« Votre visage m'est familier... vous n'êtes pas passé à la télé par hasard ? », un rire nerveux dans la gorge, les mains faiblement tremblantes, tu tournas le visage, stipulant que la personne devait confondre. T'étais jamais passé à la télé, voyons...
De ce côté-là de la planète, du moins. T'étais un anonyme ici, un visage parmi la foule, une personne parmi tant d'autres. Dans ton pays natal cependant, t'étais passé à la télévision. Mais pas que : dans les journaux, aussi, les émissions, les radios... partout. Ton visage avait été placardé un peu partout dans la ville. Une idole. Voilà ce que t'avais été. T'avais fait parti d'un groupe – New Moon.

Tu as passé une audition pour rejoindre une grande agence parce que ta mère le voulait. Elle te disait que tu avais une belle voix et qu'elle ne devrait pas être la seule à en profiter. Elle rêvait de grandes choses pour toi. Paillettes, costumes, gloire... elle te voyait tout avoir, tout réussir. Tu passas l'audition pour lui faire plaisir, sachant qu'on ne te retiendrait pas. T'en étais sûr. Tu passas l'audition pour prouver à ta mère qu'elle était la seule à trouver que tu avais une belle voix. Tu voulais lui prouver que ça, ce monde-là, c'était pas ton monde.
Sauf que le destin décida de te prouver le contraire. Tu fus accepté dans l'agence. Tu allais rejoindre d'autres jeunes et vous alliez être formés. Vous alliez vous entraîner.
Tu ne voulais pas de ça mais le regard de ta mère sur toi était si fier que t'osais pas dire non, t'osais pas refuser la proposition. Tu te disais que tu n'allais pas être choisi pour intégré un groupe. Après tout tu savais à peine danser et tu n'avais aucun charisme.

Et c'était un peu le destin qui se moquait de toi. Tu fus choisi pour débuter dans un groupe, à ta plus grande surprise. Tu t'étais entraîné que depuis quelques mois et voilà que t'étais sur la liste pour un nouveau groupe. Tu ne savais pas quoi en penser. La seule chose dont t'étais sûr : t'étais pas prêt. T'allais devenir une idole, comme ces personnes que tu voyais à la télévision – et ça t'effrayait.
Toi, tu rêvais plutôt de voyages, de savoir. Tu rêvais de découvertes, d'autre chose. Ca t'effrayait parce que tu savais que ce n'était pas un monde pour toi. La pression, le stress, la fatigue... tu n'avais jamais réussi à les gérer. Comment arriveras-tu sur le devant de la scène ? Tu devais vivre en suivant des règles strictes. Tu avais des devoirs, des obligations. Tu avais des interdictions, aussi. D'un monde assez vaste qui te rendait curieux, tu passas à un univers plus restreint, des barrières autour de toi t'empêchant de bouger. T'avais pas les épaules pour ce métier. T'étais pas fait pour ça, tu le savais, tu le sentais. C'était pas ton monde.
Mais tes parents étaient si ravis et si fiers de toi... tu n'osais toujours pas leur dire ce que tu avais sur le cœur. On te considérait alors comme excité à l'idée de débuter – alors que t'étais juste un gamin terrorisé.

Tu as voulu arrêter durant la première année. T'étais épuisé, et stressé. Tu ne savais jamais comment agir. A la télé ou face aux fans que tu pouvais rencontrer. Tu sentais bien que tu te faisais bouffer par les autres, leurs regards, le stress, la fatigue, la pression... Tu tentais de tenir mais ça devenait difficile à gérer. Tu voulais être toi-même mais tu ne pouvais pas l'être totalement. Tu avais conscience de ton attirance pour les hommes. Tu avais conscience que c'était mal vu, pas accepté. T'avais conscience que tu ne pourrais jamais le dire, que tu ne pourrais jamais être réellement toi-même. Tu voulais tout arrêter, quitter le groupe, l'agence et retourner à une vie normale. Ca te manquait, la banalité d'une vie d'une personne lambda. Ca te manquait, cette simplicité de l'existence à juste aller et faire ce que tu voulais. Tu n'arrivais pas à en parler à tes parents. A chaque fois que tu essayais tu finissais par garder le silence. T'avais peur de voir la déception dans leurs regards. Ils étaient si heureux pour toi, si fiers de toi... Tu trouvas un confident en ton manager. Il était toujours gentil avec toi, et patient. Il voyait bien que tu galérais à tenir le rythme. Il était indulgent, et te laissait parfois te reposer alors que tu devrais être en train de t'entraîner. Il te trouvait des excuses. C'était le seul à qui tu pouvais parler, le seul qui avait compris que quelque chose n'allait pas. Ce fut donc le seul à qui tu te confias. Le seul à qui tu racontas tout : ton envie d'arrêter, mais aussi ton homosexualité.

Mais tu n'arrêtas rien. Tu ne quittas pas le groupe. Tu fus contraint d'y rester, et de continuer. Pas de ta propre volonté, non, mais parce que ton manager te menaçait de tout révéler. Il te faisait chanter. Il savait que t'avais peur de parler à tes parents, d'avouer ce que tu ressentais, d'avouer qui tu étais. Il savait que t'étais effrayé à l'idée d'être détesté pour ce côté-là de toi et il jouait de ta peur pour t'avoir. Il se jouait de toi. Tu devenais son pantin, une poupée, un instrument. Et lui dirigeait tout.

Ton premier scandale fut le dernier, mais aussi le plus long et le plus douloureux : ton homosexualité fut dévoilée. Tu ne savais pas qui, tu ne savais pas comment, mais ça se savait. Tu avais été en pause, à ce moment-là. On t'avait fourni du repos après une énième crise d'angoisse. Et tout éclata durant ce repos que t'avais mérité. Les médias s'acharnèrent sur la rumeur, sur le groupe, l'agence, sur toi. Les fans étaient choqué.e.s. Tu recevais des mots tendres, parfois, sur les réseaux sociaux. Mais le plus souvent, tu ne recevais que des menaces et des insultes. Les membres du groupe t'évitaient – à part le leader, qui prenait encore soin de toi. Les autres semblaient dégoûtés, et perturbés quand t'arrivais dans la pièce. On te regardait de travers, on te jugeait, on te critiquait. Tes parents refusaient de te parler, ton frère te tourna le dos. Le reste de ta famille semblait faire comme si t'avais jamais existé, comme si tu apportais la honte sur votre nom.
Dans la rue, tu étais interpellé, harcelé, suivi. Au dortoir, t'étais perdu, seul et apeuré. Tu ne savais plus où aller, à qui parler. Tu ne savais plus quoi faire. L'agence tentait de contenir les médias. Les fans voulaient que tu quittes le groupe, certains de tes collègues semblaient même d'accord avec l'idée.

Alors tu partis.
Tu quittas le groupe, l'agence. T'avais plus rien à perdre. On ne pouvait plus te retenir. Tu pus te réfugier chez tes parents, ces derniers te laissant revenir... mais tu les sentais, leurs regards déçus. Tu les entendais, les mots qu'ils n'osaient pas prononcer. T'étais leur fils et pourtant t'avais l'impression d'être un étranger. Tu patientas quelques semaines, laissant l'affaire se tasser, laissant les gens oublier ton nom puis tu partis faire ton service militaire. Et quand celui-ci fut terminé, tu quittas le pays, laissant tout derrière toi, avec le bête espoir de pouvoir recommencer une vie ailleurs.

Et tu l'as recommencé ici, ta vie. A Boston. Depuis un peu plus de deux ans maintenant. Ce fut peu laborieux au début mais ça a fonctionné : la preuve, t'es encore là.