se fiait pas à sa réaction pour estimer la gravité de la blessure. Elle se déchausse de son snowboard, le suit puis s’accroupit en face de lui avant de claquer des doigts devant ses yeux. "Évite de dormir. Avec la température tu risques de ne plus jamais ouvrir les yeux." L’hypothermie est vite arrivée, d’autant plus avec une plaie à la tête. Ils devaient rester en alerte. "Il faut te soigner." Comment ? Kate n’avait rien sur elle. Mais la laisserait-il ne serait-ce que le toucher ? Elle n’en était même pas sûre. Le dégoût qu’il avait clairement affiché à la fin de leur dernier échange était pourtant clair. Où en seraient-ils si elle ne lui avait pas cruellement menti ? Si elle avait avoué avoir passé le pire moment de sa vie ? Aucune idée, mais elle regrettait ses derniers mots.

@Baker Ridley-B.

Pourquoi maintenant ? Elle avait manqué les deux derniers week-end en montagne, cette année elle avait décidé de ne plus se trouver d’excuses pour le rater et elle se retrouvait coincée avec Baker pour ce qui semblait être un très long moment. Les chutes de neige sont intenses, rallongeant toujours plus son temps d’attente dans cette grotte gelée. Son karma était mauvais, elle l’avait vite compris quand elle avait croisé Baker au cabaret, quand il lui avait craché dessus après l’avoir étranglé. Les voilà de nouveau réunis, un deuxième combat en approche. Mais Kate, elle ne veut pas se battre avec lui, elle ne l’a jamais voulu dans le fond. Pourtant  c’est elle qui a lancé les hostilités en lui mentant, en assurant qu’elle avait pris son pied avec celui que Baker avait failli tuer. Alors elle s’approche dans une démarche saine essayant de rendre les prochaines heures le moins désagréables possible. Mais qu’est-ce qu’elle croyait ? Il respirait la rage et la vengeance. "plutôt ça que te voir ou faire la conversation avec toi." Elle lève les yeux pour seule réponse, ça ne l’étonnait pas beaucoup. Le regard posé sur la plaie ensanglantée, elle souhaite le soigner mais il n’est pas du même avis. "laisse. et ne me touche pas." "Mais ta blessure va s’inf…" "à quoi tu joues exactement ? tu te rappelles pas ce que tu m'as dis la dernière fois qu'on s'est vu ? fais pas la gentille, on sait tous que t'es mauvaise dans le fond. ton petit jeu tu te le mets où je pense." Elle souffle brusquement, s’assoie en face de lui, assez loin pour qu’il ne puisse pas l’attendre à la moindre pulsion, assez près pour qu’il entende ce qu’elle avait à lui dire. "je ne te supporte pas. toi non plus. alors rien ne sert de faire semblant." "Tu as raison arrêtons de faire semblant." C’est à partir de maintenant qu’elle commence à se repentir. "Je t’ai menti. Je n’ai jamais pris de plaisir à… coucher avec cette merde." Les mots sont difficiles à prononcer et la bile remonte en même temps que les cauchemars. "Tu m’as poussé à bout, tu m’as insulté, tu m’as étranglé. Putain Baker tu m’as étranglé ! Je me sentais prise au piège et je voulais juste que tu ressentes toute la douleur que j’éprouvais à cet instant. Tu sais comme je déteste me sentir soumise. Je te l’accorde, c’était cruel comme action, et j’en suis désolée. Quand il m’a touché... c’était le pire moment de ma vie." Elle a du mal à le regarder pendant qu’elle parle. L’esprit baignant dans les souvenirs de ce jour où elle avait tout perdu. "Je ne sais même pas si tu vas me croire. Je ne sais pas si tu me pardonneras un jour, franchement je ne pense pas mais je ne veux pas que tu penses qu’à l’époque je t’ai fait du mal volontairement, j’y ai été obligée. Ça n'excuse rien, je sais." Elle ne voulait pas lui révéler pourquoi elle l’avait trompé, qu’elles avaient été ses vraies motivations. Kate ne pouvait pas lui avouer avoir tué quelqu’un. Elle ne voulait pas affronter son regard quand il se rendra compte que la femme avec qui il avait passé près d’un an avait poussé une adolescente d’un balcon et l’avait fait disparaitre avec l’aide de sa famille. Elle ne pouvait pas affronter son regard alors elle préférait arrêter son récit ici. "J’en ai marre de me battre contre toi." Et elle soupire, lassée de cette situation merdique dont elle était l’auteur.

@Baker Ridley-B.

Bloquée dans cette grotte de glace, elle avait l’occasion de s’expliquer. Kate l’observe, jauge sa fureur. Elle détestait la noirceur qu’elle voit dans ces yeux, ces mêmes yeux qui l’avaient aimé et chéris des années plus tôt. La transition a été brutale, un peu trop. Tellement qu’elle avait dérapé, qu’elle avait prononcé des mots qu’elle ne pensait pas dans le seul but de l’atteindre, le blesser encore un peu plus. Bloquée avec lui pour une durée indéterminée, elle a l’occasion de s’expliquer, peut-être de se rattraper, même si la tâche est quasiment impossible. Alors elle s’excuse, se confesse en espérant atténuer l’obscurité de son regard. Mission impossible, elle ne récolte que son rire méprisant. "parfois, il vaut mieux être soumise que de dire des trucs comme ça. ça a réveillé une fureur en moi que t'imagines même pas. donc tes excuses, je m'en balance. tu as dis ce que tu as dis, le reste je m'en fous." “Tu ne peux pas rester sur des paroles que j’ai prononcées sous le coup de l’énervement. Je ne les pensais pas et tu le sais. Pourquoi j'aurais aimé coucher avec un autre mec alors que je t’avais toi ? Ça n'a pas de sens.” Il fallait qu’il s’en rende compte. Mais c’était bien plus facile de la détester, de se satisfaire dans la carapace qu’il s’était forgée depuis son départ. Kate remue le passé, elle rouvre des blessures qui peinent à cicatriser, les mots sont difficiles à entendre mais elle en a besoin. Elle a besoin de lui expliquer ce qu’il s’est réellement passé, de lui montrer qu’elle n’est pas le monstre qu’il dépeint. Elle supportait de moins en moins ce portrait qu’il lui avait dressé alors qu’il ne savait pas la moitié de ce qu’elle avait vécu. "obligée ou pas, à cette époque, t'aurais pu venir me voir plutôt que de le faire." “Non c’était impossible Baker ! Crois moi si j’avais pu je t’en aurais parlé.” Encore aujourd’hui, elle n’était pas prête à lui justifier ses actes. Pas encore, peut-être jamais. Après tout, elle était sa cible, la femme à faire souffrir par tous les moyens, pourquoi lui servirait-elle sur un plateau d’argent sa kryptonite ? "ne regrette pas ce que t'as fais. tu l'as fais et tu pourras rien y changer. t'as merdé et ça restera comme ça. tu en as marre de te battre ? alors ne te bats pas, ignore moi. parce que moi je le ferais." Elle secoue la tête après une petite exclamation. “Mais ce n’est pas ce que tu fais. Quand tu me menaces, tu ne m’ignores pas. J’ai pas envie de vivre dans la peur de te voir débarquer n’importe où pour me faire du mal. Je ne mérite pas ça, même si tu es convaincu du contraire.” Il referme les yeux et elle se rapproche de lui. “Je sais que j’ai merdé et je ne peux pas revenir en arrière. Je suis sincèrement désolée pour ce que je t’ai fait. Je ne sais même pas pourquoi je continue à m’excuser alors que tu t’en fous, mais je ne veux pas que tu me vois comme la reine des salopes alors que tu n’as qu’une partie de l’histoire. Maintenant laisse moi te soigner, sinon tu vas commencer à avoir très froid d’ici peu. S’il te plaît." Elle la voyait toujours la plaie béante sur le côté de son visage, rouge vive rappelant l’urgence de la situation. Et puis l’échange devait s’écourter, elle n’allait pas s’excuser indéfiniment face à un homme qui lui crachait à la figure en retour, aussi fautive soit-elle.

@Baker Ridley-B.